Le bon débarras

Par Josefa Terribilini

Dada ou le décrassage des idées reçues / Mise en scène et montage de Geneviève Pasquier / Théâtre des Osses / du 8 au 23 décembre + 31 décembre 2016 / Plus d’infos

©Théâtre des Osses

Dada ou le décrassage des idées reçues, c’est la démonstration qu’on peut faire une pièce de théâtre de trois bouts de ficelles et deux bouts de carton. Littéralement. Et puis, il faut aussi des acteurs pour les éparpiller, les démonter et les remonter, les découper et les recoller. Ces acteurs, ils sont trois et vous verrez, à la fin, vous les applaudirez.

Du moins c’est ce que nous annonce la comédienne lorsqu’elle nous fait nous lever au début du spectacle. On hésite comme des huîtres, parqués sur nos sièges, puis on se hisse sur nos pieds, en ricanant… Et quand on se rassoit, tout a changé. On parle. On est libérés. À la fin de la pièce, un spectateur chuchotera quand même « c’est très… spécial ». C’est que Dada bouscule tout. Créé il y a cent ans par un groupe d’artistes hétéroclites, le mouvement dadaïste voulait se débarrasser des conventions.

Alors tout part à vau-l’eau, comme la grosse boîte en bristol du début qui termine éventrée, décomposée en jambes de papier, en bébés ballons, en néons-ventilateurs ou en bouche qui tictaque. Les langues aussi se mélangent : français, allemand, et une autre plus étrange (il paraît que c’était du suédois). Elles sont parfois parlées, parfois chantées. Mais n’espérez pas y déceler une mélodie.

N’espérez pas non plus trouver une histoire. Ou alors juste pour quelques minutes absurdes et hilarantes, lorsqu’Apollinaire fait une incursion dans le spectacle. Thérèse alors devient Tirésias ; « Débarrassons-nous de nos mamelles » rugit-elle en arrachant sa poitrine de bois. Et la voilà qui troque ses cheveux-ficelles pour une barbe-ficelle. Parce qu’elle devient un homme, son mari devient une femme, évidemment. Il est si fécond qu’il doit très vite border plus d’une quinzaine de bébés ballons, assis sur sa chaise en carton. Puis un ballon se transforme en cigarette, et l’extravagance recommence.

« Y a rien à comprendre ! » s’exclame un personnage ; et pourtant, on sent qu’il y a autre chose. Les snobs sont parodiés, l’argent est exécré, la société tout entière paraît être raillée dans ce grand délire multiforme hanté par une Première Guerre mondiale qui faisait rage alors. La guerre, Geneviève Pasquier choisit de la convoquer, mais toujours en filigrane. Comme un fantôme qui revient en pièces détachées. Comme ces bouts de bras et de jambes en papier, cadavres exquis suspendus par des pincettes à la fin de la représentation. Ces images sont frappantes, mais elles n’interrompent jamais un délire qui les convie pour mieux rire.

Cependant ce grand remue-ménage va si loin que l’on fléchit un peu. Difficile de rester collés à un spectacle qui se débarrasse de tout et même un peu de nous. Difficile même de savoir s’il faut applaudir, alors que l’énorme monstre de papier s’agite dans le noir. Est-ce que c’est fini ? On n’est pas sûrs. Mais au fond, c’est normal, c’est Dada. Et c’est bien fait pour nous.