Cette tête de clou, datant du Haut Empire romain, a été découverte en 2022 au chantier-école archéologique de Vidy-Boulodrome (Lausanne). Réalisé dans un alliage cuivreux, cet objet mesure « 6 mm, du menton au sommet de la coiffure », indique Daniel Burdet, qui termine son master en Lettres à l’UNIL. Ce dernier se passionne justement pour l’instrumentum, un terme qui, en archéologie, désigne le mobilier métallique domestique.
À but décoratif, découvert sur le site d’un habitat privé, ce bijou était probablement planté dans un coffret ou dans un meuble depuis longtemps disparu. Représente-t-il une déesse, un personnage de théâtre ? Il est impossible de le dire. Témoin de la vie quotidienne, « cet objet modeste crée pourtant une proximité avec nous, malgré les nombreux siècles qui nous en séparent. Les visages possèdent une permanence qui nous touche toujours », note Daniel Burdet, qui a présenté la photographie ci-contre au concours d’images scientifiques organisé chaque année par le Fonds national suisse.
Sous la direction du professeur Matthieu Demierre, le jeune chercheur se lancera dans un doctorat, en tant qu’assistant diplômé, dès le 1er août prochain. Daniel Burdet poursuivra son travail son travail dans le contexte du métal et dans celui des figures humaines, puisqu’il travaille sur les miroirs gallo-romains, des objets utilisés comme aujourd’hui dans le cadre domestique, mais aussi à l’occasion de pratiques divinatoires.
Entretien avec Daniel Burdet, en complément de l’article paru dans Allez savoir ! n°85, de février 2024
Vous indiquez que cette tête de clou décorait probablement un coffret ou un meuble de qualité. Sur quoi vous basez-vous pour le dire ?
Cette hypothèse repose notamment sur le travail détaillé de l’archéologue Émilie Riha, mené au sujet de l’instrumentum du site romain d’Augst, dans le canton de Bâle-Campagne. Il est possible d’établir des parallèles entre certains objets décoratifs métalliques retrouvés là-bas, et ceux de Lausanne. Il en existe également des équivalents en Allemagne du Sud, ou provenant d’autres sites romains. Si vous souhaitez vous rendre compte de l’apparence qu’auraient pu avoir ces coffrets ou ces meubles, vous en trouverez des restitutions dans la publication d’Émilie Riha intitulée Kästchen, Truhen, Tische – Möbelteile aus Augusta Raurica, sortie en 2001.
Est-ce que cette tête de clou pourrait représenter une divinité ?
Il n’y a pas de raisons de privilégier l’interprétation de déesse sur celle de masque de théâtre, mais on retrouve également des représentations de divinités en décor simple. Cette tête de clou provient plus précisément des trois premières maisons situées tout à l’ouest du vicus de Lousonna, à Vidy. Bien des demeures gallo-romaines étaient construites sur un schéma similaire. Au rez-de-chaussée se trouvaient un atelier (sur l’arrière) et une boutique (à l’avant), soit la partie qui donnait sur la rue. La partie privée était à l’étage. Avec le temps, ces constructions se sont effondrées, les planchers ont disparu et les objets provenant de l’étage supérieur sont tombés, se mêlant à ceux du rez-de-chaussée.
Ce fragment de clou anthropomorphe est-il un objet précieux, indicateur d’un certain statut social ?
Cette tête de clou n’est pas banale, mais bien des gens auraient pu en avoir de semblables. L’habitat concerné était occupé par des membres de la classe moyenne supérieure, qui avaient sans doute les moyens de faire vivre leur famille et de s’offrir quelques biens. Ce n’est pas un objet exceptionnel, mais je trouve amusant de constater que les personnes qui en ont vu des photographies, comme des amis par exemple, le pensent. Le fait de consacrer un peu d’attention à cette tête de clou et de se poser des questions à son sujet la rend particulière. Or, sur le site de Vidy, les belles trouvailles abondent et il serait possible de s’intéresser de près à chacune d’elles. Cette richesse est l’une des beautés de l’archéologie, dont j’ai fait mon métier depuis la fin de mon bachelor !
Dans le cadre de vos études en Lettres, vous vous intéressez particulièrement à l’instrumentum, soir au mobilier métallique au sens archéologique du terme. Il ne s’agit pas d’ameublement…
Lors des fouilles, nous retrouvons en grandes quantités des os d’animaux, des céramiques et ce que nous appelons le mobilier domestique, soit tous les objets en métal, os travaillé, verre, pierre,… De vastes catégories regroupant un grand nombre d’artefacts ! Sur le site-école de Vidy, fouillé depuis 2013 par des chercheuses, des chercheurs, des étudiantes et des étudiants de l’UNIL, on compte déjà plus de 120 000 morceaux de métal de tous types ! Et cela ne comprend pas les monnaies, qui forment un domaine à part entière.
Cette tête de clou fait donc partie de l’ensemble très vaste des découvertes du chantier-école de l’été 2022. Comment en avoir une vue d’ensemble ?
L’archéologue Fanny Lanthemann, responsable scientifique des fouilles, donne ces informations dans un Rapport d’intervention en plusieurs volumes. Une petite partie est consacrée à ce clou. Le texte d’analyse du mobilier est en pp. 89-99, les planches en pp. 281-308. Et le clou est illustré à la p. 95.
Vous avez présenté plusieurs photographies de ce clou au concours de photographie scientifique organisé par le Fonds national suisse. Pourquoi ?
J’étais justement en train d’étudier cet objet lorsqu’un e-mail au sujet de ce concours m’est parvenu. Dans le cadre de ma participation, j’ai misé sur l’idée que les visages humains possèdent une permanence et nous parlent toujours, malgré la distance entre les civilisations et les époques. J’ai tenté quelques images un peu « artistiques », d’autres plus scientifiques, et ajouté cette pince au manche rouge vif en arrière-fond pour donner l’échelle. Même si mes photographies n’ont pas été primées, l’une a été diffusée sur leur compte instagram, ce qui est très gratifiant.