Une monnaie Européenne écologique

Par Hélène Nivoix,

Pour une monnaie complémentaire européenne indexée sur la matière organique vivante présente dans les agroécosystèmes résilients

L’Europe gagnerait à mettre en place une monnaie complémentaire dont le volume serait indexé sur la matière organique vivante présente dans les agroécosystèmes résilients

Résumé

Grâce à une monnaie complémentaire écologique européenne appelée Crocus, l’agriculture industrielle pourrait être très progressivement remplacée par l’agriculture régénérative.

A cette fin, la BCE va créer une division en son sein, le Fonds Monétaire Vital, FMV qui émettra la monnaie Crocus dont le volume est indexé sur la quantité de matière organique vivante cultivée sous le label « grappe de microferme », GMF.

Une GMF est un groupe de petites unités agricoles polyvalentes qui appliquent les principes de l’agroécologie, de l’agroforesterie et/ou de la permaculture. Organisée en coopérative, elle permet aux agriculteurs de partager leur savoir-faire et d’approvisionner la population en produits frais par le biais de circuits courts de distribution.

Les Crocus ne peuvent être échangés que par les agriculteurs et les travailleurs agricoles, et uniquement contre la monnaie locale complémentaire attachée à la localité de la GMF.

Avec cet outil ingénieux, des dizaines de milliers de micro-fermes pourraient être créées en Europe ce qui contribuerait à relever les défis considérables que sont le rafraîchissement de la planète, la sauvegarde de la biodiversité (tant agricole que sauvage) et des grands équilibres, l’alimentation des populations, des emplois nombreux et pérennes, la décongestion des villes et enfin, de l’espoir pour le futur et une source d’inspiration pour le monde.

Contexte

Notre espèce est confrontée au mur de la réalité. Il est urgent de réconcilier l’écologie et économie, la survie de nos civilisations en dépend.
Heureusement, nous savons comment recréer une collaboration étroite avec la puissance des processus naturels. Grâce à des pratiques agricoles régénératrices, une végétation abondante et des sols épais génèrent de multiples avantages et aideront l’humanité à prospérer à nouveau, à condition qu’ils soient mis en œuvre par un vaste mouvement de collaboration transfrontières.
Impulsé en premier lieu par l’Union européenne puis proposé à tous les pays volontaires, le projet de monnaie Crocus est l’outil commun dont nous avons besoin pour une mobilisation rapide en faveur de l’écologie, et ce à une échelle la plus grande possible.

Message principal

On assiste actuellement à une émergence de mouvements visant à la réconciliation avec la nature : agriculture biologique, agroécologie, agroforesterie et permaculture en particulier. La solution FMV-Crocus s’inscrit parfaitement dans cette dynamique et vient à point nommé, c’est pourquoi il est urgent de la faire connaître au plus grand nombre possible de scientifiques, d’ONG et de personnes influentes ; aux mouvements représentant et/ou favorisant l’agriculture à échelle humaine, bien sûr ; aux mouvements transfrontaliers (syndicalistes, féministes, mouvements de paix, etc. ) ; mais aussi aux intellectuels et aux artistes sensibles à la question écologique. Le mouvement de la jeunesse pour le climat, quant à lui, semble menacé d’un essoufflement assez rapide si, parallèlement à ses protestations, il ne propose pas de solutions originales et innovantes pour bousculer l’ordre établi de manière constructive.

Tous ces partenaires devraient facilement s’approprier la solution Crocus et encourager la Commission européenne à demander solennellement à la BCE de créer la division appelée Fonds monétaire vital (FMV) pour émettre la monnaie Crocus, dont le volume serait indexé sur la quantité de matière organique vivante cultivée dans l’UE sous le label « grappe de microfermes » (GMF).

Chaque pays européen qui se portera volontaire pour participer au programme du FMV encouragera la création de centaines de GMF et recevra en retour des Crocus du Fonds, en proportion de la quantité de matière organique vivante générée par les GMF sur son territoire.

Une GMF est un groupe de petites unités agricoles multifonctionnelles qui appliquent les principes de l’agriculture régénérative. Elle peut être constituée :
– soit par l’auto-organisation de plusieurs agriculteurs,
– soit par un groupe de chômeurs ayant un projet collectif, les terres seraient mises à leur disposition par une collectivité locale dans le cadre d’un bail à emphytéotique de 99 ans,
– ou par un ou plusieurs investisseurs privés souhaitant encourager la reconversion de terres agricoles appauvries par la monoculture intensive. Ils bénéficieraient d’un régime fiscal favorable en soutenant la création d’une ou plusieurs GMF, à condition que ces dernières emploient des salariés ayant des droits syndicaux (et n’utilisent pas de travailleurs indépendants ubérisés).

Les agriculteurs et les travailleurs agricoles de chaque GMF sont organisés en coopérative. C’est cette structure qui reçoit du gouvernement sa part de Crocus en fonction de la quantité de matière organique vivante qu’elle a cultivée (chiffres certifiés annuellement par la communauté scientifique). Elle distribue les Crocus reçus à chacun de ses membres, qui sont les individus contribuant directement à l’augmentation de la masse de matière vivante.

Les Crocus ne peuvent être échangés que par ceux-ci, et uniquement contre la monnaie locale complémentaire rattachée à la localité de la GMF.

Le collectif qui gère la monnaie locale est autorisé à inclure dans ses livres de comptes les Crocus qu’il a reçus, lesquels sont considérés comme des unités du compte de garantie auquel la monnaie locale est rattachée.
En dernier recours, les Crocus sont remboursables par la BCE dans la monnaie nationale considérée.

Ce programme est un projet de géo-ingénierie naturelle à très grande échelle grâce au pouvoir de la photosynthèse. Il va générer un cercle vertueux, car la croissance de la matière vivante rend la terre indéfiniment fertile au lieu de l’épuiser ; ce qui est synonyme d’abondance pour les communautés rurales partout en Europe :

– en fournissant un revenu supplémentaire en Crocus à toute personne impliquée dans l’augmentation de la matière organique vivante sous le label GMF délivré par le FMV. Cela impliquera un très grand nombre de petits agriculteurs et de travailleurs agricoles, car l’agriculture pratiquée dans ces micro-fermes devrait se développer très rapidement, entraînant une véritable revitalisation des zones rurales ;

– en produisant un effet immédiat de désengorgement des métropoles grâce à la création d’un nombre considérable d’emplois en dehors des villes ;

– en conduisant à la création de grappes de micro-fermes urbaines partout où c’est possible, contribuant ainsi à l’autonomie alimentaire des villes et au refroidissement de leurs conditions climatiques grâce aux microclimats qui en découlent.

La monnaie Crocus :
– est traçable d’un bout à l’autre de la chaîne, ce qui exclut la corruption ;
– n’est pas un gouffre énergétique comme par exemple la cryptomonnaie bitcoin ;
– est certes plus une incitation qu’une monnaie réelle ; la désignation « monnaie » devrait cependant être utilisée, car elle la rendra plus concrète et désirable pour les personnes ;
– permet à la nature d’acheter de l’argent, au lieu que la nature soit elle-même achetée par de l’argent. En d’autres termes, c’est la vitalité écologique, et non la marchandisation de la nature, qui génère de l’argent ici ;
– est donc un moyen de donner à la nature une forte valeur ajoutée, sans la détruire ;
– est spontanément inflationniste, ce qui est synonyme de croissance perpétuelle de la fonctionnalité écologique, notamment de la biodiversité, et des services écosystémiques ;
– contribuera à rafraîchir la Terre, ralentira le rythme de l’économie, apportera des valeurs plus féminines comme l’attention (care), le partage et la coopération ;
– permettra à l’Europe d’atteindre une bonne partie des Objectifs de développement durables, ODD, conduira à des sociétés beaucoup plus résilientes, et affirmera la spécificité des cultures locales et des solidarités au sein de chaque pays, et entre les pays européens.

Conclusion

La proposition Crocus est une solution systémique qui a l’avantage d’être simple, facile à mettre en œuvre et surtout, rapide. Elle est porteuse d’une véritable dynamique, celle des processus vitaux à l’œuvre partout, que nous devons cesser d’affaiblir car ils sont notre planche de salut.

Grâce à cet outil intelligent, nous parviendrons à :
– capturer plus de carbone atmosphérique, grâce au pouvoir de la photosynthèse. Les émissions négatives engendrées par les Solutions basées sur la nature (Nature-based Solutions, NbS) sont un outil dont l’Europe et le monde ne pourront pas se passer si nous voulons ralentir la dérive climatique ;
– préserver et, surtout, encourager l’épanouissement de la plus grande diversité biologique possible au sein des écosystèmes et des agro-écosystèmes qui nous soutiennent ;
– retenir l’eau douce, ce qui permettra d’éviter la poursuite de la désertification et de la salinisation de la planète ;
– nourrir les gens, leur donner du travail, retrouver l’espoir dans une paix mondiale partagée afin que les générations suivantes soient fières de nous.

N’est-ce pas un futur possible, et des plus désirable ?
Il est plus que temps, commençons dès maintenant à diffuser l’idée !

ANNEXE 1 – Base scientifique : Étude de l’INRAE

À la demande de l’Ademe et du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra, qui s’appelle maintenant Inrae) a conduit une étude sur le potentiel de stockage en carbone des sols français (hors outre-mer) et a dévoilé les résultats de celle-ci le 13 juin 2019.

Ces travaux se réfèrent aux termes de l’initiative 4 pour 1000, lancée lors de la COP 21 à Paris en 2015 qui consiste à accroître la teneur en carbone organique des sols mondiaux d’au moins 4‰ par an. Ce niveau de stockage équivaut aux émissions actuelles de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, mais ne doit pas laisser penser que la réduction des émissions soit devenue facultative (celle-ci reste même l’objectif principal).

L’étude, intitulée « Stocker 4 pour 1000 de carbone dans les sols : le potentiel en France » démontre que nous pourrions réduire de 12% des émissions totales de CO2 françaises (de 40% les émissions du seul secteur agricole) en stockant un supplément de carbone dans les sols sans modifier leur mode d’occupation ni la structure des systèmes agricoles et forestiers actuels. Retrouvez l’étude : Stocker 4 pour 1000 de carbone dans les sols : le potentiel en France | INRAE INSTIT

Les progrès ne viendront pas des surfaces forestières. Elles stockent déjà en moyenne 81 tonnes de carbone à l’hectare auxquelles s’ajoutent tous les ans 240 kilos supplémentaires. Le seul enjeu, c’est de les préserver.
Les prairies permanentes aussi sont d’excellents pièges à carbone avec 84 tonnes à l’hectare et un apport annuel de 50 kilos.

En revanche, dans les grandes cultures, l’utilisation de désherbants et la récolte de la quasi-totalité de la biomasse produite conduisent à des sols qui s’appauvrissent et qu’on est obligé d’enrichir par des engrais chimiques.

En mettant en oeuvre de bonnes pratiques agricoles sur la totalité des surfaces où cela est réalisable, il est possible d’atteindre un stockage additionnel de +1,9‰ par an pour l’ensemble des surfaces agricoles et forestières (+ 3,3 ‰ pour les seules surfaces agricoles et + 5,2 ‰ s’agissant des grandes cultures), soit 5,8 millions de tonnes de carbone de plus par an qui rejoindraient les 3,5 milliards de tonnes de carbone que contiennent déjà les sols de l’hexagone. Sur ces 5,8 millions de tonnes qui peuvent être gagnées, près de 5 millions proviennent d’une meilleure gestion de la culture des céréales, du maïs, des oléagineux.

Quel intérêt pour les agriculteurs ? Certains bénéfices ne sont pas immédiatement rémunérateurs. L’amélioration de la fertilité, une meilleure rétention de l’eau, une biodiversité favorisée ne sont pas directement profitables. « Les couverts végétaux entre cultures, la substitution du pâturage à la fauche, l’intensification des prairies ont des coûts de 55 euros la tonne de CO2 qui sont modérés et considérés comme rentables, assure Laure Bamière, économiste à l’Inra. Avec 82 euros la tonne de carbone, l’agroforesterie reste financièrement accessible. En revanche, l’allongement de la durée des prairies intermittentes a un coût élevé ».

La moitié des 5,8 millions de tonnes de carbone peut être stockée à un coût très raisonnable estimé à 160 millions d’euros par an. Le jeu en vaut donc la chandelle.

Le financement de mesures d’amélioration des pratiques agricoles dans le sens d’une plus grande séquestration du carbone dans les sols permettrait donc un double bénéfice : améliorer les revenus des agriculteurs, tout en absorbant une partie importante de gaz à effet de serre.

La France, qui fut à l’origine de cette initiative « 4 pour 1000 pour les sols, la sécurité alimentaire et le climat » devrait, en toute bonne logique, inciter l’Union Européenne à appliquer les préconisation de cette étude (voir : https://www.4p1000.org).

ANNEXE 2 – Actualité du crocus

L’idée de la monnaie écologique crocus a été retenue par les organisateurs du prochain « Congrès Mondial de la Bio » (Organic World Congress, OWC) lequel a lieu tous les 3 ans sous l’égide d’IFOAM Organics, International Federation of Organic Agriculture Movements.

Pour sa 20ème édition et pour la première fois en 48 ans, le Congrès Mondial de la Bio aura lieu en France. Près de 2 400 congressistes internationaux de 50 pays, représentant 815 organisations et des milliers de professionnels, sont attendus pour échanger sur les défis et les solutions liés à l’agriculture biologique.

Cette manifestation devait se tenir fin septembre 2020, mais compte tenu de la pandémie de coronavirus Covid-19, elle a été reportée d’un an et se déroulera début septembre 2021 à Rennes, sur le thème des défis et des solutions à apporter à la problématique « Comment mieux nourrir le monde en régénérant notre planète ? ».

Le crocus y fera l’objet d’une présentation orale lors du « Forum culturel et éducatif », lequel vise notamment à « impliquer les agriculteurs et les citoyens dans la recherche de solutions Bio pour relever les défis environnementaux et sociaux du monde. » (https://owc.ifoam.bio/2020/fr/conference-fora)

La monnaie mondiale écologique « Crocus » avait été finaliste en 2018 dans le cadre d’un concours du MIT Climate CoLab* « Exploring Synergistic Solutions for Sustainable Development » (Mettre en synergie des solutions pour le développement durable). La question était : Quelle combinaison des propositions du Climate Colab pourrait aider à atteindre les Objectifs de Développement Durable ? (What combinations of Climate CoLab proposals could help achieve multiple Sustainable Development Goals?)

Voir cette page : Global Complementary Currency Pegged to the Production of Organic Living Biomass – Climate CoLab et également celle-ci :  Reshaping development pathways in LDCs 2019 – Climate CoLab

* Le « Climate CoLab », projet du Centre pour l’Intelligence Collective du Massachusetts Institute of Technology (MIT), est une communauté en ligne de plus de 75 000 personnes qui travaillent ensemble pour développer des propositions sur la manière de faire face au changement climatique.

 

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