Les sectes religieuses suscitent souvent de grandes questions: de quoi s’agit-il exactement? Que s’y passe-t-il ? Y a-t-il un « lavage de cerveau » à l’intérieur de tels groupes ? C’est dans le but d’aborder ces différentes questions qui nous taraudent qu’EPSYL a organisé un colloque sur les sectes: une conférence le mercredi 9 mars puis un CINEPSYL le lendemain.
L’expérience de la secte : difficile de s’en détacher
Mercredi soir, nous avons entamé notre colloque sur les sectes par la conférence. La première intervenante, Cosette Fébrissy, est une psychologue clinicienne et psychopédagogue qui travaille depuis dix ans dans le domaine des dérives sectaires. Dans l’accompagnement quotidien qu’elle fait avec ces personnes, Madame Fébrissy nous rappelle qu’il est surtout important de comprendre la victime et de ne pas simplement la considérer comme « faible ». La psychologue nous a ensuite présenté un lien intéressant entre les sectes et l’enfance: dans notre jeune âge, les parents sont nos « dieux », car ils remplissent toute sorte de qualificatifs que l’on attribue au divin (tout le monde sait que papa et maman peuvent lire nos pensées!). Cette pratique qui consiste à modifier la réalité par la magie revient ensuite à l’âge adulte sous d’autres formes, et notamment au travers des sectes. La pensée totalitaire sur laquelle se base une secte a quelque chose de rassurant qui attire les sympathisants. En effet, la secte tend à ôter la personnalité et l’individualité de chacun, l’individu n’existe plus qu’à travers le groupe.
Puis ce fut au tour de la seconde intervenante, Myriam Declair, de poursuivre le débat. Consultante pour victimes de sectes et ayant elle-même passé dix ans dans une secte, elle a pu nous apporter un regard du in. Très jeune, elle rencontre des adeptes, et décide de les suivre. Ses parents n’étaient pas contre à l’époque, et la jeune femme se sent heureuse car les buts de cette secte lui paraissaient fondamentalement « bons ». Mais la secte en question a rapidement changé de visage… Interprétations douteuses de la Bible, obligations de partage de conjoints, et même prostitution, la pression était devenue trop grande pour Madame Declair, qui décidera finalement de s’enfuir de la secte. Mais après tant d’années passées dans un groupe si hermétique et isolé, il a fallu réapprendre à vivre, à faire confiance aux autres, et à se reconstruire une identité propre. Un témoignage poignant donc, qui a vivement marqué les esprits dans la salle.
« Régression » : lorsque la psychologie contribue à la création de fantasmes sur les sectes
Jeudi, nous avons visionné le film « Régression » de Alejandro Amenábar. Ce thriller raconte l’histoire d’une enquête menée par un enquêteur, Bruce Kenner, dans les années 90 au Minnesota. Alors qu’une jeune fille, Angela, accuse son père d’avoir abusé d’elle, celui-ci avoue sa culpabilité sans même se souvenir des faits. S’ensuit une enquête pleine de rebondissements où un psychologue intervient pour aider Bruce Kenner à briser le mystère qui se cache autour de cette famille et de leurs pratiques obscures… Cette investigation va révéler que l’histoire familiale d’Angela est intimement liée aux cultes satanistes, et que le père d’Angela, entre autres, est impliqué dans des pratiques abominables et sanglantes…
ALERTE SPOILER ! Si vous n’avez pas vu le film, ne lisez pas la suite…
A moins que tout cela ne soit une invention d’Angela pour fuir la monotonie dans laquelle elle est enfermée ? Bruce Kenner va finalement découvrir que le psychologue a créé des faux souvenirs au travers de sa pratique de la régression sur l’entourage d’Angela, et que cela avait contribué à la création d’une fausse piste dans l’enquête, causant bien des tourments à cette famille innocente.
Les intervenants ont eux aussi été bluffés par le scénario du film, qui nous embarque totalement dans le mysticisme des cultes satanistes. La présence du Professeur Roman ainsi que de Mr. Mayer, historien des religions, nous ont permis d’avoir un débat très intéressant, entre la psychologie et la question des sectes. Le professeur Roman nous a d’abord éclairé sur le fait que la pratique de la régression n’est plus pratiquée de nos jours en raison de son manque de fiabilité, mais que les charlatans n’en sont pas moins présents dans la communauté des psychologues et qu’il faut donc s’en méfier. Mr. Mayer, quant à lui, nous a mis au clair sur l’histoire de ces cultes satanistes qui ont terrorisé l’Amérique pendant les années 80 et 90 : bien que les rumeurs aient existé, il n’y a jamais eu de preuves concrètes concernant des pratiques satanistes telles que décrites dans le film. Les courants satanistes, qui existent encore de nos jours, se limitent à des adorations de Satan sous différentes formes, mais rien qui puisse ressembler à tout ce qui est décrit par la masse populaire, notamment au travers des médias. Cette masse médiatique, justement, contribue à semer la peur de l’inconnu qui est en grande partie à l’origine de tous les fantasmes créés autour de la question du satanisme. Plus généralement, comme nous l’ont fait remarquer nos deux intervenants, les sectes peuvent parfois répondre aux fantasmes caractéristiques de l’adolescence, et c’est pour cette raison qu’il s’agit là d’une population particulièrement vulnérable à l’influence de sectes. Le débat s’est prolongé encore quelques temps autour de chips et d’un verre de vin blanc, puis les étudiants, tout comme les intervenants, sont repartis plongés dans leurs pensées après tant d’émotions.
Pour aller plus loin…
Myriam Declair a écrit un livre sur son expérience passée dans une secte, « Se libérer d’une secte : récit, conseils et prévention », qui complète son intervention faite lors de la conférence. Vous pourrez le trouver sur son site personnel: http://myriamdeclair.org/publications-table-des-matieres/.
Monsieur Mayer a été inspiré par l’invitation que nous lui avons faite, et a repris ses propos dans un article sur l’invention du satanisme. Vous le trouverez ici :
http://www.orbis.info/2016/03/invention-du-satanisme/
Stéphanie Cardoso et Daria Zalesskaya