La cocasserie de l’ennui

Par Nadia Hachemi

Mademoiselle Werner / de Claude Bourgeyx/ mise en scène Yann Mercanton / CPO /du 01 au 04 octobre 2015 / plus d’infos

©Fabian Sbarro
©Fabian Sbarro

Dramatiser le banal, le transfigurer par l’humour et le fantasme pour l’alléger et l’animer : Mademoiselle Werner est une pièce aussi dérangeante que réjouissante dans son extravagance, qui ne peut qu’ébranler le spectateur.

Après avoir mis en scène en 2004 le roman de Claude Bourgeyx Les petites fêlures, Yann Mercanton continue sur la même lancée en s’attelant au deuxième volet de ce texte qui se concentre sur la fille de l’héroïne, Mademoiselle Werner. L’acteur et metteur en scène apparaît en solo, comme le public l’a déjà connu, notamment dans sa mise en scène des Microfictions de Régis Jauffrey. Une heure d’un délicieux spectacle étrange et loufoque s’ensuit. Un homme seul face à son public recrée les ruminations intellectuelles d’une femme au prénom inconnu et qui restera pour tout le spectacle « Mademoiselle Werner ». Une vie rythmée par les visites des voisins pour emprunter du sel et les trajets à l’hypermarché exige un peu d’imagination. Partant de l’infime, le spectateur est mené d’une manière particulièrement efficace dans un monde cocasse où le registre des réclamations d’un supermarché joue le rôle de correspondance amoureuse et où l’église devient le lieu de l’assouvissement de pulsions cleptomanes.

Derrière la drôlerie, la morosité et la tristesse de l’expérience de Mademoiselle Werner se font clairement sentir. Célibataire endurcie, la tête emplie de romans à l’eau de rose, l’héroïne croit apercevoir des amourettes à chaque pallier de son immeuble. Son désir d’avoir « un petit singe », un substitut d’enfant plus vivant qu’une poupée, est aussi pathétique que comique. Reste que le burlesque domine dans cette mise en scène. L’attribution de ce rôle féminin à un homme lourdement maquillé et vêtu d’un tissu, utilisé tour à tour comme jupe, voile ou cape, ne fait qu’en renforcer le comique. Le décor, minimaliste, ne comprend que quelques objets ménagers, présents dans l’unique but d’être utilisés d’une manière plaisante comme support du monologue dont ils illustrent les propos. Des interludes musicaux et dansés des plus loufoques servent le même motif.

La vie se voit dramatisée, et la tension inhérente qui lui appartient, entre la banalité du quotidien et l’aspiration à de grandes choses, forme le noyau central de la pièce et de son ressort comique. Monologue de l’ennui, durant lequel on ne voit pas le temps passer, Mademoiselle Werner est en pleine fuite hors de la réalité à travers le prisme de ses fantasmes et de son imagination. Une pièce douce-amère, donc, qui reprend un thème central de la littérature, le lien entre fiction et réalité, pour montrer avec insistance la vacuité de cette dernière. Dans sa banalité le quotidien cache toujours un soupçon de drôlerie et de bizarrerie qu’il convient de rechercher. Il faudra nous contenter de ce mince espoir pour reprendre le cours de notre quotidien et en dissiper un peu l’ennui, en augmentant sa bizarrerie.