Le vaudeville à l’épreuve du contemporain

Par Artemisia Romano

La Cagnotte / De Eugène Labiche / Mise en scène Clémentine Colpin et Christian Geffroy Schlittler / L’Arsenic / du 17 au 21 mai 2017 / Plus d’infos

© Renaud Pidoux

Clémentine Colpin et Christian Geffroy Schlittler imaginent un collectif d’artistes contemporains cherchant à s’emparer des codes du vaudeville. Ils dessinent le portrait cocasse du monde scénique contemporain et de la profession de comédien. Genres classiques et contemporains se rencontrent et, plus encore, se confondent.

Le public de l’Arsenic est invité dans les coulisses de la préparation du vaudeville La Cagnotte d’Eugène Labiche. L’originalité de la proposition est que nous ne découvrons pas la véritable Cagnotte mais les discussions des comédiens autour du projet artistique et leurs répétitions. Ils s’y attellent à partir de leurs connaissances dans ce genre qu’ils ont encore peu exploré et tentent avec peine de se familiariser avec le texte, avec la forme et les codes de ce type de comédies légères emplies de quiproquos, de mécompréhensions et d’intrigues où portes claquent et gifles triomphent. Une longue scène larmoyante épuise la comédienne Michèle qui se sent déprimée rien qu’à l’idée de réitérer cet instant lors des futures représentations. François et Viviane, pendant la répétition d’une scène, sont gauches dans leur ton et leur articulation ; ils n’y sont pas du tout. Et l’on rit, l’on rit de leur maladresse et de leur fausseté.

Le classique et le contemporain se rencontrent et redéfinissent ainsi les frontières qui très souvent les séparent. Les codes propres au vaudeville, l’humour, la caricature, le burlesque servent à éclairer le milieu du théâtre contemporain, sa diffusion restreinte, sa réception parfois incomprise ainsi que la fragilité inhérente à la profession d’«artiste-performeur». Les scènes décousues défilent et dépeignent de façon satirique le tableau de ce microcosme contemporain. Deux comédiennes se retrouvent après des années et discutent ; l’une est à Paris et tient un petit rôle dans une pièce de boulevard, elle en est à sa 351e représentation. L’autre travaille en Suisse dans le circuit du théâtre contemporain, comme on dit. La compétition entre les deux profils se fait sentir dans cette scène pince-sans-rire. Puis, la crise de nerf de Michèle qui imagine le pire pour son avenir : atterrir à Bordeaux et, sans succès, se retrouver à tenir un Bed and breakfast miteux. Ou encore Anne s’entretenant avec son père pour lui avouer qu’elle n’est ni horticultrice en Suisse ni mariée à un dénommé Philippe mais bien comédienne à Paris et célibataire. S’ensuit un gigantesque quiproquo sur sa réelle activité prétendue salace, perverse et sans fondement aux yeux du père. Cette succession de scènes tragico-comiques met leurs nerfs à rude épreuve et témoigne avec humour et plaisanterie de la difficulté d’exercer ce métier.

En toile de fond, le texte d’Eugène Labiche, auteur de la véritable Cagnotte (1864), présente l’histoire d’un groupe d’amis qui, suite à un jeu de cartes, récolte une certaine somme d’argent et décide de s’aventurer à Paris. Ce scénario pourrait servir de métaphore : les provinciaux qui s’aventurent dans la grande ville sont ici les « artistes contemporains » suisses s’aventurant dans l’exercice de ce genre classique et institué. Les comédiens se le réapproprient et ré-élaborent cette pièce à partir de leur propre réalité : un spectacle au second degré.