Une « trop » folle journée de noces

Par Waqas Mirza

Le nozze di Figaro  / de Wolfgang Amadeus Mozart, à partir du livret de Lorenzo da Ponte / mise en scène Galin Stoev / direction musicale Alexis Kossenko / Théâtre du Reflet (Vevey) / 24 novembre 2015 / plus d’infos

©Richard Dugovic
©Richard Dugovic

Galin Stoev met en scène les Noces de Figaro de Mozart. Un amant qui saute du balcon, un mari cocu lui-même adultère, un fiancé jaloux au service de son rival… Cet opéra-bouffe déroule une série infinie de situations incongrues qui se laissent copieusement dévorer.

Difficile de quitter le théâtre du Reflet sans ressentir un trop-plein d’émotions. « Trop de notes », se plaignait déjà l’Empereur Joseph II en 1786, après avoir assisté à la première représentation des Noces de Figaro. « Il y a tout simplement trop de notes », reprochait-il au jeune Amadeus. L’Empereur avait jugé immodéré le travail du compositeur obstiné qui voulait marier sa musique au langage du librettiste Lorenzo Da Ponte. L’idée de partager le ressenti de la royauté autrichienne du XVIIIe siècle n’est pas sans troubler le spectateur contemporain. Mais cet excès qui suscitait la critique de Joseph II semble plutôt séduire le public moderne.

L’opéra tient en quatre actes, mais il conserve l’intrigue drôle qui fait tout le charme irrésistible de cette folle journée de noces: Figaro veut épouser Suzanne, camériste de la Comtesse ; lorsqu’il apprend que le Comte lui fait des avances, sa colère se déchaine. La mise en scène de Galin Stoev met l’accent sur le désir, cette émotion qui motive la frénésie romantique des personnages. Un enchevêtrement de péripéties rythme alors intensément ces jeux de l’amour et du hasard.

L’espace est exploité de façon à faire ressortir le style vaudevillesque de l’histoire. Transformée en cachette absurde, la robe de mariée de Suzanne gît sur le sol et voit défiler un par un tous les amants apeurés. Chérubin, incarné par Ambroisine Bré, plonge en pleine rêverie sous ses voiles blancs pour échapper aux griffes du Comte, aussi cocu qu’arrogant. Mais au moindre son dans le couloir, c’est le Comte lui-même qui s’y réfugie pour éviter l’esclandre d’une affaire entre noble et servante. Chacun poursuit ardemment l’objet de son désir, dans la peur continuelle de se faire découvrir. Que de quiproquos, de manipulations, et d’interrogations incriminantes qui suscitent sans cesse le rire du public. L’émotion est à son comble à chaque fin d’acte, qui accorde l’exaltation des personnages au tutti des mélodies vertigineuses. À ce titre, l’apport des chorégraphes n’est de loin pas négligeable. Le slow-motion des chanteurs à la fin du deuxième acte est une invention parfaitement bienvenue dans cette histoire où chaque problème, à peine résolu, en appelle un autre. De même, les personnages recourent constamment à un nouveau mensonge pour éviter les conséquences du précédent, et s’enfoncent toujours plus dans un tissu de tromperies.

La scène est constamment saturée de personnages: même lorsque ceux-ci ne sont pas concernés par la scène jouée, des cabines transparentes révèlent les occupations que le public n’est pas censé voir. Le spectateur est ainsi invité dans l’intimité d’une noblesse trop occupée à soigner son apparence. En bon Comte aristocratique, le baryton Thomas Dolié y passe des heures à fixer son nœud de cravate, pendant que Yuri Kissin l’accable des invectives graves d’un Figaro jaloux. On y voit aussi, dans le rôle de la Comtesse, Diana Axenti qui arrange sa chevelure en chignon, ou Emmanuelle de Negri qui s’adonne aux corvées de soubrettes. Dommage que la liste des représentations ne regorge pas d’autres dates en Suisse : il faudra suivre la tournée en France pour voir (ou revoir) cette équipe débridée.