JP. Nkolo Fanga – Faire Eglise Ensemble : Défi ou Illusion ? Le cas des immigrés en France – 2018

Pour citer cet article : Nkolo Fanga, JP. (2018). «Faire Église ensemble : Défi ou illusion?», Les Cahiers de l’ILTP, mis en ligne en février 2018 : 19 pages. Disponible en libre accès à l’adresse : https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/2018/02/jp-nkolo-fanga-f…migres-en-france/

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Jean Patrick Nkolo Fanga
[1]

 

Comment est-il possible de concilier les différentes modalités d’Églises influencées par la culture au sein d’une communauté ecclésiale? Nous faisons référence aux influences des cultures sur les approches liturgiques, homilétiques, catéchétiques, oïkodomiques, poïméniques, missiologiques, diaconales, etc. En effet, les divergences dans les attentes des chrétiens en fonction de la culture dominante de leurs origines[2] influencent leur manière de «faire l’Église».

Pour certains, la foi devrait être «utilitaire». L’intervention de Dieu et de l’Église dans le quotidien du chrétien devrait être concrète. On peut parler d’une théologie holistique[3]. Ceux-là ont la plupart du temps une liturgie joyeuse avec un rapport important aux mouvements du corps humain, ainsi qu’un accent particulier sur l’intercession et la diaconie. Le pasteur est considéré comme un médiateur entre les mondes visibles et invisibles. Il est connu comme étant capable de mobiliser les forces du monde spirituel pour agir dans le quotidien des membres de son Église. Cette modalité d’Église est proche des éléments des cultures des peuples d’Afrique.

Pour d’autres, la foi devrait être intellectuelle et sociale. Les activités d’Église devraient permettre de s’édifier et témoigner de sa foi dans le monde par la diaconie. La liturgie devrait favoriser «la méditation». La médecine, les sciences agronomiques, les luttes sociales et la technologie ont remplacé la religion dans la satisfaction des besoins et la quête de bien-être des membres de l’Église[4]. Cette modalité est influencée par la sécularisation qui a marqué une séparation entre le religieux et le politique dans les pays influencés par la culture occidentale. Dans ce contexte, on assiste à l’émergence d’une spiritualité démocratique, éloignée des formes traditionnelles du christianisme. «Cette transcendance immanente est une option spirituelle où l’amour tient une place centrale. La relation à l’immanence sans aucune transcendance c’est-à-dire une spiritualité sans Dieu en est une autre où l’amour est tout aussi central»[5].

Ces deux tendances modales d’Églises semblent en apparence inconciliables. Marc Spindler[6] souligne à ce sujet que ces divergences renforcent le décalage qui existe entre chrétiens originaires du sud et chrétiens des pays d’occident. Selon lui, ce décalage justifierait la création par les immigrés d’Églises appropriées pour cette population spécifique. Notons cependant qu’il existe aussi des points de convergences pour les chrétiens d’origine culturelle et de modalités d’Église différentes. La foi en Jésus-Christ comme Sauveur du monde, la certitude de l’amour de Dieu pour l’humanité, la quête d’un mieux-être collectif et individuel, le dialogue et le débat comme modalités pour la prise des décisions, le lieu de résidence et le contexte sont autant de points de convergences qui pourraient unir les chrétiens d’origines diverses.

Le projet de construction d’une Église tenant compte de la diversité culturelle est rendu complexe par la position de l’étranger-immigré dans un pays comme la France. Olivier Milza[7], souligne que la complexité des rapports du citoyen à l’immigré est vieille de plusieurs siècles. Pour lui, la question de l’immigration jadis économique est devenue politique, car elle remet en question l’identité d’une nation constituée par des générations d’immigrés. Pour résoudre ce problème selon lui, il faudrait faire recours au moins à la culture pour traiter de la coexistence entre ces communautés qui constituent la nation française. Réfléchir à l’interculturalité est une des pistes qu’il faudrait emprunter. Des chercheurs ont noté l’existence de plusieurs domaines dans lesquels se cristallise une sorte d’hostilité entre cultures en France à savoir : la vie dans la cité, la religion, le nationalisme qui semblent isoler ou déterminer celui qui est étranger[8]. Dans ce contexte, comment construire une Église dans laquelle ces deux perspectives pourraient trouver de manière consensuelle une articulation harmonieuse? Pour répondre à cette question, notre thèse est que le dialogue interculturel est l’un des moyens à travers lesquels il est possible de «faire Église ensemble» malgré la diversité des cultures auxquelles nous appartenons. Il y a plusieurs possibilités dans les rapports entre cultures en situation multiculturelle. L’assimilation (culture dominante et dominée), le communautarisme (respect des communautés minoritaire), le multiculturalisme (coexistence sans intention d’interaction de diverses cultures) et l’interculturalité (interaction entre cultures en vue de produire un consensus au sein d’une communauté). Le dialogue interculturel est ouvert à l’altérité et permet d’éviter un rapport de force entre cultures en présence au sein d’une communauté.

Nos hypothèses sont les suivantes :

  • L’ignorance, les préjugés et la hiérarchisation des cultures sont des obstacles à l’intégration des immigrés dans les Églises traditionnelles en France.
  • L’implication des chrétiens d’origines diverses à la prise des décisions et aux activités de l’Église locale favorise la cohabitation intra ecclésia des personnes aux origines culturelles différentes.
  • Une formation appropriée au dialogue interculturel en situation d’Église pourrait améliorer l’accueil et la cohabitation des personnes d’origines diverses au sein d’une communauté locale.

Nous prendrons comme point de départ, d’une série d’entretiens réalisés au sein d’une Église locale ayant accueilli en son sein des personnes d’origine culturelle différente. Nous en tirerons les leçons à partir d’une analyse historique, théologique et biblique. Enfin, nous proposerons quelques principes pour un vivre ensemble entre chrétiens d’origines culturelles différentes.

2. Paroisse protestante de la région lyonnaise: une expérience dont on pourrait s’inspirer?

Nous avons visité une paroisse protestante de la région lyonnaise du 10 au 11 septembre 2016. Nous vous livrons dans les lignes qui suivent les informations que nous y avons collectées. Les services du DEFAP[9] nous ont recommandé cette paroisse comme l’une des œuvres d’Église qui assume de manière efficiente la diversité culturelle en France. Nous y avons effectué une visite dans le but de préparer une intervention pour le forum missionnaire du DEFAP tenu à Sète en octobre 2016, sur le thème «faire Église ensemble».

2.1. Samedi 10 septembre 2016

Après plusieurs échanges par mail et téléphone, nous sommes arrivés à la paroisse le samedi dans l’après-midi. L’accueil fut simple et chaleureux. Le verre d’eau après la marche de la gare à la paroisse, la visite sommaire des lieux, et la présentation à quelques personnes présentes ont ponctué l’accueil qui nous a été réservé. Après tout cela, nous avons eu un entretien avec la pasteure Marie[10] dans son salon autour d’une boisson fort rafraîchissante.

De cet entretien riche et dense, nous avons pu obtenir quelques informations sur la communauté qui compose cette paroisse.

Cette communauté est composée par un noyau de personnes françaises de souche. Il s’agit de chrétiens militants, engagés dans le témoignage à caractère social. C’est une élite à laquelle s’est greffée au fil du temps, des couches populaires et des migrants ainsi que des personnes qui ont fait une démarche personnelle de foi. Il y a de plus en plus de personnes qui découvrent la foi, se posent des questions et commencent toutes seules un parcours de foi.

Nous avons également reçu des informations sur le déroulement des cultes et nous nous sommes accordés sur les dispositions à prendre pour réaliser des entretiens avec les membres de cette paroisse.

2.2. Dimanche 11 septembre 2016

2.2.1. Culte du matin

Nous avons constaté un effort de convivialité à l’entrée du lieu de culte. Les personnes présentes nous ont signalé qu’il y avait moins de personnes que d’habitude. Il s’agissait d’un culte-partage. Les chaises étaient disposées en cercles concentriques autour du pupitre. Le culte était marqué par sa simplicité. La liturgie comprenait : quelques cantiques, la lecture d’un psaume puis la prédication réalisée par la pasteure Marie. Après la prédication, ce fut le temps réservé au «partage» sur le texte biblique objet de la prédication en petits groupes à savoir le Psaume 23. Cet exercice fut selon nous, très enrichissant et très animé. Nous avons pu noter le bruissement des échanges dans les groupes. Puis, ce fut le temps de la mise en commun au cours de laquelle, nous avons noté un retour positif des groupes sur le temps de partage. Les quelques échanges relatés furent marqués par la diversité des interprétations avec malgré tout un fond commun de significations. Du Psaume 23, les images symboliques du berger, du repas, de la protection et de la providence divine sont revenues sous diverses expressions. Après les échanges d’expérience et de compréhension du Psaume 23, le temps fut réservé à la prière d’intercession. Un chant de Taizé en latin fut entonné par un participant (Laudate nominum) pour clôturer le culte. Nous eûmes un temps de parole pour expliquer l’objet de notre présence dans cette paroisse nous.

À la fin du culte, nous eûmes l’occasion de nous entretenir avec plusieurs personnes d’origines diverses intéressées par l’objet de notre enquête puis, avec des personnes d’origine africaine, toutes membres de cette paroisse. L’objet de l’entretien consistait en trois points essentiels : pourquoi avoir fait le choix de cette paroisse et non pas d’une Église issue de l’immigration? Quelles sont les divergences entre les modalités d’Églises influencées par la culture des origines ou la culture française? Quels pourraient être les apports entre les diverses modalités d’Église?

Des entretiens avec quelques personnes intéressées par le sujet, nous avons recueilli des remarques sur le rapport à l’étranger. D’abord, la peur de l’inconnu qui reste présente dans certains esprits ralentit de manière considérable le rapprochement avec les personnes d’origine étrangère. Nous avons aussi noté que la perspective d’un enrichissement à travers la rencontre des cultures ne convainc pas tout le monde. L’actualité marquée par la violence, le terrorisme et les préjugés entretient davantage cette méfiance vis-à-vis des étrangers. Les frustrations liées au statut d’étranger ou d’Africain peuvent compliquer le vivre ensemble.

2.2.2. Des entretiens avec des personnes d’origine africaine: quelques points importants[11]

  • Pierre

Dans les communautés africaines, on retrouve les mêmes problèmes qu’au pays (médisances, calomnies, compétition, accent sur le matériel des leaders, etc.). Il a été accueilli par le pasteur et pris en charge par une famille dans la paroisse. Pour lui, le culte est «froid», car la liturgie est moins joyeuse que ce à quoi il est habitué. Cependant, le dynamisme de la chorale et de la pasteure participe à sa fidélité à cette paroisse.

  • Alberta

Sa culture protestante d’origine est proche des réformés. Elle n’apprécie pas les communautés africaines à tendance pentecôtiste. Elle a une expérience douloureuse d’un accueil froid, puis d’un bon accueil l’ayant incité à l’engagement dans diverses paroisses en France. Elle est membre du conseil presbytéral et à ce titre, elle a participé à donner une impulsion pour la création d’une chorale multiculturelle. Ses attentes vis-à-vis de l’Église peuvent se résumer ainsi : accompagnement des chrétiens par des visites et prières. L’apport de la modalité française pour les églises africaines peut être exprimé ainsi : ouverture d’esprit, intellectualisation de la foi, participation plus grande des chrétiens au débat sur la connaissance de la Bible.

  • Sonia

Ancienne de l’Église Évangélique du Cameroun qui se réunit à Lyon-Bansel. Elle a été invitée par la pasteure pour prendre part au culte et s’entretenir avec nous. Elle justifie l’existence de cette communauté dont les activités sont supervisées par cette Église implantée au Cameroun par la volonté de garder les éléments de la culture des origines (langue, louange, le chant). Cette communauté initiée par un pasteur Baptiste célèbre le culte en français et en langue duala[12] dans l’après-midi après sa participation au culte avec la communauté de la paroisse d’accueil. Comme difficultés rencontrées, elle a mentionné : l’obligation d’entretenir un pasteur financièrement, la reconnaissance par l’EEC[13], les préjugés de certains Français au sujet des étrangers qui compliquent la cohabitation.

2.2.3. Focus group, après le culte et le repas qui a suivi

Huit personnes dont deux hommes et six femmes en majorité des personnes du troisième âge, le plus jeune ayant 40 ans ont participé à cette rencontre tenue dans la cour de l’Église. Les personnes ayant participé à ce focus group sont toutes des Français de souche, certains ayant une parenté originaire d’Europe. Il s’agissait d’un entretien non directif ayant pour objectif de permettre aux personnes concernées de s’exprimer librement sur leurs attentes au sujet des personnes d’origine étrangères dans l’Église. De cet échange fructueux avec ce groupe de personnes volontaires et motivées, nous avons noté les informations ci-après.

  • Situation sociale des protestants

Historiquement en France, les protestants ont constitué une minorité persécutée et vivent encore avec cette réalité. De ce fait, il existe pour certains un besoin d’affirmation d’une «identité protestante» notamment par le port de la croix huguenote. Ils ont été «habitués» à vivre leur foi en se cachant. Quelques expressions et récits de vie qui peuvent être résumés par les expressions suivantes : protestants considérés par certains comme ceux qui ne croient pas en Dieu; plusieurs cas refus de célébrer un mariage mixte entre chrétiens catholique et protestant dans le passé, etc.

  • Accueil dans les paroisses

En général, on peut noter que la tendance est à l’individualisme dans la société française même si le degré varie en fonction des régions. La notion d’accueil est différente en fonction de la culture des origines. Il existe cependant une disposition individuelle à aller ou pas vers l’autre, toutefois l’impulsion du pasteur fait la différence. Il y a une facilité d’action si l’harmonie dans le trio Président du conseil presbytéral, trésorier et pasteur est effective.

Dans le Midi par exemple, on peut partager un repas entre collègues à la pause sans se parler, prendre son café, lire le journal puis échanger de temps en temps des paroles. Il se dit aussi que pour vérifier l’attrait pour une pièce de théâtre, il faudrait la jouer à Lyon pour savoir si elle peut avoir du succès ailleurs, les Lyonnais étant de nature très réservée.

  • Attentes

Vis-à-vis des étrangers, il y a un besoin d’enrichissement mutuel à travers des échanges d’informations et de pratiques culturelles. Le besoin également de voir les personnes d’origine diverses participer de manière effective aux activités et à la vie de l’Église.

  • Apports mutuels

La résistance aux pratiques non orthodoxes insufflée par l’esprit critique des chrétiens d’origine occidentale. La vitalité du chant dans les autres cultures, ainsi que la beauté des apparats et de la ritualité chez les Orientaux.

2.2.4.     Culte du soir

Ce fut un culte pour familles, très créatif avec notamment une mise en scène de la lecture du Ps 23 et un langage adapté aux enfants. De l’avis recueilli auprès des parents, certains enfants se sentent plus concernés par ce culte.

2.3. Entretiens divers

  • Suzy

D’origine brésilienne, vivant dans un couple mixte sur le plan culturel, a entendu parler de la paroisse par des amis. Elle a fait des recherches et a pu découvrir la paroisse à travers le site web. Elle a été agréablement accueillie par des personnes (le premier jour) qui sont venues vers elles. La liturgie manque parfois de vitalité, mais elle se focalise sur l’essentiel.

  • Marc

Pris en charge par la paroisse alors qu’il était en détresse. Il se sent comme chez lui. Selon lui, le culte peut parfois manquer de vitalité comme chez les Africains, mais il s’est adapté.

  • Blondine

D’origine catholique, protestante par alliance donc elle a une ouverture d’esprit. Bon accueil par le pasteur à chaque fois qu’elle est entrée dans une paroisse. Constate que dès le départ le français cherche à avoir une idée globale de la biographie, un temps d’observation. Il y a dans la culture Française, des distances à respecter dans la rencontre avec l’autre. Les apports peuvent être difficiles à énumérer à cause de la réticence des Africains néanmoins la gestion du temps, la ponctualité, la légalité sont des éléments dont pourraient profiter les églises d’expression africaines.

3. Analyse et interprétation

De cette visite au sein d’une paroisse protestante de la région lyonnaise, nous pouvons tirer quelques remarques.

  • L’accueil est l’élément capital dans la suite du parcours ecclésial et spirituel d’un étranger qu’il soit migrant ou un Français de souche ayant changé de lieu de résidence.
  • Le pasteur est incontournable dans l’efficacité de l’accueil. Son implication personnelle permet à la personne qui vient pour la première fois de se sentir comme chez elle.
  • L’accueil est fonction du contexte, mais pourrait changer en fonction de l’engagement du pasteur et des membres de l’équipe d’accueil qui en ont les dispositions.
  • L’étranger devrait être disposé à enrichir la communauté de sa culture, de son savoir-faire, de sa foi, de sa présence.
  • Les migrants sont sensibles à l’accueil personnalisé, à l’écoute, à l’accompagnement spirituel, aux visites pastorales bref à une spiritualité axée sur les questions essentielles de l’existence.
  • Les autochtones demandent à être mieux connus, à ce qu’on leur laisse le temps de faire connaissance, d’avoir envie d’ouvrir leur chez eux et de ne pas être obligés de tout changer.
  • Le caractère joyeux de la liturgie et un accompagnement paternel et personnalisé font partie des attentes des chrétiens d’origine culture diverse.

Ainsi, malgré les divergences au sujet des attentes, la peur de l’étranger ou de l’inconnu, nous avons noté que l’accueil, l’implication dans la prise de décision et l’organisation des activités sont des pistes pour la construction d’un «faire Église ensemble» harmonieux. Comment comprendre ces résultats à travers l’histoire?

3.1. L’histoire et la place de l’étranger/immigré en France[14]

L’historique de la place de l’étranger dans la société française montre que l’on est passé d’un sentiment d’utilité au rejet.

En effet, de 1900 à 1930, l’étranger était considéré comme un objet utile à la révolution industrielle de la fin du 19e siècle. Des heurts ont été signalés en 1907, les étrangers étant soupçonnés de soutenir le cléricalisme et de briser les mouvements de grèves initiés par les travailleurs nationaux. Le refus de l’autre à cette époque se justifiait tout simplement par sa différence.

De 1920 à 1930, l’arrivée massive d’immigrés d’origine européenne notamment des Italiens, des Belges, des Espagnols qui travaillaient en priorité dans les mines et le bâtiment. Le communautarisme des Italiens qui vivaient en colonies avait suscité des mouvements xénophobes et de nombreux clichés négatifs (malpropreté, religiosité exigeante, etc.).

De 1930 à 1945, l’étranger était considéré comme sujet, le bouc émissaire des déceptions nées de la crise économique de 1929.

De 1945 à 1954, l’immigré est à nouveau utile à la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. On assiste aussi à l’augmentation de l’immigration clandestine par regroupement familial et à cause de libre circulation accordée aux Algériens. L’hostilité envers les étrangers augmentait progressivement.

En 1956, l’immigration de plus en plus clandestine était difficilement contrôlable et les conditions de vie des immigrés se dégradaient progressivement. Par la suite chaque décennie pourrait avoir sa spécificité par rapport à l’immigration: années 60 «travailleurs immigrés»; années 70 «regroupement familial»; années 80 «droit d’asile».

L’immigration passe d’un problème économique à un problème politique marqué par la montée du nationalisme et des efforts de régulation des flux d’immigration. La population immigrée vit désormais les mêmes réalités que les nationaux: augmentation de la population féminine et des jeunes, taux de chômage élevé, niveau d’instruction élevé, etc.

S’il existe un lent processus d’assimilation, il faut souligner que la différence et l’hostilité grandissent dans certains domaines de la vie. On peut citer: la culture ou la vie dans la cité, la religion, le nationalisme qui semblent isoler ou déterminer celui qui est étranger. «L’étranger est devenu non pas un être humain, mais un objet utilisé pour trouver un exutoire à la crise, à la décadence, au profond sentiment d’incertitude sur l’avenir.»[15]

La situation économique difficile des années 2000, période au cours de laquelle les économies des pays occidentaux sont en tensions aggrave la condition des étrangers. Les étrangers sont traités comme des boucs émissaires par des nationalistes qui ne supportent pas bien les contraintes socio-économiques qui leur sont imposées pour juguler la crise.

Les études statistiques menées par des organismes français accrédités indiquent une forte présence des immigrés sur le sol français, car dans certaines régions le pourcentage de la population immigrée dépasse les 30%:

En 2009, 482 800 personnes immigrées (personnes nées étrangères à l’étranger) vivent en PACA, ce qui représente 9,9 % de la population régionale. C’est davantage qu’en moyenne en France métropolitaine (8,5%). PACA arrive ainsi en troisième position des régions selon ce critère, derrière l’Île-de-France (17,6%) et l’Alsace (10,4%). Trois régions rassemblent près de 60% des immigrés vivant en métropole.
Provence-Alpes-Côte d’Azur en accueille 9%, Rhône-Alpes 11%. L’Île-de-France regroupe à elle seule 39% des immigrés alors que la population francilienne ne représente que 19% de la population métropolitaine.
(INSEE Synthèse No 41, 2012)

Ces chiffres indiquent clairement qu’il y a urgence pour les Églises traditionnelles françaises de prendre en compte le phénomène des immigrés en élaborant une pastorale capable de prendre en charge ce groupe aux besoins spécifiques. Ce d’autant plus que les immigrés et leurs descendants vivent dans la précarité et la dévalorisation sociale. Pour faire face à cette situation, les immigrés ont élaboré une praxis pastorale qui tient compte de leurs attentes et de leurs besoins.

3.2. Les réponses pastorales des immigrés[16]

Certaines cultures apprécient de manière négative la culture laïque et sécularisée des pays occidentaux. Cette tendance à la différenciation culturelle complique la cohabitation au sein des Églises[17]. Pour les protestants et les orthodoxes, les différences ethniques nationales et culturelles peuvent entrer dans la définition pratique et théologique d’une Église locale ce qui implique des réseaux d’Églises de diaspora qui soulèvent des questions pastorales et théologiques. Les phénomènes d’ecclésiogenèse ont diverses origines: repli identitaire, recomposition du religieux par un syncrétisme entre modernité et tradition, assimilation masquée, mise en place d’une contre-société, émergence d’entrepreneur du religieux, théologie des diasporas, etc.

La question de l’identité est plus le problème des chrétiens autochtones d’Europe qui se sentent menacés par les nouveaux arrivants[18]. Beaucoup de migrants en Europe sont en résonnance avec Ézéchiel 37.1-3 et considèrent l’Europe comme un désert spirituel à cause de la forte sécularisation. Les chrétiens africains d’Europe prennent au sérieux l’idée d’une mission d’Évangélisation ou de réveil, idée qui surprend par rapport au statut marginal des immigrés originaires d’Afrique dans la société européenne. Il faut noter qu’il existe un problème de dialogue entre races au sein des Églises occidentales historiques. L’exclusion sociale est probablement considérée comme la cause de création d’Églises fréquentées par des noirs. Pour évoluer dans ce débat sur les origines des Églises créées par des immigrés, la présentation qu’en a faite Dominique Kounkou[19] nous est apparue fort intéressante. Le point de départ de son travail est une expérience particulière vécue avec une communauté congolaise au sein de l’Église Évangélique Libre d’Alésia à Paris en France. Cette Église respectait la dimension identitaire et culturelle ce qui a donné une osmose avec l’ensemble de la communauté. Malheureusement, après le départ du Pasteur Bénetreau qui avait favorisé cette osmose, il y a eu la formation d’une communauté répétant le culte tel qu’il est célébré au Congo. Cette cassure pose encore la question de la cohabitation des cultures et des races au sein d’une même église locale, mais aussi le pourquoi de la présence en France des Églises africaines. Il y a divers regards sur les églises africaines. La plupart du temps, certaines personnes mettent en avant quelques erreurs constatées çà et là, d’autres revendiquent le véritable culte rendu à l’Éternel et leur enracinement doctrinal en Jésus-Christ, quelle que soit leur origine culturelle. Trois éléments selon Kounkou se dégagent pour caractériser ces Églises:

  • Jésus est le Roi est la confession de foi ce qui implique l’appropriation des promesses bibliques même pour supporter les tracasseries liées au statut d’immigré et d’étranger.
  • Expression culturelle africaine dans le chant, la liturgie, le partage, la vie
  • Pas exclusivement Africaines, car multiethniques, multitribales, de diverses nationalités, multiraciales

À partir de divers éléments, on peut établir ainsi le schéma type de création des Églises d’expression africaine:

  • Création et croissance: certaines Églises naissent par Évangélisation avec des cellules de prière, cellule de maison puis Églises?; d’autres non par conflit schismatique autour d’un point de doctrine, mais par crise de domination charismatique. On note aussi une Évangélisation de masse à l’américaine, une géoimplantation périphérique notamment dans les quartiers où une population française plutôt en difficulté fuit les Églises traditionnelles.
  • Action: guérison dans les cas d’alcoolisme, délinquance, familles divisées

Les Églises chrétiennes d’expression africaine se présentent comme des composantes essentielles de la vie contemporaine et future. Le Corps de Christ est accessible dès qu’on s’identifie à Christ et de cette manière, on entre en contact avec les autres ce qui implique l’universalisation. «Ces Églises sont l’Église». Face à cet effort de présenter une image digne des Églises initiées par des migrants, il faut cependant souligner que certaines d’entre elles ont des pratiques qui tendent à s’éloigner de la foi chrétienne à cause soit du syncrétisme, soit du mercantilisme. Toutes les Églises initiées par des migrants n’ont pas vocation à propager la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ, mais parfois à satisfaire les «ego» de leur promoteur.

De cette présentation, nous pouvons dire que les immigrés d’origine africaine et vivant en France veulent vivre l’Église selon leur compréhension du monde et le contexte postmoderne actuel de la France en facilité le processus.

Dans une enquête réalisée à Marseille en février 2013[20], nous avons pu établir une typologie d’Église influencée par la migration et concernée par la diversité culturelle à savoir: Églises implantées par des migrants, Églises mono ethniques et Églises traditionnelles françaises accueillants des immigrés.

  • Au sujet de la création et de l’existence des Églises implantées par des migrants d’origine africaine: les motivations au-delà de la quête identitaire concernent la prise en compte dans la théologie et les pratiques de la conception de Dieu influencée par la culture des origines. Pour les chrétiens originaires d’Afrique par exemple, la cosmogonie associe les mondes spirituels et matériels. Les attentes tournent autour d’une foi utilitaire.
  • Au sujet de la présence et de l’engagement des chrétiens d’origine africaine dans les églises traditionnelles françaises: elle est conditionnée par un accueil spécifique et la prise en compte des réalités quotidiennes. Il y est aussi question de la culture confessionnelle des origines. Cependant, nous avons noté la possibilité de conflit lorsque la rencontre des cultures est mal négociée.
  • Au sujet des Églises mono ethniques: marquées par le besoin de conserver des éléments de la culture à travers l’usage de la langue des origines et des rites. Nous avons noté que la coexistence de plusieurs générations est potentiellement conflictuelle.

Ces différents types d’Églises font ressortir la difficulté qui existe intra ecclésia face à la diversité culturelle et à l’immigration. Devrait-on gommer les différences pour favoriser une culture chrétienne universelle??

3.3. Promouvoir la culture unique en Église?

La tentation dans nos Églises locales actuelles est de «faire Église» avec des personnes aux origines et tendances culturelles homogènes[21]. La différence avec ce qu’elle entraîne comme complexité fait peur. Nous avons d’ailleurs entendu dans les différents entretiens réalisés dans cette paroisse protestante de la région lyonnaise, la peur que suscite l’étranger et l’inconnu. Face à cette peur de l’étranger ou de l’inconnu, l’une des alternatives serait de tenter de gommer les différences pour vivre la culture unique. Joël Prohin souligne bien la réalité du repli identitaire, mais également le danger auquel il peut nous entraîner. «La tentation du repli communautaire sommeille en chacun de nous. Il est plus facile de louer Dieu avec ceux qui pensent comme nous, ont été élevés comme nous, vivent comme nous. Le développement des églises dites “ethniques” en Occident en témoigne. Or nous sommes appelés à vivre avec des frères et sœurs d’arrière-plan culturel (on n’ose plus dire racial…) différent. La mondialisation et les mouvements de population qui en résultent sont une opportunité pour enrichir nos églises de la diversité du peuple de Dieu à travers toute la terre[22].» Selon lui, la différence devrait plutôt être comprise comme une source d’enrichissement, même si de manière naturelle, nous sommes poussés au repli identitaire. Au sujet de l’abolition des différences au sein des communautés chrétiennes, se référant à Galates 3.28, Denis Fricker considère que cette perspective relèverait plutôt que de l’ordre de l’espérance et de l’utopie, dans l’attente d’«un kairos qui fait toute chose nouvelle[23]». Pour Philippe Cibois, Galates 3,28 est la preuve que dans le christianisme se trouve «une des origines de la posture contemporaine qui veut l’égalité des droits pour les étrangers, le refus de l’exclusion sociale, la parité entre les sexes[24]

Enfin Elian Cuvillier, pense que l’héritage ou les origines culturelles du chrétien ne devraient pas compter plus que l’appel reçu du Christ, en qui il n’y a plus ni juifs, ni grecs selon Galates 3.28. «Qu’advient-il alors des particularismes de chacun? Ils sont pris au sérieux dans la logique du “se faire tout à tous” pour le salut du plus grand nombre (1 Co 10,33). Il s’agit pour Paul, au nom de la reconnaissance de chacun comme sujet unique dans la fidélité à l’événement fondateur de la croix, de prendre en compte le “site” dans lequel l’Évangile se donne à entendre : il est vrai qu’il existe encore des différences de statut, d’origine, de races, de cultures. Et il faut en tenir compte. Mais jamais, la différence culturelle, sexuelle ou sociale ne devra devenir un critère décisif: devant Dieu et en Christ, chacun existe comme personne reconnue et aimée indépendamment de son faire, de ses qualités, appartenances ou loyautés[25]». Tous ces auteurs et bien d’autres tentent de nuancer la diversité qu’ils présentent comme un facteur non décisif dans le plan de salut de l’humanité en Christ. Cependant, ils ne manquent pas d’insister sur le fait que la culture des origines qui différencie les individus influence leur réception de l’Évangile, mais aussi leur manière d’y croire. Nous avons constaté dans nos différents entretiens que la culture des origines conditionne l’appréciation des modalités d’Église en termes de liturgie, d’accompagnement pastoral ou même d’attentes vis-à-vis de l’Église. Au lieu de chercher à gommer les différences par la promotion d’une culture chrétienne unique ou universelle, il nous semble opportun de promouvoir un dialogue entre cultures dans le «faire l’Église» basé sur la prise en compte de toutes les cultures présentes. L’expression «Ni juif ni grec» pourrait alors être comprise comme le fait que tous les êtres humains peuvent trouver une parole interpellative et transformatrice dans la Bible. Nous l’avons d’ailleurs constaté lors de la mise en commun du temps de partage biblique. Les différentes illustrations du Psaume 23 avaient des thématiques communes. Comment promouvoir ce dialogue dans l’Église locale?

3.3.1. Dialogue interculturel comme modalité d’une Église concernée par la diversité culturelle

Nous voulons partager deux réflexions qui peuvent être source d’inspiration dans la quête de construction d’une Église en situation pluriculturelle induite par l’immigration

Selon Agnès M. Brazal[26]: «Dans cette première partie de notre présentation, nous avons utilisé des intuitions de Hall, de Bharba et de Bourdieu pour explorer le concept d’interculturalité comme reconnaissance d’un “tiers espace” ou d’un espace “entre-deux”, où les différences et les cultures sont réflexivement négociées dans des champs de relations de pouvoirs, et où peut être forgée une volonté collective promouvant un intérêt mutuel. L’interculturalité entraîne donc une politique de constitution d’unités dans la différence. Ces différences peuvent ne pas être basées seulement sur l’ethnicité, mais aussi sur d’autres identités relevantes définies dans la communauté, comme le genre, la race, la classe, etc.».

Le concept d’interculturalité va au-delà d’une conception exclusive des groupes culturels pour favoriser une véritable fécondation mutuelle par le biais d’interaction. Ce principe peut être appliqué à l’Église par une conception de l’Église comme pont de solidarité. Il est question de mettre en relation les nationaux, membres de la communauté avec des immigrés au sein des activités de l’Église et vice-versa. Il s’agit de créer des espaces de rencontres multiformes à travers lesquels, les pratiques culturelles sont mises en commun et discernées à travers les valeurs fondamentales de la foi chrétienne. Cette Église interculturelle dans un contexte influencé par la migration a besoin d’un type spécifique de ministères. Il s’agit : des ministères d’accueil, de célébration, de la table partagée et des histoires racontées, du dialogue de la vie avec des peuples d’autres confessions, d’enseignement, de plaidoyer et de constitution de réseaux. Les personnes exerçant un ministère doivent avoir une bonne connaissance de la culture des nationaux comme des migrants et être capables d’établir des ponts.

Comment passer des déclarations d’intentions à des actions concrètes favorisant le vivre ensemble? Selon une consultation théologique tenue à Paris en février 2007 sur le thème «viv(r)e la diversité culturelle dans l’Église»[27], il est nécessaire de clarifier les concepts notamment ceux d’assimilation et d’intégration en passant par une réflexion sur la culture. La nécessité de faire un choix entre ces concepts à partir d’une vision inspirée de la Bible s’est aussi fait ressentir. De la Bible, l’on a pu retenir la richesse des nations voulue pour le peuple de Dieu de la nouvelle alliance par Dieu le Père, Jésus-Christ et l’Esprit-Saint. Par contre, il a été clair qu’il faudrait refuser l’idolâtrie de la culture qui comme toute œuvre humaine devrait être évaluée par l’Évangile qui devrait la transformer. L’exemple dans le Nouveau Testament de l’intégration au sein de l’Église primitive des chrétiens non-juifs est suffisamment instructif. En somme, il est apparu clairement qu’il est possible pour une communauté chrétienne d’être unie dans sa diversité culturelle. Cette consultation peut trouver son prolongement dans des questions propres à la pastorale : la solidarité, la communication interculturelle (attentes implicites), codes, la résolution des tensions (responsabilité personnelle, points de la culture à transformer); etc.

3.3.2. Quelques textes bibliques pour inspirer la mise en œuvre d’un dialogue culturel en Église

Le texte d’Actes 15.1-35 décrit l’effort de résolution d’un conflit au sein de l’Église primitive au sujet de l’intégration des chrétiens qui n’étaient pas d’origine juive. La cause du conflit était basée sur l’obligation ou non pour les chrétiens d’origine non-juive de pratiquer la circoncision selon les exigences de quelques frères dans la foi de l’Église d’Antioche. Ce problème a créé une consultation à Jérusalem avec les principaux responsables de l’Église dont la majorité était d’origine juive. La conclusion fut de ne rien imposer de supplémentaire à ceux qui s’étaient convertis au christianisme en dehors de ce qui était considéré comme incompatible avec la foi chrétienne. Il s’agissait alors de «viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et de l’impudicité» (Actes 15.29). Un consensus fut trouvé après une longue discussion dans laquelle Jacques et Paul firent peuple récit des miracles accomplis par Dieu à travers leur personne au sein des païens. La résolution fut donc de ne rien imposer de ce qui n’était pas nécessaire[28].

Denis Fricker[29] compare ce texte à celui de Galates 2.1-14 qui selon lui est une autre version du conflit d’Antioche. Dans le texte de Galates en effet, Paul s’en prend vivement à ceux des frères qui changent d’attitude à l’égard des chrétiens d’origine païenne et incirconcis, lorsqu’ils sont en présence des chrétiens d’origine juive. Il en ressort ceci :

  • Sur le plan historique, Luc et Paul ont écrit leurs textes avec deux perspectives différentes. Luc rédigea autour des années 80-90 dans une perspective catéchétique, le récit d’un conflit apparemment résolu. Il voulait montrer la continuité entre l’Église et l’Israël biblique comme peuple de Dieu. Paul qui relatait comme témoin dix ans plus tard, les événements survenus aux environs de l’an 48, voulait présenter son point de vue, à un moment où selon toute vraisemblance, le conflit n’était pas totalement résolu.
  • Les lectures du conflit : Luc présente la résolution d’un conflit par recours à l’autorité dont la décision a été acceptée par les communautés concernées. Sa perspective est de montrer le souci de l’Église primitive de vivre ensemble malgré la diversité de ses membres. Paul par contre, met l’accent sur le respect de l’autre dans sa différence en tenant compte de la relation avec le Christ. On assiste à une tentative avortée d’assimilation au sein de l’Église primitive, qui a plutôt fait le choix de l’intégration des différences en privilégiant l’appartenance au corps du Christ.
  • L’actualisation du conflit : il est important de noter que ce conflit s’inscrit dans un contexte précis marqué par le rapport entre culture et foi chrétienne.

La théorie de la corrélation de Paul Tillich va dans le sens d’établir une relation de dialogue entre théologie et culture, nous paraît appropriée pour favoriser le processus de dialogue interculturel en contexte d’Église :

Premièrement, la théologie puise sa substance, sa matière (ce qu’elle dit) dans la révélation tandis que la culture détermine sa forme (la manière de le dire). Il y a corrélation quand on exprime le contenu de la révélation dans le langage et dans les catégories de pensée qu’analyse la philosophie de la religion. Deuxièmement, la théologie formule les réponses qu’apporte la révélation aux grandes questions qui s’expriment et émergent dans la culture. Il y a corrélation quand on montre que les problèmes de l’homme trouvent leur solution dans la parole que Dieu lui adresse[30].

Les modalités d’expression de la foi chrétienne peuvent être considérées comme une «culture» d’Église qui est tributaire des éléments du contexte (l’histoire, la cosmogonie, l’anthropologie, etc.). Il convient à chaque Église locale d’élaborer sa «culture» en tenant compte de sa spécificité notamment en ce qui concerne les origines et le statut social de ses membres. Ainsi, par le dialogue, il convient de mettre en interaction les personnes de cultures différentes pour construire une culture commune qui sera spécifique à l’Église locale. Cette démarche correspond à la recherche d’espaces entre-deux à l’intérieur desquels seront négociés les éléments d’une culture commune par la mise en place de ponts sur la base du respect mutuel.

Cette analyse nous permet de tirer quelques leçons pour inspirer le dialogue interculturel :

  • La nécessité de créer des ponts à travers des cadres de dialogues qui devraient permettre aux personnes de culture différentes de s’exprimer sur leurs modalités au sujet de la foi chrétienne. Ces cadres de dialogues devraient avoir pour base, une compréhension consensuelle du texte biblique selon le principe de l’analogie de la foi chrétienne. En d’autres termes, il faudrait que le consensus trouvé sur une question précise ne soit pas contredit par la Bible elle-même.
  • La nécessité de ne pas céder à la tentation d’une hiérarchisation des cultures qui conduit nécessairement à l’assimilation qui est potentiellement conflictuelle.
  • La nécessité de former les acteurs de la pastorale, mais aussi de préparer les membres de l’Église à la distinction entre culture contemporaine et culture biblique dans la perspective d’un dialogue interculturel.
  • La nécessité de travailler sur l’accueil de l’autre et la prise en compte raisonnée de sa différence. Il est question d’aller vers l’autre en assumant sa différence dans la perspective d’un enrichissement mutuel.

Conclusion

Les informations collectées auprès d’une paroisse protestante de la région lyonnaise nous ont permis de comprendre non seulement les divergences des attentes en fonction de la culture des origines, mais aussi l’enrichissement que peut apporter la diversité culturelle en Église. L’histoire des immigrés en France nous a permis d’imaginer comment les préjugés au sujet des immigrés dans la société française sont des obstacles au dialogue interculturel. Ces obstacles sont capables d’influencer l’agir de l’Église. Les réflexions des théologiens articulées autour du texte biblique nous ont permis de comprendre que la diversité culturelle est dans le plan de Dieu pour le salut de l’humanité. Le peuple de Dieu de la nouvelle alliance est marqué par sa diversité culturelle. L’Église primitive a connu le défi d’un «faire Église ensemble» malgré la diversité des origines culturelles. L’une des pistes de solution pour la construction d’un «faire Église ensemble» est la création de ponts de solidarité à travers des cadres de dialogue et d’interaction qui favorise la connaissance mutuelle sous la régulation d’une herméneutique biblique participative. Les Églises de notre temps devraient s’en inspirer. Il faudrait pour cela, sortir d’un totalitarisme culturel favorable à l’assimilation pour privilégier le dialogue entre cultures dans le but de former un peuple de Dieu «uni malgré sa diversité». Les modalités de la réalisation de ce projet passent par une formation à la prise en compte des cultures bibliques et contemporaines, mais aussi à la mise en place de ponts de solidarité au sein des communautés ecclésiales. Les structures de formation et de recherche en théologie sont interpellées dans la formalisation de ce défi contemporain.

Bibliographie

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[1] Jean Patrick Nkolo Fanga, PhD, est enseignant de théologie pratique à la faculté de théologie de l’ISPCC et à la faculté de théologie évangélique de Bangui.

[2] Nkolo Fanga Jean Patrick, «Pastorale et autorité pastorale. Quelles attentes pour des chrétiens d’origine africaine?», Perspectives missionnaires, 2013/1, n.65, 2013, pp. 41-50.
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[3] Tchonang Gabriel, «Brève histoire de la théologie africaine», Revue des sciences religieuses [en ligne], n.84/2, 2010, mis en ligne le 17 novembre 2015, consulté le 27 novembre 2015.

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[4] Vergote Antoine, «Religion et sécularisation en Europe occidentale. Tendances et prospectives», Revue théologique de Louvain, 14e année, fasc.4, 1983. pp. 421-445.

[5] Marchand Bertrand, L’accompagnement spirituel dans l’action sociale. Enquête menée au sein d’associations protestantes intervenant auprès de personnes en situation d’exclusion, Thèse de doctorat: théologie, Lieu de soutenance : Université de Strasbourg, 2015.

[6] Spindler Marc, «?L’implantation d’église d’outre-mer en Europe: aspects missiologiques?», Spindler Marc et Lenoble-Bart Annie (dir.), Chrétiens d’Outre-mer en Europe, un autre visage de l’immigration, Paris : Éditions Khartala, Paris, 2000, pp. 21-34.

[7] Milza Olivier, Les Français devant l’immigration, Bruxelles: Éditions complexes. Coll. «?Questions au XXe siècle?», 1988.

[8] Lequin Yves (dir.), La mosaïque France : histoire des étrangers et de l’immigration, Paris : Larousse, 1988.

[9] Service protestant des missions. Structure chargée de la mission d’un groupe d’union d’Églises protestantes de France.

[10] Le nom a été volontairement modifié.

[11] Les prénoms ont été volontairement modifiés.

[12] Langue locale de la région du littoral du Cameroun.

[13] Église évangélique du Cameroun.

[14] D’après une synthèse des travaux d’Yves Lequin et Olivier Milza cités par Nkolo Fanga Jean Patrick, Autorité, culture et Églises, op. cit.

[15] Lequin Yves, op. cit., p. 460.

[16] Spindler Marc, op. cit., pp.21-34.

[17] Ibidem.

[18] Ter Haar Gerrie, «L’implantation d’église d’outre-mer en Europe : aspects missiologiques», in Spindler Marc et Lenoble-Bart Annie (dir.), op. cit., pp. 49-66.

[19] Kounkou Dominique, «Les Églises chrétiennes d’expression africaine en France», in Spindler Marc et Lenoble-Bart Annie (dir.), op. cit., pp. 219-228.

[20] Nkolo Fanga Jean Patrick, «Autorité et pastorale. Quelles attentes pour des chrétiens originaires d’Afrique?», op.cit.

[21] Prohin Joël, «Égaux dans la foi», Promesses [en ligne], n°168, Avril-Juin 2009.
URL : https://www.promesses.org/egaux-dans-la-foi/

[22] Prohin Joël, Ibid.

[23] Fricker Denis, «“Il n’y a pas l’homme et la femme” (Ga 3,28), utopie ou défi?», Revue des sciences religieuses [en ligne], 83/1 | 2009, document 83?102, mis en ligne le 07 octobre 2014, consulté le 27 janvier 2017. URL : http://rsr.revues.org/482?; DOI : 10,400?0/rsr.482, p. 2.

[24] Cibois Philippe, Alain Badiou, Saint Paul. La fondation de l’universalisme, [en ligne]
URL : http://enseignement-latin.hypotheses.org/6792

[25] Cuvillier Elian, «Particularisme et universalisme au premier siècle. Paul en débat avec le judaïsme de son temps», Autres Temps. Cahiers d’éthique sociale et politique, n° 60, 1998, pp. 55-62.

[26] Brazal Agnès M., «Vers une Église interculturelle Implications pastorales dans un contexte de migrations», Colloque «Migrations… Provocation de l’esprit» des 18 au 20 octobre 2007, par l’Association Omnes Gentes, Faculté de Théologie (K.U. Leuven).
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[27] Huser Thierry, «Viv(r)e la diversité culturelle dans l’Église», Le cahier de l’école pastorale, n° 63, 1er trimestre 2007.

[28] Actes 15.28.

[29] Fricker Denis, «La crise d’Antioche et la gestion des conflits en église», Revue des sciences religieuses, 1er juillet 2006, pp. 349-370.

[30] Gounelle André, «Philosophie de la religion et méthode de corrélation chez Paul Tillich», Laval théologique et philosophique, Vol. 65, n° 2, juin 2009, p. 296. URL : http://id.erudit.org/iderudit/038403ar; DOI : 10.7202/038403ar