Après la pluie, le beau temps

Par Lucas Lauth

Une critique sur les spectacles :
Hiver à Sokcho / de Frank Semelet / Cette nuit encore jouer les pierres / de Julien Mages / Angèle et Anatole / de Thomas Lonchampt et Emma Pluyaut-Biwer / Théâtre des Osses / du 30 mai au 9 juin 2019 / Plus d’infos

© Fe?licie Milhit

Ce dimanche s’achevait la troisième édition du Printemps des Compagnies, au Théâtre des Osses à Fribourg. Une soirée riche en émotions, avec trois pièces traitant, chacune sous un angle différent, de l’amour hétérosexuel, puis la remise des deux prix du festival, celui du public et celui du jury. La réussite de l’opération s’est confirmée cette fois encore : salles pleines, public participatif, et comité souriant à tout instant, le tout dans un lieu particulièrement chaleureux et agréable.

Hiver à Sokcho, pièce adaptée du roman du même titre d’Elisa Shua Dusapin, inaugura cette soirée dédiée aux liens délicats qui unissent deux êtres humains qui s’aiment. Dans cette création, le dessinateur de bandes dessinées Pitch Comment illustre sur une tablette, dont l’écran est projeté en arrière-scène, ce qu’une jeune Franco-coréenne, emprisonnée dans cette station balnéaire Sud-Coréenne morte en hiver, ressent pour un dessinateur seul et peu expressif, venu chercher une inspiration nouvelle. Le décor de la pièce est aussi dessiné au fur et à mesure par l’illustrateur. Le jeu des comédiens prend alors place dans et sur ces dessins. Dirigé par Frank Semelet, avec la collaboration de l’auteure du roman, le spectacle présente un amour fort mais qui, finalement, s’avère impossible, irréalisable sur la durée. Nous vivons les aventures, ou plutôt les mésaventures, de ce couple d’antihéros, comme plongés dans une bande dessinée mouvante, pleine de poésie et de candeur.

Cette nuit encore jouer les pierres, écrit et mit en scène par Julien Mages, est quant à elle une pièce qui met à nu toute la crudité, le poids, la bestialité d’une rupture amoureuse. Le drame met en scène un mari alcoolique, terrassé par des visions d’enfants morts ou blessés durant la guerre, à la suite de voyages d’aide humanitaire, face à sa femme, dégoutée par ce qu’il est devenu, et par la tournure qu’ont prises leurs relations sexuelles. De l’extrême cruauté des mots aux scènes de viols ou de désirs ambigus, rien ne nous est épargné. Ces scènes crues alternent avec la projection de poèmes dédiés à la nature. Ceux-ci sont accompagnés par des nappes sonores répétitives et des images sombres de lieux naturels peu hospitaliers, souvent prises de nuit. Il n’est pas toujours évident de saisir les tissages suggérés entre le drame et l’ode à la nature, teintée de symbolisme, même si l’auteur explique que ses poèmes sont un élargissement métaphorique d’un amour plus vaste que l’homme porte à la femme et à la nature.

Le ciel s’éclaircit ensuite avec la pièce de Thomas Lonchampt et Emma Pluyaut-Biwer, Angèle et Anatole. Il s’agit cette fois-ci d’une réalisation comique et légère en apparence, se révélant, au fur et à mesure, de plus en plus touchante. Cette création drôle, reposant principalement sur un comique de répétition bien appuyé, rend un hommage authentique et profond à la vie simple à deux. La force de cette pièce réside dans la clairvoyance qu’ont eue les deux auteurs et comédiens à trouver dans les clichés et les répétitions la possibilité de laisser transparaître toute la beauté d’un amour en simplicité. Thomas et Emma, leur nouveau-né dans les bras, remporteront ce soir-là le prix du jury sous un tonnerre d’applaudissements, face à une foule aussi émue qu’eux.

Ces trois pièces clôturant le festival sont représentatives de la grande diversité de la programmation présentée durant ces deux week ends. Abordant une même thématique avec des récits et des manières à chaque fois singuliers, elles nous proposent de reconsidérer nos relations amoureuses en questionnant ces liens fragiles qui unissent les êtres humains, de l’histoire d’amour impossible, non commencée, à celle qui est désormais éteinte, jusqu’au moment de la rupture, en passant par la représentation joyeuse – fait rare dans une comédie – d’un mariage réussi.