J.R.R. Tolkien, l’enraciné (1/3)

J.R.R. Tolkien, l’enraciné (1/3)

Cet article sur l’oeuvre incontournable de Tolkien sera publié en trois parties à raison d’une partie par semaine. Bonne lecture!

Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul,

Ash nazg thrakatulûk agh burzum-ishi krimpatul.

Est-il possible de rendre compte d’une œuvre aussi profonde, complexe, fournie et marquante que Le Seigneur des Anneaux ? Ne prend-t-on pas le risque de se faire submerger comme avait risqué de l’être son créateur, John Ronald Reuel Tolkien, qui mit douze ans à en venir à bout ? C’est possible, mais nous irons au combat, quoi qu’il en soit.

Toujours à l’heure prévue

J.R.R. Tolkien, poète, philologue, professeur d’anglais à l’université et écrivain, est né le 3 janvier 1892 en Afrique du Sud et est mort le 2 septembre 1973 à Bournemouth sur la côte sud de l’Angleterre. A la mort de son père d’une hémorragie en 1896, la famille du jeune Ronald (c’est ainsi que sa famille l’appelait) part s’installer à Sarehole, au sud de Birmingham. Cette particularité n’est pas anodine et a certainement influencé l’homme qui l’explique dans une de ses correspondances : « Je suis des West Midlands par mon sang (et j’ai pris goût au haut moyen anglais des West Midlands comme langue connue dès que je l’ai vu), mais peut-être qu’un trait de mon histoire personnelle expliquera en partie pourquoi « l’atmosphère du nord-ouest » m’attire à la fois comme une « patrie » et une découverte. Je suis en fait né à Bloemfontein, et ces impressions profondément ancrées, ces souvenirs latents de ma prime enfance, qui sont encore disponibles sous forme d’images pour être analysés, sont donc pour moi ceux d’un pays chaud et desséché. Mon premier souvenir de Noël est d’un soleil éclatant, de rideaux tirés et d’un eucalyptus qui se fane. » [1] Autre fait marquant la vie du jeune Ronald : la conversion de sa mère au catholicisme en juin 1900 qui la mise en porte-à-faux avec son environnement et a créé des dissensions au sein de sa famille. En effet, dans cette catégorie sociale répandue dans tout le Common Wealth, l’anglicanisme était une véritable référence culturelle. Sa mère meurt en 1904. Étudiant à la King Edward’s School, Tolkien explique dans une lettre avoir consacré l’essentiel de son temps à y apprendre le latin et le grec. « Mais j’ai également appris l’anglais. Pas la littérature anglaise ! À l’exception de Shakespeare (que je détestais cordialement), le principal contact avec la poésie consistait à devoir tenter d’en traduire en latin. Ce n’est pas une mauvaise initiation, même si c’est un peu superficiel. J’entends par appris l’anglais, des notions de la langue et de son histoire. J’ai appris l’anglo-saxon à l’école (ainsi que le gothique, mais c’était accidentel et sans aucun lien avec le programme, même si cela a été décisif : j’ai découvert à cette occasion non seulement la philologie historique moderne, qui faisait appel au côté historique et scientifique, mais aussi, pour la première fois, l’étude d’une langue par pur amour ; je veux dire pour l’amour du plaisir esthétique intense tiré d’une langue prise pour elle-même, non seulement sans souci de son utilité, mais même sans qu’elle soit le « médium d’une littérature ») ». [2] En décembre 1910, Ronald obtient une bourse pour le collège d’Exeter à Oxford. Là, il intègre des clubs et des associations et il découvre le Kalevala, un recueil de poèmes de la mythologie nordique. Cette découverte provoquera un déclic chez Tolkien : « Ces récits mythologiques sont plein de cette culture primitive et souterraine que, dans l’ensemble, la littérature européenne n’a cessé de réduire et d’éliminer depuis des siècles », [3] écrit-il dans une lettre. En juin 1916, Ronald part pour le front dans la Somme dans les Lancanshire en tant que fusilier et connait l’horreur des tranchées. Après la Première Guerre Mondiale, il obtient un poste de maître assistant à Leeds. En 1919, il collabore à la création d’un lexique anglo-saxon, puis obtient une chaire de langues anciennes à Oxford de 1925 à 1945 et de langue et littérature anglaise de 1945 à sa retraite en 1959. Il donne notamment des cours sur la légende de Beowulf, modèle de la littérature médiévale. Au début des années 1930, se crée le cercle littéraire des Inklings, une société savante défendant notamment la valeur de la fiction narrative, groupe d’amis chrétiens dont Tolkien mais également Clive Staples Lewis, créateur du Monde de Narnia, font partie.

Mais tout cela n’est que la toile de fond du véritable accomplissement de Tolkien : son œuvre littéraire. Il commence à créer sa première langue dès 1911, le quenya ou valinoréen, inspiré du finnois, langue du savoir, « latin des Elfes », qui comprendra plusieurs variantes : le vanyarin, le quenya exilique, le quenya númenórien et le quenya ñoldorin. Ce langage personnel, sur lequel il travaillera des décennies durant, complexe, développé et qui évoluera avec le temps, n’a donc pas grand-chose à voir avec l’espéranto. Pour s’habituer à son propre alphabet, Tolkien va jusqu’à écrire son journal intime dans cette langue fictive. Il ne s’imagine, à cette époque, pas encore romancier. Pourtant, il finit par se persuader que cette langue inventée a besoin d’une histoire pour la soutenir. Son univers va donc se fonder sur la constitution de langues fictives, avec tout l’appareillage critique d’une authentique philologue universitaire. Il commence donc par le plan linguistique, ce qui est très étonnant. Ses œuvres comprennent donc de très nombreuses langues inventées, pêle-mêle : le valarin : langue des Valar, les plus puissants des Ainur. Les langues elfiques : primitives comme l’eldarin commun ou le vieux sindarin, ou eldarines dont font partie le quenya, le telerin, le mátengwië, le nandorin ou encore le sylvain. Les langues humaines : Les langues taliskanes parmi lesquelles le taliska, le bëorien, l’adûnaïque, le hobbitique, la langue du Nord, les langues du Val d’Anduin ou le rohanais, et les langues halethiennes qui comprennent le halethien, le gondorien antique ou le dunlendais. La langue des Ents : l’entique, langue des esprits de la forêt. La langue des Nains : l’glishmêk et le khuzdul. Enfin, les langues de l’Ennemi : Le parler noir, créé par Sauron durant le Deuxième Âge, l’orquien, la langue des Wargs ou encore celle des Araignées géantes de Mirkwood.

Mais revenons au moment où Tolkien écrit son premier poème : Le Voyage d’Eärendel, qui deviendra la base du Silmarillion, sa mythologie. Il rédige après la guerre La chute de Gondolin ainsi qu’une première version des Enfants de Húrin. Le Silmarillion raconte la création et les premiers âges de son monde. Il va mettre tout son cœur, tout le sérieux dont il est capable dans ses recherches et dans ses travaux universitaires, dans la création de son univers. Le Silmarillion nous conte la création et la genèse d’Arda, le Royaume de la Terre à travers différents récit. L’Ainulindalë conte la naissance du monde produit d’une grande Musique harmonique des Ainur, à l’exception de Melkor qui voulut y imposer ses propres thèmes. Le Valaquenta décrit les attributions des Ainur, des esprits créateurs et parmi eux, les Valar, esprits supérieurs qui régnaient à l’aide des Maiar, esprits de second rang. Il nous apprend également l’histoire du Valar déchu, Melkor. Le Quenta Silmarillion est une histoire détaillée du monde, parsemée de guerres et de conflits. Il contient l’histoire des Derniers Enfants d’Ilúvatar, les humains, qui ne purent résister face aux armées de Melkor, symbolisée par la Chute de Gondolin déjà mentionnée. Ce récit se termine à la fin du Premier Âge, lorsque Melkor fut jeté au-delà des remparts du monde. L’Akallabêth nous raconte les évènements du Second Âge. La chute de Númenor, une grande île offerte aux Hommes en cadeau par les Valar. Les númenóréens ayant fini par jalouser les Elfes et les Valar, manipulés par Sauron, un Maia corrompu par Melkor (Morgoth), capturé et emmené par le roi de Númenor sur son île, cette dernière fut engloutie en représailles d’une attaque contre Valinor fomentée par les Hommes. Ceux restés fidèles aux Valar purent rejoindre les rivages de la Terre du Milieu. Pour finir, le récit des Anneaux de Pouvoir et du Troisième Âge décrit la manière dont Sauron, à travers moult manigances, parvint à obtenir le pardon de l’Ouest et à asservir les peuples qui y vivaient à l’aide des Anneaux de pouvoirs et de l’Unique. Comment il fut vaincu par l’alliance des Hommes et des Elfes et comment ces derniers se mirent à quitter peu à peu la Terre du Milieu.

Bien évidemment, Tout ceci est le fruit du travail de toute une vie, le Silmarillion inachevé a été publié à titre posthume par le troisième fils de Tolkien, Christopher, en 1977, après quatre ans de tris dans les notes de son père.

Mais là n’est qu’une partie de son travail, dès 1925, Tolkien décide d’écrire des histoires pour ses enfants, sans lien avec sa mythologie qui évoluera beaucoup au fil des ans. Ce sera Roverandom, puis il imagine les aventures de Tom Bombadil, et enfin, le Hobbit, publié en 1937. L’histoire reçoit un accueil très favorable et ses éditeurs lui réclament naturellement une suite. Tolkien leur propose le Silmarillion, mais ils veulent une véritable suite, pour les enfants. Tolkien va se mettre à écrire son œuvre principale : Le Seigneur des Anneaux. Il quitte peu à peu le style enjoué pour un récit plus sombre et adulte. L’histoire va faire le lien entre le Hobbit et le Silmarillion qui étaient au départ sans rapports. Il modifiera le premier et le second en conséquence. Il lui faudra douze ans pour écrire son chef d’œuvre. Il faut dire que Tolkien est bien décidé à créer un univers cohérent dans ses moindres détails. Il va dessiner des cartes, établir une histoire, étendre sa mythologie, créer une chronologie, avec un extrême perfectionnisme. Rien ne doit être laissé au hasard, tout doit avoir un sens, des fondations, une raison d’être, une crédibilité, une cohérence, si bien que l’histoire, telle qu’elle sera publiée dix-sept ans plus tard, ne sera que la pointe de l’Iceberg, là où, depuis, l’univers étendu de certains écrivains n’est que de la poudre aux yeux, de l’aveu même de George R. R. Martin [4]. C’est donc un travail énorme, ponctué de poésies et de chants, qui va progressivement donner vie à cet univers dans lequel Tolkien va mettre des personnages et une dramaturgie d’un genre nouveau.

Publié en 1954 et 1955, en trois volumes, le dernier tome renommé “Le Retour du Roi” au lieu de “La Guerre de l’Anneau” pour l’occasion, Le Seigneur des Anneaux est un succès critique et dans le courant des années 1960, les étudiants américains s’en emparent comme d’une œuvre de contre-culture et en font un succès commercial. Nous allons donc, à notre tour, nous intéresser aux différentes interprétations que l’on peut tirer de cette trilogie.

Interprétations mythologiques et religieuses

Avant tout, l’œuvre de Tolkien est une réussite au niveau du style : « Une vallée en longue pente, un profond chasme d’ombre, montait loin dans les montagnes. Sur le côté opposé, à quelques distances dans les bras de la vallée, haut perchés sur une assise rocheuse des courbes noires de l’Ephel Duath, se dressaient les murs et la tour de Minas Morgul. Tout était noir alentour, terre et ciel, mais elle était éclairée. Ce n’était pas le clair de lune emprisonné qui jaillissait au travers des mers de marbre de Minas Ithil au temps jadis, de la Tour de la Lune, belle et radieuse au creux des collines. Plus pâle en vérité que la lune souffrant de quelque lente éclipse était sa lumière présente, qui vacillait et soufflait comme une exhalaison fétide de pourriture, une lumière-cadavre, une lumière qui n’éclairait rien. » [5] Un passage parmi d’autres particulièrement marquant. Il serait d’ailleurs impossible de tous les répertorier au risque de recopier les trois livres entiers. Cette remarque est loin d’être subjective, Tolkien a réellement révolutionné la littérature. En plus de redonner ses lettres de noblesse au genre de la fantasy, il a inventé un nouveau genre littéraire : la Faërie, chose remarquable. Cette création rarissime a été l’objet de nombreuses études universitaires.

Le but n’est pas ici de résumer l’intégralité des trois livres, si vous ne les avez pas lu, il n’est pas trop tard ! Cet article vous aura certainement donné envie. L’histoire de Frodon et de sa quête pour détruire l’anneau Unique dans les flammes d’Orodruin, la Montagne du Destin, est un des grands récits de notre temps. Pour les autres, le voyage ne fait que commencer et pourrait bien prendre une tournure inattendue à travers les interprétations et différentes clés de lecture qui vont suivre.

Tolkien disait : « Je suis moi-même un hobbit, en tout sauf en taille, j’aime les jardins, les arbres, les cultures non-mécanisées, je fume la pipe, j’aime la bonne nourriture simple, pas congelée et je déteste la cuisine française. J’aime les gilets brodés, les champignons, je ne voyage guère et j’ai un sens de l’humour très simple. » [6] Il n’est donc pas dur de comprendre ce que représentait pour lui la Comté (Shire en anglais, mot utilisé pour de nombreux lieux-dits ou provinces, marque toponymique de lieux particuliers en Angleterre). Cette Comté va donc être la typification de cette campagne d’Angleterre dont il donne un portrait charmeur. Tolkien incarne à la fois des valeurs populaire — ce que George Orwell va appeler la common decency — et les vertus aristocratiques typiques de l’Angleterre. Il est donc le type même du gentleman-farmer britannique, vêtu de tweed, fumant la pipe au coin du feu en lisant un livre. Il est donc naturel que ses goûts pour les plaisirs de table, pour la boisson, le tabac, la convivialité, pour les jeux et les chansons se retranscrivent dans les Hobbits, semi-hommes aux pieds poilus, qui peuplent la Comté.

Nous l’avons vu, Tolkien était fasciné par la culture nordique, germanique et britannique. Il a donc naturellement intégré des éléments réels dans sa mythologie, des éléments archéologiques (Tolkien a le génie d’intégrer des ruines dans son récit), mythiques ou linguistiques, en leur donnant un nouveau souffle. On pense par exemple au mythe de l’Atlantide, habitat originaire des indo-européens, ou à l’Ultima Thulé, le point le plus au Nord, sorte de bout du monde, qui rappel Númenor, île située au Nord, centre spirituel et originel, lieu de pouvoir et de force, séjour du premier Roi des Hommes. Centre secondaire englouti, nous l’avons mentionné, comme l’Atlantide pour punir les Hommes de leur Hubris.

Les Nains, habitants des antres de la terre, dans les Mines d’Anghabar ou de la Moria, renvoient à la mythologie gréco-latine, sorte de serviteurs de Vulcain, Dieu romain du feu bienfaisant, consacrant leur vie au travail des métaux. Gandalf, un des cinq membres des Istari avec Saroumane, Maiar envoyé sur Terre par les Valar, renvoie par ses connaissances de la magie, des secrets et du feu, à la mythologie nordique. Il a des caractéristiques semblables à Odin, tout comme son cheval blanc, Gripoil, chef des Mearas, rappel celui du Dieu nordique. Il en va de même des Aigles, grands oiseaux dotés de la parole par les Valar, dont Gwaihir envoyé par Gandalf pour surveiller et recueillir des nouvelles, proche des deux corbeaux d’Odin, Hugin et Munin. Il est également possible de rattacher les Elfes, créatures des forêts sacrées, à la mythologie nordique. Jaques Brosse, dans un chapitre de son livre Mythologie des arbres, parle du retrait vers le Nord d’êtres féériques devant l’avancée de la civilisation humaine. Le retour du Rôdeur Aragorn. Fils d’Arathorn, et son accession au trône rappel quant à lui le mythe du roi caché qui traverse les âges depuis la fin du XVIème siècle. Cela nous renvoie également au mythe du Roi du monde ou à celui du Roi Arthur, homme providentiel qui suit sa destinée, ou aux Rois des Rois de la Perse ancienne.

Beaucoup de références païennes, donc, mais pas uniquement. Tolkien était profondément catholique, communiait tous les jours, et cela se ressent dans son œuvre. Déjà, si on commence par le niveau de lecture explicite, c’est-à-dire la correspondance de personnages et de situation avec l’Histoire Sainte, on peut noter la ressemblance entre Melkor et Lucifer. Tous deux déchus du royaume de Dieu. Et Gandalf, à nouveau, nous renvoie l’image, par exemple, d’un saint Grégoire le Thaumaturge, ou des évêques des premiers temps de La Légende dorée, sortes de druides convertis, proche du paganisme. Très loin des Papes actuels, qui ont fait des droits de l’Homme leur nouvelle religion. Gandalf, toujours, qui communique avec les animaux comme saint François d’Assise qui aurait converti un loup meurtrier dans la ville de Gubbio en Italie. Animaux tels que les cerfs, dont les Elfes font leur monture dans l’univers de Tolkien, qui ont une forte symbolique chrétienne, également important pour la thématique de l’écologie sur laquelle nous reviendrons. À noter également la présence de malédictions. Par exemple dans le Silmarillion, la malédiction qui toucha Morgoth lorsqu’il s’empara des Silmarils à Valinor, ou des malédictions générationnelles comme le fléau d’Isildur ou encore des possessions, comme celle de Théodèn, roi du Rohan, qui se fait libérer par Gandalf lors d’une espèce d’exorcisme. On peut également mentionner les différentes batailles du Seigneur des Anneaux qui suivent toutes un schéma similaire, celui de l’eucatastrophe, néologisme créé par Tolkien qui signifie un coup de théâtre, sorte de Deus Ex Machina, qui apporte la victoire aux protagonistes. L’arrivée des aigles en est l’exemple le plus connu : « Gandalf fit un mouvement ; il se retourna vers le nord, où les cieux étaient pâles et clairs. Puis il leva les mains et cria d’une voix forte qui domina le fracas : Les Aigles viennent ! Et de nombreuses voix reprirent le cri : Les Aigles viennent ! Les Aigles viennent ! Les armées de Mordor regardèrent en l’air, se demandant ce que ce signe pouvait indiquer. » [7] Schéma similaire à l’Histoire du Salut par la Mort ou à la Résurrection du Christ.

Mais plus que cela, Le Seigneur des Anneaux et une œuvre profondément chrétienne, pas par son sujet directement, mais dans sa morale et ses thématiques de nature plus immanentes. Une morale chrétienne qui se caractérise par le respect des petits, par la conscience du caractère sacré de la vie et par une grande humilité. Dans cette histoire, ce n’est pas dans les mains du plus puissant des guerriers que l’on place le destin du monde, mais dans celles d’un Hobbit. Les mains que l’Ennemi, dans son orgueil, jugerait trop insignifiantes pour même les considérer. Ces êtres, ces semi-hommes, qui n’ont rien d’extraordinaire dans ce monde rempli d’êtres fabuleux, qui n’ont ni une grande sagesse, ni une grande puissance, ni une grande cruauté, et qui, pourtant, sont capables de grandes choses. Élément que l’on retrouve dans la liturgie chrétienne où le fils de Dieu, sauveur de l’humanité, est né dans une étable. Certains dialogues également en témoignent, par exemple cette citation de Faramir dans le deuxième tome : « La guerre doit être, tant que nous défendons nos vies contre un destructeur qui nous dévorerait tous ; mais je n’aime pas le glaive luisant pour son acuité, ni la flèche pour sa rapidité, ni le guerrier pour sa gloire. J’aime seulement ce qu’ils défendent. » Cette phrase montre bien qu’il n’est pas ici question d’un quelconque culte de la force ou de violence inutile. Il ne s’agit pas forcément de grands gestes ou d’actions spectaculaires, même s’il y en a, citons Gandalf face au Balrog, esprit du feu de la race des Maiar, ou Éowyn, nièce de Théoden, face au spectre, Nazgûl servant de l’Anneau, le Roi-Sorcier de l’Angmar. Mais chacun a son rôle à jouer dans le destin du monde, si humbles soient-ils, comme le résume Elrond au Conseil : « Les faibles peuvent tenter cette quête avec autant d’espoir que les forts. Mais il en va souvent de même des actes qui meuvent les roues du monde : de petites mains les accomplissent parce que c’est leur devoir, pendant que les yeux des Grands se portent ailleurs. » [8] Il y a aussi ce respect de la vie lorsque Gandalf dit, en parlant de Gollum : « Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort. Et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez-vous la leur rendre, Frodon ? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser la mort en jugement. Même les grands sages ne peuvent connaître toutes les fins. » Et derrière, comme une loi des correspondances, l’idée que ce qui est en haut correspond à ce qui est en bas, sorte de logique holistique. Et l’idée, peut-être, que Gollum, tout sournois qu’il est, pourrait avoir un rôle à jouer dans cette histoire. Il ne faut donc pas se hisser au-dessus des autres, ce sont plutôt les caractéristiques de l’Ennemi. L’ethos de cette œuvre, c’est également l’espoir. Aucune situation n’est jamais totalement désespérée et le Bien — même s’il n’en sort pas indemne — finit toujours par triompher du Mal.

Dorian Briggen

Sources :

 

Image : http://www.lepoint.fr/images/2014/12/10/1202291lp-1202295-article-jpg_4342138_980x426.jpg

 

[1] http://www.pourtolkien.fr/spip.php?article52

 

[2] http://www.pourtolkien.fr/spip.php?article52

 

[3] https://youtu.be/FgAk6h5b9rE?t=13m47s

 

[4] https://youtu.be/q9Pr0uUfVw0?t=3m6s

 

[5] TOLKIEN J.R.R. 1972. Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours, Editions Pocket. p.504.

 

[6] https://youtu.be/FgAk6h5b9rE?t=31m9s

 

[7] TOLKIEN J.R.R. 1972. Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi, Editions Folio Junior. p.376.

 

[8] TOLKIEN J.R.R. 1972. Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de L’Anneau, Editions Pocket. p.421.