Maternelle performance sous les traits d’un monologue

Par Monique Kountangni

Une critique sur le spectacle :
Mama / Création et interprétation par Margot van Hove / Mise en scène de Floriane Mésange / Théâtre 2.21 / du 8 au 13 octobre 2019 / Plus d’infos

© Sébastien Monachon

Ce vendredi 11 octobre, je suis allée au théâtre 2.21 pour voir un spectacle – sans doute sur la maternité, pensais-je -, mais rien ne s’est passé comme prévu. Dès le départ, je suis troublée par l’entrée en scène de la comédienne qui, immédiatement, nous apostrophe, nous spectateurs et spectatrices venus « voir le p’tit spectacle ». Je ressens une certaine dissonance et me maintiens sur mes gardes. Le style d’intervention et le rythme de la diction me paraissent en effet disjoints mais, sans m’en apercevoir, je me trouve embarquée dans une performance déroutante qui mêle improvisation et adresse au public : « tu seras spec-acteur ! ». À cela s’ajoute une partition physique très maîtrisée, réglée au millimètre près, dans un espace scénique noir, immaculé et minimaliste, qui volera en éclats au fur et à mesure du spectacle. De mon expérience de spectatrice, je veux faire le récit – en postulant que je réalise ainsi l’un des objectifs de la créatrice.

La performance commence comme un monologue émaillé d’injonctions infantilisantes invitant (en vain) le public au jeu, à la légèreté et au dialogue. Les thèmes liés à la maternité, auxquels on pouvait s’attendre, sont évoqués dans la foulée – l’épuisement, la tentation du suicide, de l’infanticide, de la maltraitance, l’occultation de la femme par la mère, la disparition de l’homme et du père –, le tout sur fond d’humour décalé voire trash. De nombreux seules-en-scène en font aujourd’hui tout autant. La prouesse de Margot Van Hove tient dans sa proposition d’aller au-delà de ces thèmes – aussi ordinaires qu’irrésolus – pour aborder des tabous plus fondamentaux. Loin du spectacle comique ou revendicatif, la performeuse ose s’attaquer à la mère anthropologique, condamnée à rejouer le rôle de « p’tite maman […] toute cassée », sur l’espace exigu du piédestal sur lequel la figure maternelle a été depuis toujours juchée et scellée.

Le public est mis en position de voyeur, forcé de partager de lourds secrets et d’assister à des scènes érotiques vraisemblables ou fantasmatiques. Le langage est direct, la performance physique souvent très crue, portée par une comédienne à la fois énergique et précise, qui parvient à donner du relief aux différents personnages qu’elle incarne. Même si ces figures maternelles ne sont ni banales, ni identifiables, elles produisent une impression de « déjà vu » et d’inquiétante familiarité.  À tel point que le reproche de manque de subtilité que je serais tentée de lui opposer – tout est dit et montré, ou presque – ne serait que la preuve d’un rejet des émotions que j’ai pu ressentir tout au long d’un spectacle touchant et dérangeant.

Le corps féminin est malmené sous toutes ses coutures par Margot Van Hove mais il s’en sort mieux que le plateau noir et immaculé progressivement saccagé comme pour signifier qu’il ne s’agit pas seulement de remettre en question des images d’Épinal de la maternité mais leur support même et leurs fondements archaïques, ici représentés par la cage scénique. Tout comme certaines distinctions anthropologiques, la séparation scène/salle est, elle aussi, remise en question créant un malaise face à ce qui m’est donné à expérimenter.

Peu préparée à ce type de performance, je réalise que dorénavant je ne pourrai plus me rendre au théâtre en prévoyant d’adopter une simple posture d’écoute et d’attention. J’apprécie d’avoir été apostrophée et secouée — plus profondément sans doute que dans mes habitudes de spectatrice – et mesure le champ des possibles qu’a ouvert pour moi ce spectacle.