Des masques, des figures

Par Nadia Hachemi

Holes & Hills / de et par Julia Perazzini / Arsenic / du 26 au 30 novembre / Plus d’infos

© Simon Letellier
© Simon Letellier

Entre le visage que l’on donne à voir au monde et le vrai, celui qui – toujours mouvant et en construction – se cache derrière cette façade, un creux. En ce moment, à l’Arsenic, Julia Perazzini imite et fait tomber les masques, tentant de soulever un pan de voile, à la recherche de la part d’insaisissable qui forme l’identité.

Parmi les nombreux personnages de cette pièce on peut nommer Julia Perazzini, Milla Jovovich, Dalida, Marguerite Duras, un médecin célèbre, une conférencière québécoise, une sans-abri, une femme qui perd la mémoire, et une personne malentendante qui, pour la première fois, découvre sa voix. Et pourtant, ce soir, à l’Arsenic, Julia Perazzini est seule sur scène. Changeant de personnage aussi vite que d’expression, l’actrice saute d’une identité à l’autre d’une manière aussi étonnante que schizophrénique. Ces transformations se matérialisent surtout dans la voix qui se module, tombe, s’étouffe, part dans les aigus ou les rires hystériques au gré de chaque personnage. Son timbre offre une voie vers l’intériorité de ces personnes imitées, dont les spectateurs se font un plaisir d’essayer de deviner les référents – même si, pour ma part, beaucoup m’ont échappé.

Ce qui rassemble ces multiples rôles ? Ils sont ici en situation d’échange : interviewés par des interlocuteurs fictifs, ils se mettent en scène à l’intention d’un public multiple. Julia Perazzini les parodie au moment où ils jouent leur propre rôle, une mise en abyme qui met en valeur la manière dont l’identité est un mirage, toujours changeant et surtout construit, plus ou moins consciemment.

Mais qui se cache vraiment sous le masque que l’on présente au monde ? Qu’importe ! C’est cette façade en elle-même qui fait l’objet du spectacle. Julia Perazzini parvient à merveille à souligner le ridicule des poses et des mines que l’on prend pour se présenter au monde sous ce que l’on croit être notre meilleur jour: le spectacle n’en est que plus parodique et grinçant.

Au fond, tout est dans le titre, Holes & Hills. Hills, les montagnes et leurs pointes, qui rappellent celles des cristaux de neige, parfaits exemples de l’osmose du hasard et de la nécessité présidant à la naissance de toute chose, une idée qui séduit la créatrice du spectacle. D’abord, explique la conférencière québécoise, il y le biologique, irréductible, nécessaire, puis, ce sur quoi il n’étend pas sa souveraineté, qui est à la merci du hasard, source de l’infinie diversité du monde. Du jeu entre le hasard et la nécessité émerge le je. Holes, les trous, ceux de la mémoire, et ceux dans lesquels on sombre lorsque l’on se perd soi-même.

On peut aussi penser que ce titre renvoie à l’entreprise globale du spectacle, qui cherche à cerner la notion d’identité, selon la double perspective de ce qui la fonde – un mélange subtil de liberté et de conditionnement – et de ce qui la met en péril, nous mène à nous « abandonner nous-mêmes », à lâcher ce peu de stabilité identitaire que l’on est parvenu, à grand peine, à construire artificiellement. Sous le masque ridicule et parodié se laisse entrevoir une fragilité, un mince fil qui menace continuellement de se briser en déchirant le voile que l’on avait mis tant de cœur à tisser.

Le spectacle oscille entre comique et tragique par de brusques changements d’ambiance orchestrés par des jeux de lumière. Entre les trous (holes ?) d’obscurité, les couleurs sont mises à l’honneur : les lumières, par de subtils dégradés, explorent tous les tons de l’arc-en-ciel, à l’image du foisonnement du spectacle dans son entier. Monologue, certes, mais qui s’enrichit de jeux sur les ombres, de danses et même brièvement d’une chanson. Julia Perazzini nous mène par le bout du nez, nous perd à plaisir, puis nous rattrape in extremis. Un spectacle surprenant qui ne peut que faire rire… et réfléchir !