Flavia von Xylander
Tout d’abord, parlons de mythes, les mythes sur le viol
C’est l’histoire d’une femme qui marche dans la rue. Elle est seule et normalement vêtue. C’est l’histoire d’un homme qui marche dans la rue, il est seul mais on ne se demande pas comment il est vêtu. Cet homme rencontre cette femme et soudain il n’y voit plus. Le viol advient et personne n’y aurait cru.
Au cœur des thématiques actuelles sur le consentement, le viol et le harcèlement de rue, il est important d’avoir conscience qu’il existe de nombreux mythes planant autour du viol et que ceux-ci engendrent énormément de conséquences.
Le scénario venant d’être décrit fait partie de la représentation majoritaire que l’on se fait lorsque nous pensons au viol[1]. Mais celui-ci est appelé mythe car il est loin de représenter la majorité des viols qui adviennent réellement[2]. En fait, nous nous retrouvons dans une étrange situation où la norme est donnée par la minorité des situations, et non par la majorité.
En effet, dans le viol, on y voit quasiment toujours un inconnu aux mauvaises intentions qui voudrait faire du mal. Un individu anormal, car toute personne normale ne ferait jamais une chose pareille. Celui-ci agresserait la femme et serait tellement méchant qu’il ne prendrait même pas la peine de l’amener dans un lieu privé. Non. Il la violerait là, en public, et sera particulièrement violent[3].
Une vision du monde démunie de nuances, un certain nombre de stéréotypes vont de pair avec ce mythe du « vrai viol » : le violeur ne pourrait être qu’homme, il ne pourrait être qu’inconnu et la victime ne pourrait être qu’une femme qui n’aurait rien à se reprocher. Posant la question de ce qui est reprochable ou non, nous pouvons y voir un idéal du comportement féminin peu représentatif de la réalité mais surtout, très influencé par les dictats de la société.
Le Victim Blaming
Parce qu’un mythe est perçu par certain·e·s comme une réalité, toute agression sexuelle advenue mais n’entrant pas dans la norme invoquée par ce mythe serait sujette à interprétation. Celle-ci donnerait même naissance à un flou qui dérange. Selon des psychologues sociaux, la motivation à réduire l’incertitude serait une des motivations principales de tout individu : le monde doit être prévisible et compréhensible, sinon il engendre un profond inconfort.
Motivé·e·s par la volonté de se libérer de cet état d’inconfort le plus rapidement et le plus efficacement possible, les stratégies employées sont nombreuses mais peuvent mener à des conclusions erronées. Ce mécanisme est, selon les psychologues, déclenché par la croyance en un monde juste[4] : le monde serait un environnement profondément juste et donc on ne pourrait qu’obtenir « ce qu’on mérite ou mérite[r] ce qu’on obtient »[5].
Il ne s’agit donc pas de trouver des arguments réels pour expliquer un phénomène pour nous incompréhensible, mais il s’agit de trouver des arguments – pas toujours solides – nécessaires pour ne pas devoir remettre en question cette croyance sous-jacente. En effet, si tout le monde mérite ce qu’il·elle obtient, alors comment cela peut-il arriver à quelqu’une qui n’a rien à se reprocher ?
Dans le cas du viol, le victim blaming est une des stratégies principales mises en œuvre par les individus afin de réduire leur inconfort. Celle-ci consiste à blâmer la victime à la place de se concentrer sur l’agresseur lui-même[6]. Conséquence directe du stéréotype de la « vraie victime », elle semblerait être particulièrement efficace. Il s’agit de tous les comportements cherchant à trouver les causes de l’incident en amont du crime, mettant la femme au centre des préoccupations : on lui demandera comment elle était vêtue, si elle avait bu, ou si elle a fait quoi que ce soit pour instiguer son agresseur.
Puisqu’il est plus facile de trouver une faute chez la victime plutôt que chez l’agresseur, celle-ci serait de toute façon reprochable et donc, elle serait en partie responsable[7]. De ce fait, l’agresseur se verrait béni d’une certaine empathie, lui retirant ainsi une part de responsabilité sur les évènements : il n’a juste pas su lire les messages contradictoires dégagés par la femme. Elle avait qu’à être plus claire après tout, ne pas montrer ses jambes, sa poitrine ou son fessier ; ne pas être trop discrète ou au contraire trop se montrer ; ne pas être seule, ne pas être ivre, ne pas être en train de dormir… Ou bien, tout simplement, ne pas exister.
La législation suisse
Les mythes sur le viol sont nombreux et il est malheureusement impossible de tous les évoquer dans cet article. Mais rien que le mythe d’un viol violent et ses stéréotypes associés nous permettent de comprendre qu’il y a un réel problème de fond à éradiquer dans nos sociétés. Un problème qui nous empêche de pouvoir reconnaître l’action subie par certaines victimes et agir sur toute action pouvant être menée par un·e agresseur·seuse.
Car l’Inconscient collectif, ce n’est pas seulement les citoyens, c’est les institutions elles-mêmes qui fondent leurs lois, leurs attitudes et leurs décisions par rapport aux croyances partagées. Ainsi, se déploie tout le problème de la crainte de la dénonciation et donc, celui du silence des victimes.
Il n’a pas été très dur de voir inscrit, noir sur blanc, la représentation totalement réductrice que la loi elle-même donne à voir sur ce que nous considérons comme un viol. Et donc, ce sur quoi il est possible d’avoir un pouvoir d’action.
[8]« Viol – Article 190
1Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de un à dix ans. »
En effet, la première chose sautant aux yeux est le côté genré de l’article : celui-ci suppose qu’une victime de viol ne peut être que de sexe féminin. Les hommes, eux, passeraient donc totalement à la trappe. Deuxièmement, on y voit également se manifester une représentation du viol ne pouvant qu’être violent : il y a nécessité de « menace » et de « violence » explicite pour considérer un viol comme tel. Ceci renforce l’idée d’une domination forte de l’agresseur sur la victime, étant tellement puissante qu’il la mettrait « hors d’état de résister ». En d’autres termes, si la personne avait pu résister et qu’elle ne l’a pas fait, on ne l’a pas violée. Les autres raisons qui pourraient amener une victime à ne pas résister, comme l’amour que l’on peut porter à une personne, le fait de ne pas se rendre compte tout de suite de ce qu’il se passe, ou bien simplement d’être pris·e par une paralysie, demeurent encore des oubliés.
Ainsi, la victime aurait presque intérêt à être gravement blessée/marquée par l’acte lorsque celui-ci se passe, pour avoir l’infime espoir d’être crue et que ce qu’il·elle a subi lui soit reconnu. Sans preuve de résistance ou de lutte de sa part, sans preuve de vrai traumatisme, en d’autres termes, sans séquelles visibles, la victime ne sera pas considérée comme crédible. Ainsi, elle demeurera consentante jusqu’à preuve du contraire.
[1] Du Mont, 2003
[2] http://www.victimedeviol.fr/concernant-les-victimes.html
[3] Du Mont, 2003
[4] Burt, 1980
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Croyance_en_un_monde_juste
[6] Burt, 1980
[7] Carmody & Washington, 2001
[8] Code pénal suisse, page 90
Références :
- Burt, M. R. (1980). Cultural Myths and Supports for Rape. Journal of personality and Social Psychology, 38 (2), 217-230.
- Carmody, D.C. & Washington, L.M. (2001). Rape Myth Acceptance Among College Women: The Impact of Race and Prior Victimization. Journal of Interpersonal Violence, 16, 424-436.
- Code penal Suisse, version révisée (2020)
- Du Mont, J. D., Miller, K.-L., & Myhr, T. L. (2003). The Role of « Real Rape » and « Real Victim » Stereotypes in the Police Reporting Practices of Sexually Assaulted Women. Violence Against Women, 9(4), 466-486.
- Image : https://thecreative.cafe/four-years-ago-i-was-sexually-molested-4bc4e8e886fc