A l’heure où plus que jamais, l’importance de la pluralité des opinions est sacralisée sur l’autel des dites démocraties occidentales modernes, dans une époque du je pense donc je suis et où le moi je narcissique et non générique est exacerbé à tort et à travers, où le savoir est noyé, broyé et mis sous silence au milieu du tintamarre, des vociférations, et de la diarrhée verbale de la jungle des opinions, Héraclite au secours !
Moi j’ai monde imaginaire.
Dans notre société libérale capitaliste moderne, nous assistons au culte de l’individu. Ce dernier est encouragé corps et âme à faire éclore au grand jour sa subjectivité face au Réel, à travers l’art musical notamment où de jeunes musiciens et musiciennes nous emmènent dans leurs univers à l’aide de mélodies parfois entraînantes, parfois pas du tout. S’il y a, bien sûr eu, de grands réalisateurs, écrivains ou musiciens qui surent d’une manière ou d’une autre faire usage de leur talent pour transposer et objectiver le Réel à travers leur art, eux ne font qu’émettre leurs colères, leurs points de vue et leurs visions du monde. Vision du monde toute subjective, construite sur la base d’opinions, d’affect et souvent bien bordelique qui leur permet d’étaler tout leur pathos. Cet art compensatoire qui n’est qu’un refuge face à l’angoisse de l’horreur de notre époque n’est rien d’autre qu’un mensonge dans lequel tuer les angoisses que font naître, en eux, l’état de la société d’aujourd’hui. Chacun se renferment alors dans son petit monde musical, littéraire ou cinématographique pour tromper l’angoisse objective que le Réel, tel qu’il se présente à nous, génère en notre être. Nombreux sont ceux qui semblent avoir oublié qu’il y a pour les éveillés un monde unique et commun mais (que) chacun des endormis se détourne dans un monde particulier. (2) Ils sont dès lors incapable d’entendre le discours vrai.
Moi je pense que… Moi je consomme tous les mensonges de ce monde…
Oui comme nous le disions déjà précédemment, notre époque érige l’individu et sa pensée subjectiviste en véritable roi. On lui fait croire qu’il est unique. On l’encourage à exprimer ses opinions, ses revendications, ses affects au nom de la liberté d’expression et de la pluralité des opinions de nos dites démocraties libérales. Le libéralisme est bien présent aujourd’hui, sans nul doute, quant à la démocratie nous laisserons chacun en juger… Revenons plutôt à ce moi je qui pense, ce moi je qui veut, ce moi je qui sait… Ce moi je n’est, en réalité, absolument rien si ce n’est un individu atomisé, aliéné de sa vie, réduit à être qu’un consommateur de grande surface, un produit de la démocratie de marché et d’opinion qui le flatte qui le maintien dans l’idée qu’il existe, qu’il est unique. Ainsi, ignorant qu’il n’est rien, il est incapable par une démarche dialectique de devenir quelqu’un. Il ignore que l’angoisse qui le ronge est d’ordre objective, dû à son humanité aliénée par le monde du salariat, de la surconsommation et de la concurrence libérale qui engendre, chez lui, un néant, un vide ontologique, qu’il cherche à combler en consommant encore davantage. Aujourd’hui, ceux qui associent le shopping à une forme de thérapie ou de reconstruction ne sont pas rares… Le moi je dépressif et consommateur sous prozac reste tout de même très orgueilleux et bien décidé à exister envers et contre tout. Il a un perpétuel besoin de se sentir unique, différent des autres. Il arbore parfois des tenues extravagantes, un style qui lui semble être bien à lui, sans pour autant nécessairement le rendre plus élégant. Piercing et tatouages sont également pour lui des moyens parmi d’autres d’exposer sa singularité. Signes extérieurs d’une singularité qui occulte un néant intérieur, une absence de contenu, un vide ontologique similaire aux autres individus qui déambulent avec lui dans le monde de la société marchande. Faisant de ce fait, chacun de ces moi je des consommateurs indistingués. Au final, par cette démarche moi je ne fait rien d’autre que d’exposer un choix de consommation qui lui est propre et qui, croit-il, le rend unique. Absurdité sans nom qui amènerait à dire que deux individus se distingueraient l’un de l’autre car le premier ferait ses courses chez Migros alors que le second irait chez Coop. Et somme toute, c’est une envie que l’on retrouve chez tout le monde que de ne pas vouloir être comme tout le monde. L’Homme qui recherche la vérité, la compréhension du discours vrai sort du monde mensonger dans lequel il est noyé pour atteindre la sagesse et la connaissance universelle lui permettant de se réapproprier son être générique. Il fait fît de ses désirs, de ses croyances, et de son orgueil. Il remet en question les dogmes établis par le groupe collectif dans lequel il est immergé. Il interroge le poids des traditions et des croyances collectives pour comprendre le monde unique et commun à tous.
Moi je consomme autant qu’il est consommé et consumé.
Moi je fétichise, la marchandise, mais devient à son tour également une marchandise. La société libérale est en elle-même une totalité qui détruit l’Homme au sens ontologique du terme pour devenir à son tour un produit de consommation qui doit se distinguer parmi les autres produits tout aussi narcissiques que lui sur les différents marchés. Que ce soit sur celui de l’emploi où il est amené à être le plus employable et le plus rentable possible, à faire du chiffre, à être productif, à être plus attractif et plus rentable que ses concurrents qui pourraient un jour le remplacer. Marquant pour lui sa date de péremption. Ou alors que ce soit le marché de la séduction pour pouvoir, faute de contenu, avoir un contenant attractif, attrayant, et vendable. Cela à travers divers rituels et mises en scènes d’un soi vide et narcissique pour pouvoir attirer à lui un autre contenant et à eux deux rassurer leur néant en devenant le couple. Autrement dit l’agrégation de deux êtres en souffrances, de deux consciences malheureuses, atomisées et désincarnées, vivant côte à côte, pour fuir abstraitement le monde des hommes éveillés, le seul monde commun à tous et ainsi rester enfermés dans leurs mensonges.
Lorsque la consommation ne suffit plus, que l’aliénation de son humanité se fait trop ressentir Moi je se tourne vers différentes formes de spiritualité telles que le Yoga, le Bouddhisme, le Taoïsme, etc, qui seront pour lui une manière de compenser son humanité aliénée. Le Grand Capital pourra, toutefois, voir couler encore de beaux jours devant lui et se réjouir de voir exploser les ventes, dans le domaine de la littérature touchant à ces sujets.
Moi je a droit à….
Moi je est arrogant et esclave de ses sentiments. Sa pensée est fragmentaire, sa compréhension du monde objectif lui est impossible puisqu’il est gouverné par ses affects et sa subjectivité. A tout discours qu’il entend, à toute parole qui porte atteinte à sa vision du monde, à ses affects ou à son individualité narcissique, il répondra par la colère, n’hésitera pas s’il est organisé en officine à faire taire les paroles qui ne lui conviennent pas. Celles qui le bousculent dans son petit monde qu’il s’est construit. Ignorants tout de ce qu’il vient d’entendre, incapable de comprendre l’objectivité du discours en faisant usage de sa raison, il croit ouïr une subjectivité immédiate qui s’opposerait à la sienne. Contre laquelle il se doit de livrer un combat à mort. Oui, Moi je peut aisément être un tyran lorsqu’il en a l’occasion. Puisqu’il ignore qu’il existe un monde commun à tous, par protection de son petit monde fragmentaire et particulier face à l’intrusion d’un discours étranger il se doit, croit-il, par manque de sagesse, par manque de volonté de compréhension et de travail sur lui-même, de déclarer un combat à mort au locuteur qui l’exprime. Cela en ignorant, tout, des motivations de ce dernier. Les chiens aboient seulement contre celui qu’ils ne connaissent pas. (3)
Bien que tyrannique, moi je est également un éternel enfant. Il s’accroche à ses opinions héritées par son milieu social, ses désirs, et ses passions dont il n’interroge pas la source. Il y est enchaîné et s’y accroche comme un enfant s’accroche à ses bibelots. Il ne se donne pas les moyens d’obtenir la possibilité d’opérer un saut qualitatif, de s’émanciper de son subjectivisme erroné, hérité de son milieu social ainsi que de ses paires et devenir adulte : jouets d’enfants, les opinions humaines. (4)
Puisqu’il reste un éternel enfant, guidé par ses opinions Moi je est un esclave au service du Grand Capital. Moi je vit dans l’immédiateté. Il ne connaît pas sa provenance. Il ne sait pas qu’autrefois un autre monde a existé, dans lequel ses ancêtres ont vécu. Un autre possible a été hier et sera à nouveau demain. Il essentialise le monde tel qu’il est aujourd’hui. Sans comprendre qu’il est perpétuellement en mouvement. Ses idées sont arrêtées. Somme toute, bien qu’utopiste et revendicateur, Moi je manque d’imagination et n’est guère subversif. Il essentialise le monde tel qu’il est aujourd’hui à un moment T. Il ne veut pas s’en émanciper radicalement, il veut simplement le réformer. Il croit en un monde où l’argent pourrait être géré, où le travail ne serait pas aliénant pour l’homme, où l’existence de la valeur argent ne créerait ni inégalité, ni exploitation. Un monde où la merde du capital pourrait être gérée. Il veut un monde qui soit à la fois différent et à la fois le même. Il veut un monde qui soit différent tout en essentialisant les institutions telles que la banque, l’Etat, le droit qui en sont le fondement même. Moi je au mieux est comme Bakounine. Il croit pouvoir abolir l’Etat par décret.
Moi je ne comprend pas les grilles de lecture fines. Moi je est lourd. Il vocifère à travers un porte-voix quand il n’est pas content. Moi je n’est pas en phase avec le mouvement réel de l’Histoire. Ses idées sont donc arrêtées. Moi je est figé, analysant le monde avec la finesse d’une pelleteuse. Moi je est une pelleteuse en panne. Il ne comprend pas que rien n’est immuable.
Moi je vit et raisonne dans l’immédiateté. Il ne comprend pas que les événements qui se déroulent devant ses yeux, face auxquels il réagit, sont les conséquences d’une réalité globale et objective qui le dépasse. Moi je est donc un réactionnaire sporadique. Si Moi je a une pensée cantonnée dans l’immédiateté des événements, Moi je a aussi une conception de la vie limitée aux sentiments spontanés. Il recherche les plaisirs instantanés. Il cherche à accumuler le plus possible ces petits instants qui font certainement le sel de la vie, mais qui ne font, cependant pas, une vie. Moi je accumule donc les plaisirs et connaît le sentiment agréable du besoin immédiat assouvi. Lorsqu’une activité le mène au plaisir il ne s’interroge pas davantage. Les choses lui vont. N’étant conscient ni de l’objectivité ni de l’unicité du monde qui l’entoure, il ne comprend pas la place qu’il occupe au sein de ce dernier, ni la fonction objective de ses actes. Et encore moins les conséquences qui en découlent. Et bien que motivé pas des affects, des passions ou des visions du monde qui ne correspondent pas au Réel, ses actes ont tout de même des effets de réalité sur ce dernier. Moi je pérennise dès lors les conséquences des causes qu’il déplore et Dieu rit de lui. Car Moi je est un consommateur endormi mais Les dormeurs sont ouvriers et co-ouvriers de ce qui se fait dans le monde. (5)
Moi je accumule quantitativement les plaisirs ici-bas mais ne connaît pas le bonheur de l’apaisement et de la plénitude constante de celui qui a compris l’unicité du monde, son mouvement et la place, qu’en tant qu’Homme, il occupe. Il ne connaît pas l’état de bien-être de celui qui s’est émancipé de ses illusions. De celui qui a pris conscience de ses déterminants sociaux qui l’amenaient à naturaliser les constructions sociales qui prenaient corps sous ses yeux. De celui qui connaît la place qu’il occupe au sein du monde et qui réalise la portée de ses actes, et leurs conséquences. Ayant une conscience générique et en phase avec l’unicité du Réel, il ne participe pas par ses actions à entretenir les causes des conséquences qu’il déplore. Etat de plénitude qui demande, toutefois, de renoncer à certains plaisirs immédiats. Et de par cela, supporter quelques souffrances à court terme. Ce que Moi je ne saurait souffrir.
Il se croit subversif et libre des ses choix alors qu’il occupe exactement la place que l’on attend de lui, puisqu’il ne prend aucunement conscience de ses déterminations sociales, ni de sa fonction objective. Biologiquement il n’est plus un enfant, mais en termes de sagesse et de connaissance il l’est resté. Il devient alors un adulescent. Un individu d’âge adulte cherchant à rester bercé par le monde de l’enfance. Le maintenant ainsi indéfiniment à l’état de consommateur.
Moi je règne donc sur son petit monde comme un roi sur son royaume qu’il défendra corps et âme, par toutes les manières, jusqu’à la mort face aux attaques des puissances voisines concurrentes. Il s’alliera toutefois volontiers avec celles qui lui apparaissent comme de potentielles alliées. Car au fond de lui, il sait tout de même un peu, au moins, moi je, que seul il ne peut pas grand-chose. Il est incapable d’envisager, cependant, que l’interlocuteur face à lui ne soit guidé par une opinion, un sentiment, un point de vue, par un intérêt autre que celui de l’amour de la vérité et de la sagesse. Il ne comprend pas qu’à travers sa bouche c’est le Réel qui s’exprime en lui. Il est sage que ceux qui ont écouté, non moi, mais le discours, conviennent que tout est un. (6) Moi je ce n’est pas le discours qu’il écoute mais la personne dont il croit celui-ci dépendant. Vu qu’il ne comprend pas le discours vrai, puisqu’il est incapable d’analyser et sentir le monde tel qu’il est objectivement, il est donc, par enchaînement logique, dans l’incapacité totale de le retranscrire. Il reste alors accroché à ses jouets d’enfants. Il ne comprend pas que, mille ans avant lui, d’autres philosophes tenaient le même discours et, mille ans après lui, d’autres continueront encore. Au final, Ne sachant pas écouter, ils ne savent pas non plus parler. (7)
Somme toute, il est tel un enfant au langage et à la rationalité limitée face au discours du philosophe. Marmot qui n’a pas la parole ! L’homme s’entend ainsi appeler par l’être divin, comme l’enfant par l’homme. (8) Il est incapable de comprendre quoi que ce soit. Pourtant il veut parler car il pense en avoir le droit. Il invoque sa liberté d’expression. Il n’est pas dans la connaissance, dans l’analyse de ce qui est mais uniquement guidé par ce qui lui semble être et élague de sa route tout ce qui génère en lui une dissonance cognitive. Les nombreux ne pensent pas les choses telles qu’ils les rencontrent, ni, en étant instruits, ne les connaissent pas, mais il leur semble. (9) Son monde social et les phénomènes qu’il engendre, il les naturalise. Il ne comprendra pas, lorsque le philosophe qui se tenant en face, qui ayant déconstruit les mensonges et les illusions de la société, qui s’étant émancipé de ses affectes, de ses croyances individuelles et collectives pour se réapproprier son être universel et perméable à la vérité en soi, cessant ainsi d’être un étranger pour lui-même, lui dira Je me suis cherché moi-même.(10)
Plus il est ignorant, plus il veut parler. Plus la vérité et le discours vrai se feront entendre à ses oreilles plus, il voudra les étouffer dans le bruit de ses salves verbales défécatoires. Il prêche le faux, matin, midi, après-midi, le soir et la nuit. Il a tant de choses à dire, à exprimer, que pour lui, même vivre mille ans ce serait encore trop peu. Ignorant qu’il est ignorant, il ignore que Son ignorance, mieux vaut la cacher (11). Sans cela, la honte le retiendrait un peu. Cela ne serait pas la loi qui le ferait taire, mais la propre conscience de sa méconnaissance et la peur du ridicule.
Moi je vote…
Ainsi nous voyons se déployer sous nos yeux la société d’aujourd’hui, du moins en Europe. Celle de la démocratie représentative, le citoyen électeur consommateur qui est appelé à élire ses maîtres. Il y a les électeurs de gauches, les électeurs de droite, de la dite extrême droite et de la dite extrême gauche, et ceux du centre. La gauche communiste déteste la gauche socialiste car cette dernière est plus réformatrice que révolutionnaire. La droite libérale classique déteste l’extrême droite trop protectionniste, trop fasciste, etc… Chacun des partis se met en spectacle en présentant un comédien-candidat qui s’exprimera dans l’arène politico-théâtrale. Tantôt certains nous expliqueront qu’il y a trop d’immigration et qu’il faut fermer les frontières. D’autres vous diront que l’immigration est une chance et qu’il faut commencer à apprendre l’accueil de l’Autre. D’autres vous diront que le problème n’est pas l’immigré mais le patronat. D’autres encore vous diront que ce sont les ouvriers qui sont trop fainéants, qu’il faut cesser avec le salaire minimal qui est cause d’inflation et de chômage quand d’autres voudront le maintenir. Il y aura ceux qui vous diront qu’ils luttent contre le capitalisme, le fascisme, le racisme, qu’il faut régulariser tous les sans-papiers, déchirer la chemise des grands patrons et se battre contre l’extrême droite. Et l’électorat de consommateur endormi est appelé à choisir pour le candidat qui selon lui s’est le mieux vendu. Les universités produisent en série des experts en politologie qui décortiqueront les différents partis et mouvements de manière fragmentaire. Ils vous expliqueront ce qui fait l’essence des différentes idéologies politique, s’attarderont sur des questions concernant le clivage gauche-droite. Ils ne sont rien d’autre que des agents d’Etats payés pour commenter le spectacle politico-médiatique et lui permettre de se maintenir. Ainsi, nous verrons naître des experts de l’extrême droite ou encore des experts du mouvement fasciste, des spécialistes du communisme, de l’anarchisme, du marxisme, du néo-libéralisme et de, Nom de Dieu ! tous les ismes qui peuvent exister sur cette Terre. Ces experts, ils sont comme Hésiode : Le maître des plus nombreux, Hésiode. Celui-ci, ils croient fermement qu’il sait plus de choses, lui ne connaissant pas le jour et la nuit : car ils sont un.(12) Hésiode, lui qui possédait une connaissance immense se trouvait dans l’incapacité d’expliquer les phénomènes qui, chaque jour ou chaque nuit, se donnaient immédiatement à nous. La nuit et le jour, Hésiode considérait la première indépendamment du second. Alors que la présence de la première n’exprime rien d’autre que l’absence du second. Il s’agit là de deux entités contraires qui se succèdent l’une à l’autre, dans le temps. Quand l’une arrive, l’autre alors s’en va pour revenir, plus tard. Il est impossible de concevoir l’idée de nuit si l’on ne conçoit pas également l’idée de jour. Car ils forment à eux deux une totalité. De ce fait, Hésiode ne connaît ni le jour ni la nuit, car pour cela il lui faudrait non pas les connaître séparément mais ensemble. Ainsi, la gauche et la droite sont telles le jour et la nuit. Elles se partagent de manière complice le pouvoir dans le temps elles se font l’une et l’autre des politesses avant de céder la place…pour revenir plus tard…Tous ces mouvements, idéologies ou partis politiques ne peuvent qu’être saisis et expliqués ensemble car ils font partie d’un même empire, d’une même totalité qui est celle du grand capital, sur laquelle il règne en maître. Par leur fausse opposition, la droite et la gauche peuvent se maintenir et retarder la crise du Capital. Quant à l’extrême droite et à l’extrême gauche qui, sur de nombreux points sauraient s’entendre, elles se regardent droit dans les yeux comme des sœurs ennemies et permettent ainsi à la gauche et la droite classique de pérégriner leur alternance dans le bal du libéral-socialisme. Au milieu de tout cela, Moi je vote en fonction de ses affects, de ses intérêts immédiats, de ses valeurs héritées de ses paires sans en avoir conscience. Il est condamné à choisir entre un capitalisme de gauche et droite, d’extrême gauche ou d’extrême droite. Il a la liberté d’aménager la merde du capital comme il lui sied. Somme toute, la gauche et la droite, non comprises indépendamment l’une de l’autre, ne sont que deux entités contraires constitutives d’un même Tout. Celui d’un monstre qui se met en marche lentement mais sûrement, un pas à gauche, un pas à droite, dont la tête pensante n’est autre que celle du Grand Capital et dont la route mènera aux contrées paroxystiques de l’ultra-libéralisme généralisé, du tout marchandise et de l’aliénation de l’Homme par l’Homme. Mais une fois les contradictions du Capital intégralement consommées, les jambes du colosse craqueront sous le poids de ses dernières. Il s’effondrera et son crâne se fracassera au sol indépendamment des volontés, des opinions et des idéologies humaines misent sous silence par le mouvement réel de l’Histoire. Le spectacle sera terminé. L’odeur de son sang coulant sur le pavé montera jusqu’aux narines de ceux qui l’auront connu, de ceux qui l’auront vu vaciller. Son souvenir restera gravé encore un peu dans leur mémoire. Ils se prêteront à croire qu’un jour peut-être, il se relèvera. Le temps passant, il séchera pour devenir inodore et sans saveur. Et d’autres hommes naîtront, le nez vierge de ce parfum. Et demain commencera…
Yoann Lusikila, le 3 mars 2018
(1) Illustration: Emmanuelle Flauraud
(2) Conche, Marcel, Héraclite Fragments, Presse universitaire de France, Fragment 9
(3) Idem, Fragment 8
(4) Idem, Fragment 15
(5) Idem, Fragment 12
(6) Idem, Fragment 1
(7) Idem, Fragment 4
(8)Idem, Fragment 16
(9)Idem, Fragment 5
(10) Idem, Fragment 61
(11) Idem, Fragment 71
(12) Idem, Fragment 25