« C’est la maison de mon esprit »

Par Fanny Utiger

Fresque / sur une idée de Marius Schaffter & Jérôme Stünzi / par le collectif Old Masters / Théâtre de l’Usine / du 19 au 25 mai 2016 / plus d’infos

©DR
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L’art ne cesse de s’interroger lui-même. Sur la scène du Théâtre de l’Usine Fresque le questionne, le triture, et se joue d’un public qui en reste parfois déconcerté.

Étagères jaunâtres faussement symétriques sur un plateau irradié des rayons d’un nid de néons. On se croirait en Allemagne de l’Est. Ou devant un projet Ikea inachevé. En haut de cette structure, une caisse de contre-plaqué, et puis, au-dessous, comme un gros silex de mousse. Tous les compartiments anguleux de la composition sont faits de cette même matière. Seuls trois cylindres transparents habitent l’installation. Et tout est abandonné au silence. Un silence, oui, puis un bourdonnement presque indiscernable. Pendant de longues minutes, un plateau inerte fait face à un public déconcerté, curieux de savoir quand on viendra briser le calme froid de la scène, voire même si quoi que ce soit finira par y bouger. Une lumière pénètre un cylindre plein d’eau et de bulles, de quoi poursuivre encore quelques minutes d’une stagnation presque hypnotisante, préambule d’une recherche, d’une création, d’un voyage imaginaire sur fond méta-artistique.

Tous deux en plein processus de création, un homme et une femme tournent autour de ce grand arrangement et le questionnent une heure durant. Il devient alors le lieu de leurs interrogations, qui oscillent entre exploration artistique et considérations personnelles. Leurs paroles donnent forme à un appartement constitué de cette paroi de polymère, dans lequel ils déambulent, du salon au garage en passant par la cuisine. L’œuvre observée dans Fresque est presque là. Dans le fond de la caisse de bois qui trône au beau milieu de cette installation géométrique, ils poursuivent chacun leur tour un même projet, le commentent ensemble. On n’en voit rien, si ce n’est ce qu’ils nous en disent. Pourtant, on sait et on sent que l’on suit l’évolution d’une œuvre et sa concrétisation. Une peinture envisagée au départ au cœur de l’installation prendra finalement la forme éphémère d’une danse indienne ou d’une performance. Puis l’œuvre s’achèvera peut-être dans un bouquet final bruyant et lumineux, à des lieues de ce que l’on avait pu contempler, ou de ce qui nous avait été évoqué. Les arts conversent ainsi autour de cette fresque. Qu’ils soient visuels ou de la scène, il s’enrichissent, ou du moins cherchent mutuellement ce qui leur manque respectivement.

Au-delà d’une thématisation diégétique de la recherche artistique, Fresque semble aussi être en quête de son propre dessein. Ainsi, la pièce qui se déroule sous nos yeux se cherche-t-elle autant que ses personnages se creusent la tête, pris tout entiers par leur création. Réfléchir à l’art, mais aussi à son inscription dans le temps, est une des préoccupations principales des artistes de Fresque. Cet élan se ressent tout au long de la représentation. Il en ressort pourtant plus des pistes que des réponses, voire même une question principale : à quel point tout ceci est-il sérieux ? Le texte, s’il met véritablement le doigt sur d’importantes problématiques artistiques, flirte aussi souvent avec un certain second degré. Le public rit de bon cœur à quelques innocences des personnages, quelques ratés entre eux. Comme lorsqu’elle lui répond qu’elle a envie de vomir alors que lui tente de lui dire l’attraction qu’il sent entre eux. En revanche, notre rire n’est-il pas plus moqueur lorsque tous deux s’extasient sur une vieille poire ? Le premier degré des personnages plonge à plusieurs reprises les spectateurs dans la perplexité. Faudrait-il voir dans ce spectacle une auto-dérision vis-à-vis de l’art ? L’idée est plus qu’attrayante, mais travaillée dans un sens qui, à force, ne permet plus de savoir qu’en penser…

La part d’absurde dans les rapports entre les deux personnages n’en est pour sa part pas moins touchante. Ils évoluent avec une candeur presque enfantine face à leur œuvre, en même temps qu’ils lui font parcourir de tortueux chemins à travers l’art contemporain. Quelques incertitudes ne sauraient nous priver de leur légèreté. Ces deux énergumènes aux bizarres perruques de plâtre presque dix-huitièmisantes tiennent un discours tantôt anecdotique, tantôt existentiel, qui, si on ne le comprend pas toujours, relève peut-être finalement du très intime. Comme le seraient les discussions d’un couple au sein d’un appartement qu’une mouche observerait discrètement, ou comme bourdonneraient les pensées d’un artiste en pleine élaboration de son œuvre… Cogitation artistique, Fresque reste une recherche. Il n’est pas étonnant, alors, que son spectateur en garde lui aussi quelques blancs.