L’homme à la peluche

Par Laure-Elie Hoegen

Le Zoophile / D’Antoine Jaccoud / Mise en scène d’Émilie Charriot / du 26 avril au 3 mai 2017 / Théâtre de Vidy / Plus d’infos

© Vidy

L’« Adieu aux bêtes », monologue d’Antoine Jaccoud publié en avril 2017, entre dans l’arène publique du Théâtre de Vidy du 26 avril au 03 mai. La pièce est mise en scène par Emilie Charriot dans le cadre du festival « être bête(s) » sous le titre « Le Zoophile ». La crainte d’un énième débat sur le véganisme s’estompe très vite et laisse place à une fiction dont le sujet touche plus profondément la question des relations entre hommes et bêtes : quid de l’Histoire de l’homme sans celle de la bête à ses côtés ?

Qu’une chose soit dite : les créations de la lausannoise Emilie Charriot, comme King Kong Theorie en octobre 2015 ou Ivanov présenté à l’Arsenic en novembre 2016, créent en un coup de baguette scénique une bulle à l’effet magnétique sur le spectateur. La scène est dénudée, voire aride, mais le thème abordé en ressort d’autant plus brûlant. On se concentre, on prête l’œil et l’oreille à l’Homme exposé à une désorientation aux directions multiples – l’amour heureux, la maladie chronique, le désarroi. Cette fois-ci, le comédien nous mène dans un espace où les bêtes ont disparu. La bête cruelle, menaçante mais aussi le compagnon fidèle, notre peluche adorée, notre alter ego qui, lui aussi, ne l’oublions pas, regarde le monde. Charriot guide notre empathie avec soin et nous empoigne avec cette fiction aux allures dystopiques.

« Oh non, un âne, le pauvre !  Non. » L’équidé traîne la patte à l’avant-scène, broute du foin et montre son pelage doux qui se soulève à chaque inspiration. Cet animal, vivant,  nous détrône de notre piédestal de spectateur. On écoute, très concentrés, le son de la flûte qui fait remuer les longues oreilles de notre ami, on veut descendre vers lui, il veut être caressé. Pourtant, imaginez-vous ne plus jamais pouvoir caresser rien d’autre qu’un être humain ou une peluche… « Nous avons besoin de sentir votre fourrure entre nos mains. Elle nous rappelle d’où nous venons – et peut-être bien où et comment nous finirons aussi. » Déroutant, non ?

L’histoire des bêtes qui ne sont plus envahit la pièce et coule le long des murs, sur lesquels, par un jeu d’ombres chinoises, on devine tantôt l’homme, tantôt l’animal. Les lumières sont réduites à très peu d’effets comme si les couleurs avaient fui de pair avec les bêtes. Le tout illustre avec brio le jeu d’apparitions et de disparitions annoncé par le texte. Il nous parvient de cet univers parallèle le récit d’un grand-père antédiluvien nous confiant son rapport aux bêtes, avant le véganisme, avant l’interdiction de prendre le lait des vaches et d’utiliser les chiens pour détecter les mélanomes. Il retrace notre proximité croissante avec l’animal, ne vilipende personne et dessine avec ses mots la fresque bestiale, là où l’homme et la bête coexistaient sans lois définies.

Ce récit dénué de tout emportement impulsif forge un espace propice à la réflexion. Doit-on se demander où est la juste position à adopter dans la chaîne alimentaire ? « Manger les grands, les adultes, oui, à la rigueur, en tout cas à l’époque, à l’époque d’avant l’adieu aux bêtes, mais dévorer les bébés, ronger les os des petits, ça non ».

Le spectacle est fait d’amorces et de perches lancées aux spectateurs, qui restent parfois en suspens, faute d’être ressaisies clairement dans le déroulement du propos. C’est là le coup de force de la collaboration entre l’auteur scénariste et la metteuse en scène : l’absence de mise au piloris des différents discours. Le défi semble être plutôt d’ordre illustratif et émotionnel. Antoine Jaccoud et Emilie Charriot parviennent à faire rejaillir en nous ce lien d’appartenance à cet autre être vivant, comme lorsque, enfants, notre monde gravitait autour de notre ours en peluche qui était le confident de nos petits bobos.