On demande l’original … et la copie conforme

Par Alice Moraz

La Comédie des erreurs / William Shakespeare / mise en scène de Matthias Urban / TKM- Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne / du 1 au 22 décembre 2016 / Plus d’infos

©Mario Del Curto
©Mario Del Curto

Dans un décor simple mais protéiforme, le metteur en scène lausannois Matthias Urban propose une version moderne de La Comédie des Erreurs. Pièce de jeunesse de Shakespeare qui prouve que l’on ne peut se fier à ce que l’on voit, elle prend vie sur le plateau grâce à six comédiens qui passent sans difficultés d’un personnage à l’autre.  

De grands draps de lin blanc servent à la fois de rideaux et d’écran : y est projetée en ombres chinoises une scène de naufrage, qui résume en images le début de la pièce la plus courte du dramaturge anglais. C’est en effet pendant un naufrage qu’Egéon perd sa femme Emilia, ses deux fils jumeaux, ainsi que les deux frères jumeaux qu’il avait achetés pour en faire les esclaves de sa progéniture. Chacun des parents s’étant, pour éviter la noyade générale, attaché à l’un des fils (tous deux s’appellent Antipholus) et à l’un des futurs valets (tous deux prénommés Dromio) les deux groupes sont séparés mais sains et saufs. Vingt ans plus tard, après avoir erré à la recherche de son second fils, lui-même parti en quête de son frère, Egéon échoue à Ephèse où il est condamné à mort : une loi interdit les échanges entre Ephèse et Syracuse, sa ville d’origine. Le duc d’Ephèse, attendri par son histoire, lui octroie une journée pour réunir la somme qui rachètera sa liberté. A la recherche de leurs frères respectifs, qui se trouvent en effet à Ephèse, Antipholus et Dromio de Syracuse y arrivent aussi peu après leur père. Les personnages sont alors entraînés dans un tourbillon d’apparences, d’illusions, de quiproquos et de malentendus. Tout s’embrouille, chacun se piégeant lui-même sans le vouloir jusqu’à en perdre le sens de sa propre identité. Tour à tour, les deux Dromio doivent exécuter des ordres qui n’ont plus aucun sens, leur maître n’étant une fois sur deux pas celui face auquel ils pensent se trouver.

Matthias Urban a choisi de n’avoir qu’un comédien pour jouer chaque paire de jumeaux. François Florey (Dromio) et François Nadin (Antipholus) font preuve d’une grande finesse pour interpréter chacun deux personnages à la fois. Ils sont certes jumeaux mais, ayant vécu une vie différente, ils ne sont pas tout à fait identiques. Le metteur en scène insiste sur leurs différences grâce à un détail de leurs costumes et à un accessoire en particulier : les lunettes, allusion évidente au fait que la vision est trompeuse et que chacun s’égare parmi les illusions. Si, finalement, même le public a du mal à suivre, ces changements de rôles renforcent le comique de la pièce.

Le décor un peu minimaliste est aussi pensé pour permettre les entrées et sorties des personnages en plusieurs endroits, rendant la confusion d’autant plus grande. Une surface hexagonale en bois fait office de place du village. Une porte additionelle, plantée au milieu du plateau, permet au comédien qui joue Dromio de disparaître et réapparaître à vue derrière le battant qui tourne à 360 degrés, incarnant ainsi un valet puis l’autre. En arrière plan se trouve un grand panneau qui représente un ciel bleu parsemé de nuages dans lequel sont découpées trois portes que l’on distingue quand elles s’ouvrent. Ce panneau sert tour à tour de maison, d’église et de promontoire pour les différents personnages qui y apparaissent en hauteur. Il est surprenant de voir soudain y surgir le duc comme s’il sortait d’un chapeau de magicien, ou la femme d’Egéon transformée en religieuse rock.

Les bruitages et morceaux musicaux sont assurés en direct par deux hommes eux aussi habillés de manière identique. Les instruments eux-mêmes ont une apparence qui ne concorde pas avec leur fonction : une pelle en guise de guitare électrique ou un piano servant de flûte. Tour à tour, ce sont les acteurs qui se mettent à chanter : un rap pour Dromio, une chanson française interprétée par Egéon ou du hard rock pour l’abbesse, habillée en Vierge Marie pour l’occasion. Reprenant la pratique de Shakespeare qui incluait souvent de la musique durant les représentations de ses pièces, le metteur en scène a choisi de dépoussierer La Comédie des erreurs. La traduction qu’il a choisie est d’ailleurs très récente (elle date de 2011) et modernise la pièce. On sort du théâtre un peu étourdi. À voir au TKM-Théâtre Kleber-Meleau jusqu’au 22 décembre 2016.