Entre vie et mort

Par Jonathan Hofer

La vie que je t’ai donnée / de Luigi Pirandello / mise en scène Jean Lermier / Théâtre de Carouge / du 26 janvier au 14 février / plus d’infos

©M.D. Curto
©M.D. Curto

Comment réagir face à la mort d’un fils ? Et s’il continuait à vivre à travers sa mère, s’il ne s’agissait, finalement, que d’un second don de vie ? Ou alors faut-il se laisser mourir avec lui ? « Se martyriser, se consoler, s’apaiser. Oui, c’est bien cela la mort ». Entre vie et mort, clarté et ténèbres, pleurs et rire, Jean Lermier donne à voir un spectacle construit dialectiquement.

Luigi Pirandello (1867-1936) est un artiste qu’on ne peut enfermer dans les typologies classiques. Toujours hors du clivage entre le comique et le grave, ses œuvres peignent des portraits atypiques et marginaux qui laissent souvent une paradoxale impression de proximité, de familiarité. C’est le cas de La vie que je t’ai donnée. Ecrite en 1923, la pièce montre les tourments d’une mère ayant perdu son fils tout juste de retour, après sept années d’absence. Loin d’assumer son deuil, Donna Anna affirme que son fils vit à travers elle. Qu’elle le maintient aussi vivant qu’il l’était avant de s’en aller, il y a bien des années. Toute la trame se joue dans ce déni auquel le spectateur, pour lequel la frontière entre « réalité » et invention subjective des personnages est toujours incertaine, finit presque par croire.

Jean Lermier comprend Pirandello. Sa mise en scène laisse parler les silences, elle embellit le texte, elle laisse la place au rire, aux pleurs, aux ambiguïtés et aux incongruités propres à l’auteur italien. Les rythmes et les tonalités se mêlent, formant un tout homogène. Le décor et les costumes sont simples mais efficaces : ils invitent le spectateur à s’immerger dans la campagne toscane. La lumière, tantôt claire, tantôt ténébreuse, joue avec ces décors : on voit ainsi danser les ombres, à travers une fenêtre, une porte, contre les façades ocres…. Incarnation du fils perdu, errant dans la solitude de la maison maternelle ?

La distribution soutient, elle aussi, à merveille le spectacle. Les acteurs incarnent avec une justesse redoutable des personnages difficiles à appréhender, déchirés dans la folie, dans le deuil, dans une profonde nécessité de donner un amour impossible. Des caractères qui, malgré leur complexité, deviennent très rapidement familiers.

Sans entrer dans l’excès, la représentation démontre le sens du détail de toute l’équipe artistique pour peindre un tableau somptueux, propre et fidèle au croquis de l’auteur. On ne peut que vous encourager à vous immerger pour deux trop courtes heures dans ce théâtre genevois ; personne n’en sortira inchangé !