Extrait d’une étude de la revue Écrans

L’adaptation du Rouge et le Noir par Claude Autant-Lara (1954) : procès, processus, procédés1


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Alain Boillat

Aurenche : « C’est une idée [celle d’adapter Le Rouge et le Noir] qui m’est venue pendant l’Occupation. Dans ce temps où les bouches étaient closes, on avait envie de faire entendre la voix d’un homme qui…
Bost : « …n’aurait pas aimé ça. »
Aurenche : « Et je crois que l’idée est restée bonne même après l’Occupation »2.

Sorti fin octobre 1954 sur les écrans français, Le Rouge et le noir, réalisé par Claude Autant-Lara et scénarisé par Jean Aurenche et Pierre Bost3, connut, après une genèse chaotique que nous documenterons ici, un succès et une reconnaissance certains que ne rencontrèrent pas les projets d’adaptation de Stendhal dans lesquels s’investit ultérieurement le cinéaste : Lucien Leuwen, pensé comme un long-métrage de cinéma, donnera finalement lieu à un téléfilm diffusé en 1973-1974 sous la forme de six épisodes ; La Chartreuse de Parme n’aboutira jamais, en dépit des nombreuses variantes scénaristiques rédigées et de la persévérance d’Autant-Lara, à qui cette adaptation tenait pourtant fort à cœur. Le film Le Rouge et le Noir, segmenté comme le roman de Beyle en deux parties (montrées à la suite, contrairement au projet initial d’Autant-Lara d’en faire deux métrages distincts), fut majoritairement distribué dans une version de 3h06 environ – soit celle qui est actuellement disponible dans le commerce sur le (double) DVD édité par Gaumont vidéo en 20104 – après une série de coupes effectuées à la demande des autres acteurs de la chaîne du film (producteur, distributeur et exploitant), qui prétextèrent, à la suite de la projection de la version de 3h25, une longueur excessive, alors que les moments dont la suppression fut exigée, d’après des recommandations qu’Autant-Lara impute au célèbre critique André Bazin5, portent de façon quasi systématique sur des scènes touchant à la religion ou à l’Eglise. Dans une perspective féministe et sociopolitique, Susan Hayward, qui met l’accent sur l’importance dans le film du motif de la résistance aux normes sociales, explique elle aussi que les coupes résultent d’une décision d’atténuer la dimension anticléricale de l’adaptation6 (cette dimension fût-elle également très présente, cela va sans dire, dans le roman jacobin de Stendhal). Le film connut une ressortie en 1959 dans sa version longue à l’occasion de la mort de Gérard Philipe, qui y interprète Julien Sorel.

L’objectif de la présente étude consiste à analyser la séquence d’ouverture du film d’Autant-Lara, celle du procès de Julien, en inscrivant les choix d’organisation narrative et de mise en scène dont elle procède dans une réflexion plus large sur la genèse et la réception de ce film (en particulier à travers ses variantes scénaristiques, envisagées au sein d’un processus génétique), ainsi que dans le contexte des pratiques de l’adaptation cinématographique de l’époque (basées sur des principes dont découlent certaines procédures), en cette période « classique » que d’aucuns commenceront précisément à rattacher à une « arrière-garde »7. Le milieu des années 1950 constitue en effet une période où la valorisation du patrimoine littéraire national par le cinéma français connaît un essor considérable, s’accompagnant dans la presse spécialisée des premières réflexions (proto-théoriques) sur l’adaptation cinématographique d’œuvres romanesques – André Bazin écrit dans Esprit en 1954 que « le problème de l’adaptation romanesque domine l’évolution esthétique du cinéma d’après-guerre »8, avec comme centre de gravité la notion de « fidélité » à l’original. Ce film est par conséquent pensé et reçu dans ce cadre, et participe par ailleurs à la réception publique de l’œuvre littéraire elle-même, puisque les partis pris de Claude Autant-Lara, de Pierre Bost et de Jean Aurenche, les commentaires qu’ils ont émis sur leur travail et la réception critique du film9 témoignent à divers titres de la légitimation culturelle acquise à partir de l’après-guerre par le roman Le Rouge et le noir et son auteur. En effet, l’historiographie a fréquemment souligné qu’une renégociation de la place de Stendhal au sein du canon littéraire français s’opérait à cette période (précisons qu’une première version du scénario est rédigée en 1944 déjà), l’« écriture sans style » du romancier – dont le mépris pour les tournures trop rhétoriques10 affleure dans certains passages du Rouge et le Noir11, et participe de sa démarche résolument réaliste – connaissant une revalorisation soudaine auprès d’écrivains nés vers 1900 (Sartre, Nimier, Prévost…), alors que son écriture fut dépréciée par beaucoup pour son supposé manque d’élégance durant des décennies12. Ayant défendu son projet bec et ongles, Autant-Lara se considère sans aucun doute à l’époque de la sortie du film comme un véritable passeur entre l’œuvre stendhalienne et le public contemporain13, allant souvent, certes dans un souci d’efficacité rhétorique et de légitimation de sa démarche, jusqu’à identifier l’accueil réservé à son projet de film avec la réception du roman même. Aussi s’offusque-t-il par exemple du désintérêt manifesté par les producteurs en ces termes : « Sera-t-il dit qu’en ce mois de mars 1944, une aussi grave insulte à l’Intelligence que celle du rejet définitif d’un joyau de la littérature française comme “Le Rouge et le Noir”, dont la renommée est mondiale, est, en France, une chose possible… ? »14.

Figure 1.
Figure 2.
Figure 3.
Figure 4.

Du film au roman : exhibition de l’origine littéraire

Ce rapport à l’illustre roman s’affiche dès les premières images du film (reprises au début de la seconde partie), puisque le générique montre une édition du Rouge et le Noir dont les pages, tournées par une main invisible, permettent le défilement des mentions relatives aux différents collaborateurs du film. Le volume édité chez Sauret (dans la collection « Grand prix des meilleurs romans du XIXe siècle) y est d’abord montré dans sa matérialité, puis l’écran se fait page blanche pour accueillir la mention de la maison de production (Franco London Film) et celle des deux stars (Danièle Darrieux et Gérard Philipe) ; ensuite, après l’image des deux premières pages originales de l’édition Sauret, nous glissons imperceptiblement de Stendhal à Autant-Lara (ce dernier figurant dans un encadré, à l’instar de la mention des acteurs), comme si le second se situait au même « niveau » que le premier (fig. 1-4). L’action d’effeuiller le livre revient par ailleurs régulièrement au cours du film dans de brefs plans sur lesquels s’achèvent les insert de citations. En ponctuant le flux d’images, ces dernières rappellent la présence du verbal « sous » l’iconique ainsi que l’origine littéraire du récit. La première d’entre elles, sur laquelle se clôt le générique inaugural, est significativement l’aphorisme fort célèbre attribué à Saint-Réal (« Un roman : c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ») par Beyle, qui la place en exergue du treizième chapitre de son roman (avant de la reprendre, cette fois dans un discours du narrateur développé en une longue parenthèse, lorsque le « Je » se défend de l’immoralité qu’il y aurait à dépeindre les « folies » de Mathilde)15, et non d’entrée de jeu comme ici. Or il s’agit là d’une formule communément citée lorsqu’il est question de la démarche réaliste de Stendhal, et plus particulièrement lorsqu’elle est rapprochée des potentialités du cinéma16. Le choix de cette citation liminaire s’avère donc scolaire, mais les auteurs du film ont voulu d’emblée rappeler aux spectateurs l’un des enjeux de l’œuvre de Stendhal, et mettre en évidence combien le romancier, à travers sa peinture de mœurs, parlait de « son » temps, un temps qu’ils se plaisent à imaginer « proche » des années 1950 : le cinéaste déclarera plus tard, au cours d’un entretien avec quelques exégètes de l’œuvre du romancier dans le cadre du XIe Congrès international stendhalien de 1976 consacré à la double thématique « Réalisme et cinéma » (sans qu’aucune corrélation ne soit établie entre ces deux termes abordés successivement) : « Ce qui m’intéresse donc énormément chez Stendhal, c’est cet aspect politique qui n’est pas écarté, […] sa fiction baignant dans le complexe politique de l’époque, d’une époque Louis-Philipparde qui, je m’excuse, n’est pas sans rapport avec la nôtre »17. Le film est ainsi supposé « réfléchir » son époque comme le fait le miroir stendhalien. Il est vrai que dans sa préface à l’édition André Sauret parue en 1953 et montré au générique du film d’Autant-Lara, Jacques de Lacretelle écrivait que « Julien Sorel pourrait vivre en 1950 »18.

Emaillant l’adaptation cinématographique du Rouge et le Noir comme autant de ponctuations et de segmentations interséquentielles, les nombreuses citations tirées du roman soulèvent à notre sens deux types de problèmes dans le rapport instauré par le film avec l’œuvre originale. D’une part, elles affichent une révérence envers les textes cités qui, en dépit d’une volonté constamment proclamée par les auteurs du film de conserver l’esprit de Stendhal, se démarque considérablement de la démarche de ce dernier, chez qui la citation, lorsqu’elle n’est pas raillée en tant que pratique mise en œuvre par les personnages fortement influencés par leurs lectures, relève bien plus de la réappropriation (et cela également dans le cas de l’abbé de Saint-Réal) que de la reprise littérale. En effet, Michel Crouzet a noté que, pour Stendhal, « la pente fatale du langage est de se constituer en citations »19 ; « inexacte (comme s’il butait toujours sur l’impossibilité de parler tout à fait comme les autres sans introduire un écart personnel), subtilement parodique », chacune d’elles « désavoue le texte ou se désavoue elle-même »20. Aucune parodie similaire chez Autant-Lara : la citation y est au contraire érigée en caution culturelle. D’autre part, plusieurs citations possèdent un statut tout autre que celles figurant dans le roman en ce qu’elles sont rapportées à Stendhal lui-même : il s’agit dès lors d’extraits du roman mis en exergue, sans indication aucune relativement au statut énonciatif de la phrase citée, qui peut incomber, dans l’œuvre originale, à un personnage (« Si Dieu existait, je tomberais à ses pieds. “J’ai mérité la mort, lui dirais-je, mais, grand Dieu, Dieu bon, Dieu indulgent, rends-moi celle que j’aime !” »)21 comme au narrateur (« Leur bonheur avait quelquefois la physionomie du crime »22). Pour Autant-Lara, le texte, avant tout, est parole d’auteur : cette unicité hiératique contraste avec les perpétuels flottements ou glissements entretenus dans le roman – et involontairement reconduits dans le film à travers les indécisions du statut des citations de Stendhal – entre des instances énonciatives distinctes, la responsabilité discursive y étant tour à tour assumée, en discours direct ou en monologue intérieur, par l’un ou l’autre personnage (qui parfois se rapporte aux paroles d’une tierce personne) ou par le narrateur (souvent ironique, puisqu’il n’est pas rare qu’il relève la naïveté et la maladresse de ses personnages, ou l’inféodation de leurs réactions peu personnelles à des modèles issus d’une connaissance livresque23, leur enfermement dans des lieux communs).

Cette singularité de l’écriture de Stendhal à laquelle doit sans doute beaucoup l’effet de réel de ses romans a des incidences sur la gestion de la focalisation, mais touche surtout, plus qu’au mode, à la voix : l’organisation énonciative y est extrêmement complexe, et peut même paraître parfois bancale, à force de déplacements abrupts. Dans une optique de pragmatique du style, Gilles Philippe note que « ce n’est sans doute pas simple hasard si les exemples empruntés à Stendhal abondent dans les études consacrées aux incohérences énonciatives, au point où l’on pourrait se demander si l’on ne tient pas ici quelque chose comme son “étymon spirituel” (le trait stylistique qui donnerait la clé de sa posture littéraire) »24, une posture qui consisterait selon lui à concilier de façon paradoxale un « protocole communicationnel » (l’auteur postule la présence du lecteur) et un « protocole archivistiques » (c’est le modèle du Code civil évoqué par Beyle, soit d’un texte qui consigne des faits sans être destiné à autrui). Non réduit au verbal sur un plan sémiotique (au cinéma, il faut ajouter les niveaux de la monstration et de la narration) et inscrit dans un modèle de la transparence, le film réduit cette pluralité de discours entremêlés à celui de Julien, qui dès lors occupe une place beaucoup plus « focale » que dans le roman ; aucun narrateur hétérodiégétique ne vient par exemple nuancer ou contester les propos du héros, et ce qui est mont(r)é l’est en parfaite adéquation avec les propos de ce dernier.

De même, le contrepoint entre ce qui est dit et ce qui est montré (la lecture du journal par Monsieur de Rênal lorsque Julien se met au défi de saisir la main de Louise ou par Julien après que l’époux a reçu la lettre de dénonciation) ou entre deux discours concurrents (le monologue de Julien qui étouffe le sermon de l’évêque) est toujours hiérarchisé de sorte à favoriser l’identification avec le personnage principal. La position focale de Julien se manifeste en particulier avec l’usage du monologue intérieur, surtout présent dans d’assez longs segments de la première partie du film25 : sur le ton chuchoté de la confidence, Julien nous parle en se parlant – la forme du dialogue y est fréquente, comme dans le roman26 –, dans le présent des actions qu’il entreprend et des mimiques qui se dessinent sur son visage. En opposant ce qui est pensé à ce qui est avoué, ce procédé se prête idéalement à la représentation de l’hypocrisie du héros – l’un des propos cités dans un intertitre, dû à Talleyrand mais attribué par Stendhal et par le film (qui ne rétablit pas les références fantaisistes) au « Révérend Père Malagrida », explicite d’ailleurs cette thématique : « La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée ». Au même titre que les mentions écrites, les textes over intervenant durant les ellipses constituent un lieu privilégié de la citation littérale ; par ce fait même, les tentatives d’oraliser le ton de la voix échouent le plus souvent. Elles témoignent toutefois d’une volonté de retrouver, dans la synchronisation entre la parole et les gestes, quelque chose de l’idéal stendhalien évoqué par Crouzet : « Pour que le langage fût vrai, en termes d’égotisme, il devrait être contemporain de l’existence, aussi spontané et frais que la sensation »27 ; or, dans le film, le monologue permet de mettre en scène l’émergence de la spontanéité, de l’imprévisible, et assure la contemporanéité de l’expression individuelle et des actes.

Notes

1. Nous tenons à remercier deux des assistants de recherche, Adrien Gaillard et Julien Meyer, pour leur relecture et leur aide précieuse au niveau de l’identification des sources issues du fonds Autant-Lara de la Cinémathèque suisse sur l’exploitation duquel repose ce projet d’analyse génétique, narratologique et historique des variantes scénaristiques (voir https://www.unil.ch/cin/page100258.html?matrix=1385976273210). La numérotation indiquée entre crochet dans le présent article pour identifier les sources renvoie à l’inventaire du fonds Claude Autant-Lara de la Cinémathèque suisse, déposé par le cinéaste en décembre 2000 (mention abrégée « CS, fonds CAL »).

2. Max Favelli, Robert Chazal et Claude Brulé, « Claude Autant-Lara, Jean Aurenche et Pierre Bost ont-ils trahi Stendhal ? Les auteurs du film Le Rouge et le Noir répondent aux accusations de la critique », Le Journal de Paris, 6 novembre 1954, p. 9 (CS, fonds CAL, 185/2 :2). Jean Aurenche signifie ici que l’idée de cette adaptation lui incomberait, alors qu’Autant-Lara présente toujours ce projet comme émanant de lui. Dans un tel processus collaboratif, la « paternité » est souvent difficile à établir, mais de telles revendications sont en elles-mêmes significatives.

3. Précisons que ces deux auteurs sont crédités au générique juste après le carton « Un film de Claude Autant-Lara » avec la mention « Adaptation et dialogue », qui est révélatrice de l’importance que revêt à l’époque la fonction d’« adaptateur », et plus généralement le (pré-)texte écrit. Même si, comme en témoignent les documents de la genèse du film, Autant-Lara est intervenu de manière conséquente dans l’écriture, son nom ne figure pas sous cette rubrique, de même que le mot « scénario », sans doute parce que ce terme est plus strictement associé aux techniques cinématographiques et, partant, au travail du réalisateur. Certains états du scénario précisent par exemple en page de titre : « Scénario et dialogue : Jean Aurenche. Découpage et mise en scène : Claude Autant-Lara » (voir par exemple CS, fonds CAL 184/5 A4.4). Dans une lettre qui accompagne le dépôt d’un extrait de l’adaptation du Rouge et le Noir auprès de l’Association des Auteurs de films en 1944, Autant-Lara précise : « Je déclare être l’auteur de ce scénario avec la collaboration de Monsieur JEAN AURENCHE qui est prévenu du présent dépôt » (CS, fonds CAL, 184/5 A4.4).

4. Cette version diffère de la copie de 3h03 déposée à la Cinémathèque suisse, qui, elle, ne comprend pas, au moment de la maladie de Xavier, le benjamin des Rênal, les remords de sa mère infidèle ainsi que la courte scène visuelle et « réflexive » où le père du garçon alité, pour l’égayer, joue à projeter la lumière d’une bougie à travers des lunettes sur la surface « écranique » d’un mur de la pièce ; la coupe portant sur plus de 7 minutes (alors que la durée totale ne diffère que de 3 minutes), on comprendra que les variantes tronquées de ce film furent nombreuses, ainsi que l’indique Freddy Buache, qui mentionne même une version réduite à 2 heures (Claude Autant-Lara, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982, p. 76). Une copie d’exploitation de cette dernière a d’ailleurs été déposée à la Cinémathèque suisse, ce qui prouve qu’une version ainsi écourtée a circulé sur sol helvétique. Nous nous baserons dans la présente étude sur la version susmentionnée de 3h06 qui a été récemment éditée en DVD.

5. Claude Autant-Lara, « Un historique de la mise en route (difficile…) de Le Rouge et le Noir », pp. 13-14 (CS, fonds CAL, 187/8 A8). Freddy Buache reprend dans sa monographie cette information en faisant de Bazin le conseiller des censeurs (Freddy Buache, op. cit., p.76).

6. Susan Hayward, French Costume Drama of the 1950s. Fashioning Politics and Film, Birstol & Chicago, Intellect, 2010, pp. 247-248.

7. Voir Jean-Pierre Esquenazi, « Arrière-gardes et Nouvelle vague », in William Marx (dir.), Les Arrière-gardes au XXe siècle, Paris, PUF, 2004, pp. 69-78. Nuançant le discours de Truffaut et des autres « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma à propos du cinéma français auteurisé de la période 1954-1961, Esquenazi pointe un aspect qui concerne les adaptations d’œuvres du patrimoine comme Le Rouge et le Noir tout en l’excédant considérablement : « Mais parce qu’ils proposait une image littéralement repoussante de la modernité, celle qu’étaient en train de vivre les premiers bénéficiaires des Trente Glorieuses, qui découvraient en même temps les Frigidaire, les machines à laver, les petites Renault ou Citroën, les transistors et la musique rock. » (p. 77).

8. André bazin, « M. Ripois avec ou sans Némésis », Esprit, août-septembre 1954, cité in Monique Carcaud-Macaire et Jeanne-Marie Clerc, Pour une lecture sociocritique de l’adaptation cinématographique, Montpellier, Editions de CERS, 1995, p. 58. Les auteures illustrent l’engouement pour l’adaptation à cette période en examinant le travail d’Aurenche et Bost sur le scénario de La Symphonie pastorale (Jean Delannoy, 1946) (Ibid., pp. 56-65).

9. Ainsi le critique Doniol-Valcroze déclare-t-il dans une recension du film : « Il n’est pas d’auteurs que je mette au-dessus de Beyle ». Jacques Doniol-Valcroze, « “Le Rouge et le Noir” », Le Nouvel Observateur, 4 novembre 1954, p. 30, CS, fonds CAL, 185 (2/2).

10. Michel Crouzet pose en introduction la question rhétorique suivante : « Qu’est-ce que le réalisme sinon d’une certaine manière la conséquence d’une critique du langage littéraire traditionnel […] ? » (Michel Crouzet, Stendhal et le langage, Paris, Gallimard, 1981, p. 11).

11. Dans sa présentation de l’ouvrage collectif Stendhal et le style, Eric Bordas fait le constat suivant : « Un style boursouflé […] lui fait horreur. Il y reconnaît des préjugés de classe qui choque son libéralisme proclamé […]. Rarement le style aura autant été un paramètre politique que dans la critique de Stendhal lecteur. » (Philippe Bertier et Eric Bordas, Stendhal et le style, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2005, p.7). Dans Le Rouge et le Noir, l’ironie envers un style ampoulé passe notamment par les lettres d’amour copiées par Julien et adressées à Mme de Fervaques (un personnage absent du film d’Autant-Lara) : « […] elles étaient réellement presque aussi amphigouriques que celles du jeune seigneur russe. Le vague était complet. Cela voulait tout dire et ne rien dire. C’est la harpe éolienne du style, pensa Julien. » ; « Julien répondait par des copies fidèles des lettres russes, et, tel est l’avantage du style emphatique : madame de Fervaques n’était point étonnée du peu de rapport des réponses avec ses lettres » (Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, Gallimard, collection Folio Classique, 2000, p. 541 et p. 551 ; les références paginales du présent article au roman Le Rouge et le Noir renvoient toutes à cette édition).

12. Hippolyte Taine notait chez Stendhal « plusieurs qualités singulières, que certaines écoles littéraires lui reprocheront, par exemple la nudité du style, la haine de la métaphore et des phrases imagées » (Nouveaux essais de critique et d’histoire, Paris, Hachette, 1901 [1865], p. 253, cité dans Gilles Philippe, « Stylistique et pragmatique du style (quelques propositions à partir de Stendhal) », in Stendhal et le style, op. cit., p. 200).

13. En 1976, Autant-Lara déclarait : « J’ai essayé, d’abord, de me servir de la passion qui m’anime pour Stendhal, de lui servir un peu de promoteur, parce que mes films sur Stendhal l’ont quand même fait énormément lire, et ont même provoqué de nouvelles éditions, en France et même en Amérique. J’ai donc fait là un certain travail qui, je pense, est intéressant et qui touche une masse de public bien plus considérable que le livre » (« Stendhal à l’écran », in Victor Del Litto (dir.), Stendhal – Balzac. Réalisme et cinéma, Paris, Presses Universitaires de Grenoble/CNRS, 1978, p. 253).

14. Lettre du 18 mars 1944 à Louis Galey, directeur de la Cinématographie nationale (CS, fonds CAL 187/3 A7).

15. « Hé, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! » (p. 479).

16. Pour une discussion de cette « image » dans la culture visuelle du premier tiers du XIXe siècle et en lien avec le traitement du point de vue dans Le Rouge et le Noir, voir Laurent Jullier et Guillaume Soulez, Stendhal, le désir de cinéma, Biarritz, Atlantica, 2006, pp. 24-34.

17. « Stendhal à l’écran », art. cit., p. 257.

18. Jacques de Lacretelle, « Préface », dans Le Rouge et le Noir, Paris, Edition André Sauret, 1953, p. 24.

19. Michel Crouzet, Stendhal et le langage, op. cit., p. 23.

20. Ibid., p. 30.

21. Stendhal, Le Rouge et le Noir, op. cit., p. 653 ; film : partie II [1 :11 :22].

22. Ibid., p. 183 ; film : partie I [1 :03 :45]. Notons que cet intertitre est situé avant la séquence de la maladie de Stanislas-Xavier, provoquant un effet d’annonce, presque de titre.

23. Le film d’Autant-Lara conserve cette idée en nous montrant Julien lisant le Mémorial de Saint-Hélène de Bonaparte, ou dans une séquence où le père de Mathilde, pour expliquer l’esprit romanesque de celle-ci qui commémore chaque année le jour de la mort de son ancêtre Boniface de la Mole, montre à Julien un volume illustré consacré à la famille (le motif de la jeune fille passionnément éprise qui emporte la tête coupée de son amant ne trouve toutefois pas d’écho dans le finale du film, où cet élément du récit de Stendhal est supprimé).

24. Gilles Philippe, art. cit., p. 206.

25. Un passage de la seconde partie est intéressant à cet égard en ce que Julien se surprend, lors d’un monologue in, à parler tout seul, avant de prolonger sa réflexion over.

26. Dans un document concernant les répliques à enregistrer en post-synchronisation, on trouve parmi la description des passages notés « Julien (intérieur) » la précision suivante, sans doute due à Bost : « Le monologue intérieur est écrit en répliques. C’est un homme qui hésite et, en même temps, se reproche d’hésiter. » (CS, fonds CAL, 184/2 A42, p. 4).

27. Michel Crouzet, Stendhal et le langage, op. cit., p. 20.

Référence

Article complet à paraître au printemps 2016 dans un numéro de la revue Écrans dirigé par Christophe Gelly et consacré à l’adaptation filmique des textes réalistes français du XIXe siècle.

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