Un peu de froideur humaine

Par Amina Gudzevic

Une critique sur le spectacle :
Le Misanthrope / Texte de Molière / Mise en scène d’Alain Françon / Théâtre de Carouge / du 9 janvier au 8 février 2019 / Plus d’infos

© Michel Corbou

L’air frais de l’hiver s’est engouffré dans le Théâtre de Carouge et atteint les rapports humains qui se jouent sur scène. Dans sa mise en scène du Misanthrope, A. Françon, qui compte plus de cent créations à son actif, porte une attention toute particulière au détail, instaurant une atmosphère minimaliste et glaciale.

Dans une scénographie dessinant les contours d’un salon bourgeois du XVIIe siècle, les matériaux produisent une impression de raffinement, tels le bois ornant une façade, les moulures décoratives intégrées au plafond et le marbre brillant. Un tableau, d’apparence caravagiste, est accroché à un mur immaculé. Des arbres, dont les branches supportent le poids de l’hiver, composent la fresque disposée en fond, faisant référence à un jardin dont sont visibles, depuis l’intérieur, les branches enneigées. Seuls quelques bancs recouverts de velours rouge occupent la surface de la scène. C’est dans ce décor hivernal épuré, mais néanmoins travaillé, que se déploie la mise en scène de la pièce de Molière.

Dès les premiers vers, la lumière, accompagnant le personnage d’Alceste met en exergue le lien entre cet homme et le monde qui l’entoure. Que ce soit dans une semi-pénombre ou sous un éclairage froid contrastant avec la lumière chaleureuse régnant sur les autres personnages, Alceste reflète l’isolement, la tristesse et la mélancolie. Cette mélancolie, que l’on pourrait qualifier d’érotique de par ses motivations , vient du fait qu’il s’amourache d’une « jeune coquette », Célimène, qu’il veut contraindre à l’épouser et à quitter le monde. Pourtant, la veuve Célimène est bien décidée à ériger l’hypocrisie en art. La puissance des dialogues tisse peu à peu la tension dramatique du spectacle. Les mots prévalent sur les gestes. En effet, le jeu des comédiens est orienté sur l’intention plutôt que sur l’action. Les déplacements sont minimes et les corps sont comme prisonniers du texte. Cette économie de mouvement peut être interprétée comme le reflet d’une société où la courtoisie et la politesse prédominent sur tout le reste. Seul Alceste, interprété par Gilles Privat, semble se défaire de ces manières. Sous ses airs mélancoliques se cache une réelle pulsion de colère contre la société, les autres et parfois lui-même. La mise en scène établit un réel contraste entre ce personnage et ceux qui l’entourent. Gilles Privat, dont on a parfois l’impression que les vers s’expriment en une seule respiration, livre simultanément la puissance et la sensibilité d’Alceste. Tel un funambule, le comédien nous tient en haleine jusqu’au dernier instant. Il donne, en effet, l’impression d’être sans cesse tiraillé entre deux sentiments, entre lui et les autres ou entre lui et le monde qui l’entoure. Ses sorties sont accompagnées de chuchotements de la part des autres, comme un symbole de l’hypocrisie de Célimène dont il est victime.

La représentation de cette œuvre classique ne bouleverse ni la fable ni le texte original de Molière. Elle intègre une diction régulière des alexandrins et des costumes épurés connotant le XVIIe siècle. Elle s’inscrit par là dans une forme de théâtre traditionnel qui cherche à ne pas altérer les œuvres et à les rendre accessibles à toutes et à tous.