De l’envol à la chute

Par Nadia Hachemi

La Mouette / d’Anton Tchekhov / mise en scène Thomas Ostermeier / Théâtre de Vidy / du 26 février au 13 mars 2016 / plus d’infos

©Arno Declair
©Arno Declair

Le théâtre. Son glamour et ses périls. Les vocations et désillusions qu’il suscite. Que représenter et comment ? Actuellement à Vidy l’art dramatique est le centre de tous les conflits.

L’attente. C’est ainsi que cette pièce s’élance dans un préambule ultra contemporain où dialoguent deux personnages avant le début d’une pièce enchâssée. Cette entrée en matière étrange annonce d’emblée la tonalité extrêmement autoréférentielle et postmoderne d’une pièce qui a pour thème le théâtre. La scène du théâtre de Vidy, transformée pour l’occasion en boitier gris muni de bancs qui longent chaque paroi, est le lieu de grands préparatifs de la part de Constantin, le personnage principal qui fait jouer une pièce pour la première fois. Pendant ce temps les autres personnages qui ne quitteront pratiquement jamais la scène restent assis dans le fond, assistant de manière absente à cette installation, occupant un espace liminal, hors coulisse, qui pourtant n’est pas vraiment celui de l’action.

Le nouveau spectacle d’Ostermeier parvient avec brio à jongler entre les différentes thématiques de la pièce d’Anton Tchekhov. Une tâche aisée ? Assurément pas, compte tenu de la richesse du texte ! L’art, la notoriété, les conflits intergénérationnels et familiaux, l’amour passion et tragique, tant de problématiques centrales à la vie humaine avancées par Tchekhov et que le spectateur se fait un plaisir de retrouver chez Ostermeier. Mais c’est le théâtre, objet de toutes les obsessions et convoitises des personnages, qui reste le point focal de tous les faisceaux de signification du spectacle.

La pièce de Constantin, ultra avant-gardiste et obscure, se fait l’emblème de toute l’histoire des personnages et de leurs conflits. Quel est le rôle du théâtre ? Comment trouver des motifs réellement originaux et se placer à la suite des précurseurs du passé ? Comment se positionner dans cette escalade endiablée vers l’étrange nouveauté qu’est l’avant-garde ? Tant de questions qui torturent Constantin et qui dirigent sa création artistique.

Le romantisme et le désir de renommée s’en mêlent à travers la figure de Nina. Naturellement attirée par Constantin « comme une mouette vers un lac » elle se détourne de lui en faveur de Trigorine, l’écrivain célèbre qui lui ouvrira les portes de sa vocation ou ce qu’elle croit l’être : devenir actrice ! Le mécanisme qui mènera à la fin tragique se voit enclenché par ce choix. L’art et l’amour se mêlent et se font obstacle.

Un motif reste, lancinant, obsessionnel, celui de la mouette qui se fait abattre par un passant poussé par son désoeuvrement. Symbole d’une jeunesse foudroyée dans son envolée vers les sommets. Enfermés dans la boite close qu’est la scène, les personnages se débattent, stagnent, et s’effondrent sous les yeux passionnés des spectateurs. La pièce, se terminant sur un suicide, martelée par les désillusions de ses protagonistes semble réunir tous les ingrédients d’une tragédie bien pathétique. Le spectacle se limiterait-il donc à son pathos ? Certainement pas ! Le public rit et sourit fréquemment grâce à une mise en scène où se cristallise toute la drôlerie de la tragicomédie de Tchekhov. L’utilisation de morceaux de rock des années soixante et septante à la fois actuels et rétros permet de dynamiser la pièce en lui donnant une tonalité moderne. La fidélité au texte, alliée à cette atmosphère brute donne une mise en scène modernisée qui met en relief la portée universelle du texte.