two spirited

Two-Spirited

L’équilibre des énergies homme-femme ; Partager le savoir des personnes Indigènes d’Amérique du Nord

Rédigé par : Céline Rossat

Avant tout, il est important que je me présente et que je partage les raisons qui me poussent à rédiger cet article. Je m’appelle Céline, je suis née et ai grandi en Suisse. J’ai eu la chance, au cours de mes études, de suivre les enseignements de Lacey King à Queen’s University, au Canada. Je lui dois la majorité de ce que je sais de la culture indigène d’Amérique du Nord. En écrivant cet article, je partage un savoir qui ne m’appartient pas, et qui est encore aujourd’hui stigmatisé, volé et dévalorisé. J’écris donc ceci avec une grande humilité et un respect profond d’une culture complexe dont je ne connais que des bribes. Je pense que les individus qui, comme moi, ont grandi en Europe ont appris à percevoir le monde à travers le prisme occidental et pensent encore trop souvent qu’il ne peut en être autrement. Néanmoins, un savoir immense nous vient des quatre coins du monde, et il est temps d’arrêter d’essayer de l’effacer. Je m’efforce donc, à mon échelle et dans la limite de mes connaissances, de le partager. Dans ce texte, j’utilise le terme « culture indigène » et « savoir indigène » dans un souci de simplification, mais il est important de comprendre qu’il n’existe pas une seule culture indigène d’Amérique du Nord, mais que les coutumes et savoirs de cette population sont variés et complexes.

« You are called two-spirit children…because our creator knew those of us who could only see through the eyes of one spirit…needed those who could see through the eyes of two. »

Jim Yerman

Niizh manidoowag est un terme anishinaabeowin utilisé pour décrire les individus ayant à la fois un esprit masculin et féminin. En anglais, ce terme a été traduit par « Two-Spirited » et en français par « bispiritualité ». Le terme Two-Spirited s’est alors répandu et se réfère aujourd’hui aux personnes indigènes dont l’identité de genre ou l’attraction sexuelle reflètent une énergie à la fois féminine et masculine. Nos habitudes occidentales tendent à nous faire décrire les personnes Two-Spirited comme appartenant à la communauté LGBTIQ+, pourtant, c’est une vision colonialiste qui est rejetée par de nombreuses personnes indigènes (Bispiritualité, n.d.). En effet, être Two-Spirited contient une dimension spirituelle importante, et les personnes Two-Spirited sont considérées comme ayant un lien spécial avec les forces spirituelles. De ce fait, ces personnes sont respectées, valorisées, et occupent souvent des rôles de chamanes ou de guérisseuses (Brown, 2014). Two-Spirited est un terme parapluie relativement nouveau, car chaque culture indigène lui attribue un nom différent. Certaines cultures définissent ces personnes avec des termes précis décrivant leur genre et sexualité, et d’autres cultures les définissent simplement par leur rôle spécifique au sein de la communauté. Néanmoins, toutes valorisent l’équilibre particulier entre les énergies mâles et femelles qui habitent les personnes Two-Spirited (Harris & Lone Dog, 1993). Ainsi, avant le colonialisme, de nombreuses cultures indigènes d’Amérique du Nord possédaient une grande diversité en terme d’identité et de rôle de genres, ébranlant nos visions occidentales qui tendent à définir les normes binaires et hétérosexuelles comme « naturelles » (Alaers, 2010).

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Dans une interview passionnante, Curtis Harris et Leota Lone Dog (1993) nous parlent de deux personnes qui ont marqué la communauté Two-Spirited : We’Wah et BarCheeAmpe. We’Wah est né.e autour des année 1850 dans un corps masculin. Lorsqu’iel eut environ 4 ans, iel reconnu être ce qu’on appelle Two-Spirited. We’Wah occupa alors, au sein de sa communauté, des rôles traditionnellement féminins. Iel fut invité.e à Washington où iel fut pris.e pour une femme cisgenre à forte musculature. On célèbre aujourd’hui We’Wah pour son intelligence, le rôle qu’iel a joué en tant qu’ambassadeur.rice culturel et pour son impact sur la préservation de la culture de sa nation (We’wha, n.d.).

BarCheeAmpe, de son côté, est née au début des années 1800 et était une femme guerrière de la communauté Crow, connue pour son courage et ses nombreuses épouses (Harris & Lone Dog, 1993).

Dans l’interview, Curtis Harris mentionne l’importance de ces représentations, qui permettent non-seulement aux personnes Two-Spirited de s’identifier à des figures historiques, mais qui invitent aussi les individus à s’intéresser et à se renseigner sur l’histoire des personnes indigènes (Harris & Lone Dog, 1993).

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Malgré ces personnages légendaires, le génocide culturel perpétré par les colonisateurs européens a banni ce savoir de nos livres d’histoire.  

Le 12 avril 1876 l’Indian Act est introduit au Canada. C’est une loi fédérale visant l’éradication de la culture indigène et l’assimilation des personnes autochtones à la culture européo-canadienne. A la suite de cette loi, de nombreuses cérémonies indigènes furent interdites et le gouvernement introduit, en 1876, les Ecoles Résidentielles (The Indian Act | The Canadian Encyclopedia, n.d.). Ces écoles avaient pour but d’assimiler les enfants à la culture européo-canadienne, les enlevant de force à leur famille, leur interdisant de parler leur langue maternelle et leur enseignant le catholicisme. Ces écoles ne furent fermées qu’en 1996, après avoir causé la mort de plus de 6’000 enfants (Residential Schools in Canada, n.d.). Nous savons également aujourd’hui que de nombreux abus physiques, sexuels et psychologiques ont été infligés à ces enfants. Les conséquences de ces écoles, en termes de traumatismes transgénérationnels et de génocide culturel perdurent encore aujourd’hui (Residential School History – NCTR, 2020).  Elles sont d’autant plus tragiques lorsque l’on sait que la culture indigène se transmet oralement. Ces écoles, et toutes les mesures visant à l’assimilation des personnes indigènes dans la culture colonialiste, ont participé non-seulement à l’oubli et à la dévalorisation de nombreuses traditions et savoirs précieux, mais sont aussi responsables des discriminations et des taux catastrophiques de troubles psychologiques (alcoolisme, dépression, etc.) dont souffrent aujourd’hui encore les personnes indigènes (Boksa et al., 2015).

Finalement, les enseignements de Lacey King ainsi que mes propres recherches m’ont fait réaliser à quel point ma vision du monde était limitée. Le savoir occidental, la science et l’histoire sont influencés par nos mœurs sociales. Il est impossible de décrire un phénomène sans utiliser un langage occidental, et les objets même de nos études, toutes filières confondues, dépendent de notre contexte socio-historique. Echapper à ce filtre qui façonne nos croyances est extrêmement difficile. On croit qu’être non-binaire, transgenre ou gay est quelque chose de nouveau, de « woke ». On nous dit que le patriarcat a toujours existé, que les différences de genres sont innées, et que la force et la violence ont toujours régit nos sociétés. Nous ignorons stratégiquement toutes les cultures qui nous ont prouvé le contraire. Nous les discréditons en les traitant de « sauvages », nous les analysons et les disséquons à la lumière de nos propres projections, sans prendre le temps d’écouter les personnes directement concernées. Nous manquons d’humilité.

J’ai conscience de l’hypocrisie de ma position, ayant tracé cet article de ma plume de femme européenne blanche. Il est donc temps pour moi de me taire et de vous encourager à rechercher, lire et écouter celle.ux qui racontent leur propre savoir.

Pour vous aider à entreprendre ce chemin, voici quelques références :

Bibliographie :

Alaers, J. (2010). Two-Spirited People and Social Work Practice: Exploring the History of Aboriginal Gender and Sexual Diversity. Critical Social Work, 11(1), Article 1. https://doi.org/10.22329/csw.v11i1.5817

Bispiritualité. (n.d.). Retrieved April 1, 2025, from https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/two-spirit

Boksa, P., Joober, R., & Kirmayer, L. J. (2015). Mental wellness in Canada’s Aboriginal communities: Striving toward reconciliation. Journal of Psychiatry & Neuroscience : JPN, 40(6), 363–365. https://doi.org/10.1503/jpn.150309

Brown, L. B. (2014). Two Spirit People: American Indian Lesbian Women and Gay Men. Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315877778

Chiblow (Ogamauh annag qwe), S. (2019). Anishinabek Women’s Nibi Giikendaaswin (Water Knowledge). Water, 11(2), Article 2. https://doi.org/10.3390/w11020209

Harris, C., & Lone Dog, L. (1993). Two Spirited People: Understanding Who We Are as Creation. 19(1), 155–164.

Residential School History—NCTR. (2020, December 21). https://nctr.ca/education/teaching-resources/residential-school-history/, https://nctr.ca/education/teaching-resources/residential-school-history/

Residential Schools in Canada. (n.d.). Retrieved December 8, 2023, from https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/residential-schools

The Indian Act | The Canadian Encyclopedia. (n.d.). Retrieved April 2, 2025, from https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/timeline/the-indian-act

We’wha. (n.d.). National Women’s History Museum. Retrieved April 1, 2025, from https://www.womenshistory.org/education-resources/biographies/wewha