Interview d’Olivier Favre, docteur ès sciences sociales de l’UNIL.
Olivier Favre est docteur ès sciences sociales de l’UNIL et pasteur de l’Eglise évangélique apostolique. Il est le coauteur de la première étude empirique sur l’évolution du mouvement évangélique en Suisse*. Nous lui avons demandé comment les textes d’Ezéchiel étaient lus par les évangéliques helvétiques.
Les évangéliques suisses s’intéressent-ils autant que George W. Bush aux prophéties d’Ezéchiel?
En Suisse, les thématiques apocalyptiques sont bien moins présentes aujourd’hui que durant la période de la guerre froide. J’observe une prise de distance par rapport à cette manière de lire l’histoire et de croire en l’avenir. La tendance, dans les communautés évangéliques helvétiques, est plutôt de réinvestir le politique, de développer leur message sur l’ici-bas. On le voit notamment avec leur récent engagement (certes conservateur) dans la politique. Ces croyants ont pris conscience qu’ils ne sont pas réduits au fatalisme.
Les communautés évangéliques font-elles la même lecture de ces textes apocalyptiques que George W. Bush?
La grande majorité reste très prudente à ce propos. Mais, dans les extrêmes, on trouve effectivement une petite minorité de gens qui voient l’Iran actuel comme la Perse dont parlait la Bible, donc comme un ennemi d’Israël. Cette minorité croit que les prophéties bibliques s’accomplissent. Et à l’autre extrême, il y a des évangéliques qui considèrent Georg W. Bush comme l’Antéchrist, et qui voient dans les attentats du 11 septembre 2001 la preuve que Dieu désapprouve le matérialisme américain.
Ce sont des visions sensiblement différentes…
Oui, parce que les évangéliques ont des lectures sensiblement différentes de ces textes apocalyptiques, que ce soit Ezéchiel, mais aussi Daniel. En simplifiant, on peut dire qu’il y a deux positions, diamétralement opposées, sur les temps de la fin. Mais elles sont très minoritaires. La majorité s’attend simplement au retour du Christ sans se prononcer sur le reste.
Il y a des optimistes et des pessimistes?
Ceux que j’appelle les évangéliques prémillénaristes sont effectivement catastrophistes. Ils pensent que le retour du Christ doit être précédé par la montée de l’Antéchrist dont le règne nous vaudra une longue période de catastrophes. A l’opposé de cette vision, il y a les postmillénaristes, qui, eux, croient que l’Eglise triomphera, et que le Christ reviendra dans une planète en paix. Enfin, très éloignée de ces positions, il y a la vision des protestants traditionnels, mais aussi d’évangéliques modérés, qui font une lecture symbolique de ces textes apocalyptiques et pensent que la Bible annonce la chute d’un empire, notamment celui de Rome.
A quel point le président des Etats-Unis est-il représentatif des idées évangéliques?
Il faut être prudent avec la figure de George W. Bush. Il est extrêmement difficile de savoir ce qui, dans ses discours et dans ses actes, relève de convictions personnelles, et ce qui relève d’une instrumentalisation de la foi évangélique. Notez enfin que l’électorat évangélique américain est aujourd’hui divisé à son égard. Si certains l’approuvent, d’autres le critiquent désormais, notamment à cause du réchauffement de la planète.
Ce qui frappe, quand on lance une recherche sur Gog et Magog dans Wikipédia, l’encyclopédie sur Internet, c’est la différence entre les informations contenues dans les versions française et anglaise. Il y a cinq lignes en français et cinq pages en anglais…
Cela montre bien que ces relectures d’Ezéchiel sont surtout une thématique américaine. Le développement des évangéliques dans l’hémisphère Sud (Amérique du Sud, Afrique) a marginalisé ces thématiques apocalyptiques et a apporté d’autres priorités, car ces communautés sont plus soucieuses des problèmes sociaux et écologiques.
Plus largement, que vous inspire cette lecture religieuse de la politique internationale?
De ce côté de l’Atlantique, fortement en France, mais aussi en Suisse romande, on a tendance à croire que plus personne ne raisonne en termes religieux. Or, nous avons des populations qui restent croyantes de diverses manières. La prière est toujours pratiquée, et les gens conservent la foi dans une vie après la mort. On peut donc s’attendre, à l’avenir, à ce que la composante religieuse resurgisse également chez nous dans l’espace public.
Propos recueillis par Jocelyn Rochat
A lire:
«Les évangéliques sont en nette croissance par rapport aux autres Eglises en Suisse», Allez savoir! 31 février 2005