À la lumière des regards

Par Marie Reymond

La Cerisaie / d’Anton Tchekhov / par la Cie du Passage et Cie G. Bouillon / Théâtre du Passage (Neuchâtel) / du 22 au 25 octobre 2015 / plus d’infos

©Cosimo Terlizzi
©Cosimo Terlizzi

Une famille russe voit son domaine menacé de vente si elle ne trouve pas un moyen de rembourser les intérêts de ses dettes. Réunis pour la première fois depuis des années, ses membres sont amenés à revisiter leur passé lié au domaine dans un processus de deuil. Aidés par l’utilisation de la lumière, les spectateurs sont happés dans les introspections des différents personnages, que l’on suit avec passion.

Dans cette mise en scène, le personnage principal, c’est la demeure elle-même. Elle est le point de départ de l’histoire, puisqu’elle rassemble autour d’elle une myriade de personnages se trouvant à un moment charnière de leur existence, qui les pousse à se remettre en question. Le jeu des lumières reflète les différents regards que les personnages posent sur la maison, regard qui évolue et se transforme au fur et à mesure des scènes.

La maison est représentée par un pan de mur avec trois fenêtres et une porte-fenêtre. Des branches de cerisier y sont peintes. Quelques meubles en bois et des jouets pour enfants – une maison de poupée, un cheval à bascule – occupent l’espace scénique. Un tableau familial surplombe la pièce et achève de donner à l’espace un aspect figé. Toute la scène est plongée dans une lumière verdâtre qui donne des airs de morte à la demeure.

Dans un effort final de déni, Lioubov, la maîtresse de maison, organise une fête le jour de la potentielle vente du domaine. La vieille bâtisse reprend vie. La lumière chaleureuse en fait un cocon d’une beauté sans pareille, à laquelle Loubiov fait écho dans sa robe scintillante. La maison semble sortie d’un rêve, comme en dehors du passage du temps. Puis la nouvelle de la vente tombe ; le domaine est condamné à être détruit. La scène est soudainement plongée dans une lumière froide et crue : elle fait de la maison un cadavre que l’on passera bientôt à l’autopsie.

Les personnages se préparent à quitter la cerisaie. Les fenêtres et volets sont clos, comme un regard fermé. La lumière brille à l’extérieur, mais plus dans la maison. Le processus de deuil s’achève avec la mort du vieux serviteur, resté seul dans la vieille demeure. Des « il est temps de mourir, vieil homme » ponctuent toute la pièce et présagent une forme d’aboutissement. On en arrive à une forme d’acceptation, qui donne à cette fin un goût mélancolique, mais apaisé. Et noir.