Quelque chose cloche

Par Monique Kountangni

Une critique sur le spectacle :
La Vallée de l’étrange / Texte de Thomas Melle et Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) / Mise en scène de Stefan Kaegi / Théâtre de Vidy / du 25 septembre au 10 octobre 2019 / Plus d’infos

La soirée de ce deuxième mercredi d’octobre 2019 m’entraîna à explorer une dimension théâtrale nouvelle en entrant dans la Passerelle du théâtre de Vidy. Les premières minutes semblent annoncer une mise en scène prévisible : une silhouette assise attend dans le noir. Pourtant dès que la lumière s’allume, le public se trouve propulsé dans un espace où règne l’artificialité, ce qui produit un sentiment de malaise presque suffocant. Quelque chose cloche.

L’installation (pas de secret entre nous, c’est l’hypothèse que je pose) me cause d’entrée de jeu un malaise qui n’aura de cesse de croître tout au long du spectacle. Dès les premières minutes, les questions fusent dans ma tête : que se passe-t-il avec le réglage de la lumière ? Est-ce ma vue qui me joue des tours ? Quel est donc ce personnage bizarroïde qui répète, à plusieurs reprises, que quelque chose cloche ?

« Il y a quelque chose qui cloche » mais je ne sais pas encore ce que c’est. Peu à peu, le personnage – assis, seul en scène, avec son ordinateur portable et un verre d’eau posé sur une table d’appoint installée à ses côtés – fournit quelques éléments de réponse (en clarifiant qu’aucun être humain ne se trouve face à nous) qui restent pourtant difficiles à prendre pour argent comptant. Je vis une sorte de dissonance cognitive qui reflète, sans doute, l’artificialité créée délibérément par le metteur en scène.

« Il y a quelque chose qui cloche » mais je ne parviens pas à nommer de quoi il s’agit. Qu’est-ce qui est le plus bizarre ? Un robot humanoïde – clone presque parfait du romancier Thomas Melle, singeant une conférence – qui s’adresse à une foule humaine qui l’écoute attentivement et docilement, acceptant au passage d’être bousculée dans ses certitudes et questionnée sur sa prétendue stabilité ? Ou un humain qui recourt à un robot pour être entendu dans (ou malgré) sa différence, par ses pairs ?

« Il y a quelque chose qui cloche » et ce sentiment est renforcé par la tentative de prosélytisme de la part de l’humanoïde qui prêche que « la technologie fait partie de la nature humaine » tout en interpellant – provoquant ? – le public et lui demande : « quel type de créatures êtes-vous ? »

« Il y a quelque chose qui cloche » et la métaphore de la maladie – la bipolarité – en est-elle la cause ou bien cette artificialité voulue ne sert-elle qu’à questionner qui est finalement le plus « malade » ? Est-ce la personne (dite) malade qui a conçu cette solution – pour entretenir son élan créatif en dépit de sa maladie – ou le public (notre société voyeuse passive mais critique) venu assister à ce spectacle bizarroïde ? L’espace scénographique réduit semble faire allusion à cette maladie qui limite et enferme, comme si, malgré son élan créatif, le metteur en scène continuait de se sentir restreint par la société, jouée à son insu par le public.

« Il y a quelque chose qui cloche » parce que finalement le seul moment qui (me) rassure et relâche un peu la pression causée par cette singulière artificialité intervient lorsque le vrai Thomas Melle apparaît sur l’écran pour expliquer, images à l’appui, le processus métamorphique qui a permis de créer cet humanoïde à son image. Il y a donc quelque chose d’humain dans cet humanoïde !

« Il y a quelque chose qui cloche » et une chose est certaine, je repars avec un sentiment de malaise. Je suppose que c’est exactement ce que le metteur en scène a programmé !