Plaisir fiévreux des petits jeux cruels

Sont-elles folles, ou lucides dans leur révolte secrète ? Claire et Solange s’engagent tout entières dans un jeu pernicieux, qui leur permet d’affirmer leur dignité de femmes, tout en se couvrant d’humiliations. Dans une ambiance troublante où tout sur scène semble fait de plastique rose et de substances collantes, les deux bonnes s’amusent à se vêtir à tour de rôle des robes et des attitudes de « Madame », la riche élégante dont elles subissent le mépris depuis des années de service. Les actrices, jetées corps et âmes dans une comédie acide, survoltée, violente, perdent tout sens des limites entre la fiction et le réel, si bien que leur exaltation mortifère nous fait douter de nos propres catégories.

Plaisir fiévreux des petits jeux cruels Lire plus

Si les nouvelles technologies pouvaient réaliser les rêves d’enfant

Dans le cadre lui-même enchanteur du théâtre du Jorat, la compagnie EnVol tente de nous emmener vers les cieux du rêve éveillé, par le biais de dispositifs techniques aussi spectaculaires qu’imposants – voire écrasants. La pièce repose principalement sur ces prouesses : projections sur d’immenses écrans qui entourent la scène, objets animés d’une vie propre et valsant où bon leur semble, personnages qui traversent la scène en volant et tournoyant. Tout est fait pour recréer la magie de l’imaginaire d’un enfant qui s’épanouissait au milieu des livres, et pour la livrer par les grands moyens aux adultes d’aujourd’hui.

Si les nouvelles technologies pouvaient réaliser les rêves d’enfant Lire plus

Songe d’une nuit de printemps, ou As You Like Shakespeare

Vous croyiez connaître vos classiques, maîtriser Shakespeare sur le bout du doigt ? Et pourtant un doute vous saisit : le grand homme aurait-il vraiment écrit cette comédie déjantée et décalée, où les fées sont addicts à l’opium, où les sorcières mijotent des potions improbables et cumulent des fiascos innombrables, où un acteur ivre et déchu fait l’objet de toutes les amours, surtout les plus embarrassantes ? La réécriture, ou plutôt la parodie légère et espiègle que propose Elizabeth Leemann au Festival de théâtre non professionnel Fécule à la Grange de Dorigny, fait rejaillir sous un jour nouveau les ressorts comiques déjà éprouvés, et toujours efficaces, des pièces shakespeariennes.

Songe d’une nuit de printemps, ou As You Like Shakespeare Lire plus

Sagacité de gosse

Jonathan Capdevielle renoue avec le gamin qu’il était, à la fois sauvageon libre et imaginatif, à la fois petit être chétif et sans cesse bousculé par ses proches. Saga est un patchwork d’épisodes familiaux plus ou moins romancés, qui adviennent par fragments révélateurs de tout un monde, dont il nous fait partager le souvenir. Ces mille morceaux de dialogues résonnent aux micros des comédiens, alors qu’ils se déplacent et interagissent sans lien direct avec le texte. Une sorte de chorégraphie abstraite se dessine sous nos yeux, tandis que les phrases échangées nous permettent de recoudre les aventures d’une enfance fantasmée.

Sagacité de gosse Lire plus

La valse aux amours anciennes

Six personnages nerveux, debout et raidis, dans le vide du décor. La pièce s’ouvre sur un malaise latent, persistant, que les premières paroles de bienvenue ne font rien pour dissiper. La journée est belle, oui, la maison aussi, l’air de la campagne devrait faire du bien aux convives venus de la ville. Mais ça fait longtemps, depuis qu’on s’est vus la dernière fois, et on ne sait pas par où commencer, ce qu’il faut dire vraiment, on est à fleur de peau, la route a été longue, fatigante, on s’agace vite, les reproches se mettent à fuser…

La valse aux amours anciennes Lire plus

Stupeur et affolements

Dans l’espace étriqué et irréel de l’appartement de Madame Victoire se prépare une scène maintes fois rejouée : un dîner de famille fêtant le retour du fils. Pierre, parti faire ses études de droit, était attendu par sa mère et par son amante enceinte, il y a longtemps de cela. Pierre n’est jamais revenu. Un tragique et si banal accident de train. Glissé sur une plaque de glace. Depuis toutes ces années, les deux femmes et leur domestique Robert réinterprètent avidement ces retrouvailles qui n’eurent jamais lieu. Et pourtant, depuis toutes ces années, il ne s’est encore jamais passé ce qui se passera aujourd’hui. Une fine averse de neige s’émiette au fond de la scène. Elle a déjà délimité un espace, au sol. Un grand cercle noir sur les bords duquel elle s’est amassée, rivage blanc à la ligne parfaite. Au centre, Victoire. Madame Victoire. Elle regarde droit devant elle, assise sur son tabouret minuscule, parle d’une femme et de sa bibliothèque, et de la poussière, qui est tombée dessus. Elle porte une robe bleue naïve, bleu ciel comme on en voit pendre aux épaules des princesses ou des poupées. Robert, le domestique en gilet jaune et chemise blanche, s’approche muni d’une grande règle au bout d’un manche, d’un long pinceau, d’un récipient à peinture, et tire des traits par terre. Patiemment, méticuleusement, autour de Madame Victoire immobile, qui liste tout aussi minutieusement ses ouvrages enfouis dans l’oubli. Robert délimite. Dessine le plan de l’appartement, absurdement petit. Comme si l’espace imaginaire qu’il démarque ainsi devait être, spatialement du moins, restreint, étriqué, strict, net. Toute la pièce sera question de limites. De celles qu’on peut franchir, outrepasser, effacer même, et de celles qu’on ne peut pas.

Stupeur et affolements Lire plus

Réincarner le philosophe et donner chair aux idées

1971 fut une année engagée pour Michel Foucault. Acteur très en vue des événements de son époque, en révolte contre les injustices légitimées par les pouvoirs en place, il prit la parole pour ceux qui en étaient privés, donna ses mots à ceux qui restaient condamnés au silence. Sa pensée est devenue une poche de résistance. Une philosophie matérialisée en actes. Elle est remise aujourd’hui sur le théâtre des luttes, incarnée par cinq comédiennes qui continuent de porter cette voix, avec verve et force.

Réincarner le philosophe et donner chair aux idées Lire plus

Au gré de la poésie du magicien Oz

Un vague flottement, un étourdissement apaisé, c’est un peu la sensation qui nous habite au sortir de Seule la mer, adaptation élégante du roman d’Amos Oz. La mise en scène de Denis Maillefer rend à merveille la douceur et la cruauté de vivre que le roman dégage, la tendresse et les solitudes ressenties par les personnages. Tantôt bercés par la mer qui tangue ou les flocons qui tombent, tantôt avalés par l’élévation des cimes ou l’opacité grise de l’eau, héros et spectateurs sont gagnés par l’envie de plonger dans l’irrationalité des vies d’autrui, et de se laisser porter par la leur. On y vogue avec abandon… Plus que des mots, ce sont surtout des souvenirs visuels et musicaux qui resteront à l’esprit : les mille allures de la mer sous des lumières de toutes saisons, des notes de guitare dans un air vespéral… La scénographie très soignée proposée par Denis Maillefer, metteur en scène aguerri de l’association Théâtre en Flammes, loin de diluer en l’atténuant le texte de l’auteur israélien Amos Oz, lui donne toute l’ampleur d’un poème vécu, vivifié et revitalisant. Dans le décor et les corps qu’habitent les dix acteurs, dans leurs tensions et leurs harmonies, le texte s’incarne et prend souffle délicatement, avec charme, profondeur.

Au gré de la poésie du magicien Oz Lire plus

Un transfert ingénieux du polar au théâtre

Une belle adolescente retrouvée morte dans le coffre de la Mercedes de son père. La veille au soir, Juliette emprunte les clés, fuit sur la route vers le jeune homme qu’elle aime ; à l’aube, la découverte de son corps nu emmêlé dans ses cheveux blonds fait surgir le drame dans sa famille. Un drame glauque, qui en révèle d’autres, et dont même les victimes ne sont pas innocentes… La pièce de Marie Fourquet nous plonge dans une ambiguïté dont personne ne ressort indemne.

S’inspirant non pas d’un véritable fait divers, mais du phénomène du fait divers en tant que genre littéraire, embrayeur de fiction et manifestation sociologique voire anthropologique, Marie Fourquet emprunte et détourne simultanément les caractéristiques du polar dans lesquelles s’inscrit son travail de création. Par le biais d’un scénario d’enquête devenu habituel pour les cinéphiles et lecteurs contemporains, respectant les codes bien connus du genre, elle propose une intrigue percutante par son actualité, sa simplicité et ses références à un panorama intertextuel bien défini.

Un transfert ingénieux du polar au théâtre Lire plus

Ils surprennent, fascinent, séduisent

Indescriptible. La performance de la compagnie belge tg STAN saisit le spectateur jusqu’à lui faire se demander s’il était déjà vraiment allé au théâtre avant, et comment il y retournera ensuite. Un spectacle d’une nouveauté rafraîchissante qui envoie valser la poussière des usages formels, soutenu par une performance d’acteurs magistrale. On en sort changé. Une soirée comme celle que nous a proposée hier la compagnie tg STAN, ça ne doit pas se raconter, ça ne peut pas. Ce qui se passe sur scène, sur cet espace aux confins meubles, aux limites poreuses, échappe aux codes. Désarçonne. Retourne nos habitudes, nos catégories. Envahit notre réel, et pas seulement en brisant le quatrième mur (souvent écroulé aujourd’hui), mais en nous saisissant à bras le corps, par la surprise, par le rire décalé, par un magnétisme qui ne s’amenuise pas.

Ils surprennent, fascinent, séduisent Lire plus

A la chasse aux papillons dans la cour de récréation

L’œuvre de l’écrivain suisse-allemand Robert Walser fut un coup de foudre de jeunesse pour Danielle Bré. La metteuse en scène nous la livre aujourd’hui décortiquée, élaguée, déboîtée, hachée, puis rafistolée, sur une scène de plus en plus saccagée sous nos yeux, modelée par les colères ou les enthousiasmes des personnages. Six adolescents qui nous transmettent cette écriture, se la partagent, la clament, lui donnent corps, la découvrent et se découvrent en même temps que nous. Un chaos, charmant mais difficile à appréhender.

A la chasse aux papillons dans la cour de récréation Lire plus

Les vertus médicinales de l’art scénique

Sous les yeux d’un public surnuméraire et enthousiasmé, Jean Liermier propose une pièce bien rodée et sans (mauvaises) surprises, qui met en conflit la mort et le rire – pour le triomphe, sinon éternel, du moins éclatant, du second. Grâce à la finesse d’un Argan plus attendrissant que tonitruant et aux ruses salutaires des personnages, la comédie devient un savoir-vivre, le jeu une cure, le déguisement un médicament.

Les vertus médicinales de l’art scénique Lire plus