Les mots bleus

Par Céline Conus

Mon chien-dieu / Texte de Douna Loup / Mise en scène de Joan Mompart / Co-production: Llum théâtre, Le Petit théâtre, L’Arsenic et le Théâtre Am Stram Gram /  Le Petit théâtre / du 25 au 30 avril 2017 / Plus d’infos

 

© Philippe Pache

Se souvient-on, adulte, de tous ces moments où notre esprit est parti chercher des réponses ailleurs que dans la vie réelle, ailleurs que dans la bouche des grandes personnes qui parfois ne savent pas expliquer ? Deux enfants perdus dans le grand bleu de leur imagination stimulée par l’ennui, au cours d’un été où il ne se passe rien. Une aventure qui se dessine au fur et à mesure d’un voyage qui se veut initiatique. Combien existe-t-il de façons d’apprendre la vie ?  

S’il devait rester un souvenir de cette pièce, il serait bleu. La couleur est omniprésente. En arrivant dans la salle, déjà, le regard est attiré par la grande trace de peinture bleue qui larde le fond de scène immaculé. Mouvant et laissant passer la lumière, il sert de feuille de dessin aux enfants qui y peignent les moments clés de leur aventure, comme autant de chapitres importants, comme autant d’étapes. Parfois, tel un théâtre d’ombres chinoises, il laisse deviner les silhouettes, créant alors un effet de lointain, de caché. Que se passe-t-il derrière l’écran de notre imagination ?  Sur la scène, blanche elle aussi, des morceaux de bleu qui crissent sous les pas, un tas de pigment bleu dans un coin de la scène. C’est une scène-tableau.  L’excellent musicien Laurent Bruttin, installé sur le côté de la scène, crée, peint un véritable univers sonore, en osmose totale avec ce qui se passe sur le plateau. Ses pinceaux sont la clarinette ou le xylophone et toute une batterie d’outils électroniques lui permettant de multiplier les sons et de varier subtilement les atmosphères.

Les images peintes sur la toile et celles peintes par les sons installent un dialogue merveilleux qui créée un monde, une danse subtile et éthérée entre la réalité et l’imaginaire. C’est dans cette atmosphère qu’évoluent avec grâce Zora et Fadi, progressant dans cette aventure estivale marquée par un événement singulier: un chien mort qui ressuscite et qui, grâce à son pouvoir divin les rendra « très vivants », comme l’explique Zora.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce spectacle où l’imagination est reine. Il n’y a rien et pourtant il y a tout. Rien sur la scène, pas de décor, juste une couleur. Ce bleu, reposant les yeux, instaure un calme propice au vagabondage des pensées. Le public est entraîné par ces deux enfants qui découvrent l’amitié, l’amour naissant, le baiser et la mort, celle du chien et celle du grand-père de Fadi. Ils réinventent le monde et les règles dans un système à la fois logique et poétique, un monde qui se tient, en marge du nôtre. C’est un conte qu’a écrit Douna Loup, une histoire pour enfants où les enfants sont pris au sérieux.  Il aborde les grandes questions, celles qui restent des questions à l’âge adulte. Et l’idée n’est pas de leur apporter à tout prix une réponse, ou d’écrire une jolie fin qui ne fasse pas peur. Le spectacle propose une autre voie possible pour parler de la vie : l’imaginaire, cet efficace outil de compréhension. Quel que soit notre âge, lâchons pour un moment toutes nos certitudes et répondons à l’invitation qui nous est faite : un magique et profond ressaisissement du monde.