Regardez-moi

Par Camille Logoz

Marla, portrait d’une femme joyeuse / écrit et mis en scène par Denis Maillefer / L’Arsenic / du 28 janvier au 7 février 2016 / plus d’infos

©Virginie Otth

Marla. Un prénom féminin, annoncé d’entrée de jeu, martelé, dans lequel tient aussi le sujet du spectacle : une jeune femme indépendante, libre d’avoir choisi la prostitution, un travail qui lui correspond ; un rôle, une performance, une image à entretenir, maintenir, soigner. Un outil. Mais aussi une zone de flou, une existence qu’on estompe, un statut auquel on refuse droits, respect et considération.

Ce que Marla revendique, c’est d’avoir embrassé sa carrière en pleine connaissance de cause. D’avoir fait ce choix par confort, et par plaisir. Elle gagne bien sa vie, exerce en indépendante. Elle est travailleuse du sexe. Elle dit que son métier participe d’une vision plus globale de l’amour et du sexe, d’un rapport au corps qu’elle entretient même dans le privé, entre ses diverses relations. C’est un style de vie qui la rend heureuse, qu’elle n’impose à personne, et pourtant elle se heurte à de nombreuses barrières : un Etat qui ne reconnaît pas sa profession, qui la précarise, la retranche du tableau d’une société heureuse ; des connaissances inquiètes de la voir se livrer comme une marchandise, invoquant son inconscience ; une bien-pensance nauséeuse qui lui ôte même le droit de penser librement, affirmant reconnaître là un effet de plus de l’aliénation des femmes par la virilité exubérante et non canalisable des hommes.

La comédienne développe la trajectoire de Marla, ses obstacles, ses arguments dans un brillant monologue sous un jeu de lumière subtil, qui l’éclaire de façon tantôt aveuglante, tantôt tamisée, comme pour rappeler l’hyper-exposition que ce métier demande au corps et à la personne, et la zone d’ombre dans laquelle on tente de le reléguer. Zone que pourtant il ne quitte jamais vraiment, de par son lien avec l’intimité profonde. Marla – le personnage – a le regard clair, exhibe sa fraîcheur, ponctue son discours d’injonctions à la regarder, l’assimiler, la prendre en compte. Elle nous observe en retour. Ses yeux se fixent sur l’assistance, primordiale dans ce dispositif scénique de l’exposition, du dévoilement, de la mise en avant, de la revendication. Quand la lumière se fait forte, elle baigne dedans au même titre que Marla, Marla inclut le public dans son monde, plutôt que de continuer à être l’exclue.

Le spectateur est tantôt entraîné par l’illusion de spontanéité et d’authenticité, tantôt il se heurte aux effets du discours préparé et appris par cœur, sans que cela ne vienne remettre en doute le dispositif d’assimilation de la figure interprétée à la figure réelle. Le texte se divise entre langage cru, qui met à jour la réalité, qui se saisit parfois de l’anecdote, et les phrases plus travaillées qui explicitent une position, qui développent un argument. Il reprend ainsi la dialectique entre rôle à jouer et mise à nu que demande le travail de Marla. À travers ces reflets de facticité, c’est la vraie Marla qu’on devine, celle qui a donné sa substance et ses mots à son double scénique, qui, assise dans la salle, a cette fois pris sa place au sein de l’assistance.