Votre ami Diyaa s’est suicidé (j’aime ; commenter ; partager)

par Lucas Morëel

33 tours et quelques secondes / conception Lina Majdalanie et Rabih Mroué / du 13 au 14 juin 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos

© Louis Sarmad
© Louis Sarmad

Cette pièce originale vous emmène dans un voyage sur la toile. Plus précisément, sur le mur Facebook de Diyaa Yamout. « Vous avez de nouvelles notifications. » « N’oubliez pas de relever vos messages vocaux » « La révolution 2.0 a commencé, allez-vous participer à cet événement ? »

Une fois installés au cœur d’un salon, aménagé dans la pénombre de salle René Gonzalez, c’est le son lancinant d’un tourne-disque qui attire d’abord l’attention. Le reste est plus banal : de l’autre côté de la scène, la neige anime l’écran d’un vieux téléviseur. Au centre, un bureau, un ordinateur, un téléphone portable et quelques autres appareils électroniques complètent le tableau de la vie ordinaire.

Mais lorsque démarre la chanson Le dernier repas de Jacques Brel, la salle se couvre d’un voile plus grave. Et c’est sous l’auspice de la mort que se poursuivra la séance. Ce sont en effet les répercussions du suicide de l’anarchiste Diyaa Yamout le 3 octobre 2011 qui nous seront présentées, et ce uniquement à partir de son mur Facebook, des émissions de télé qui tentent de comprendre et des messages de son amie qui tente désespérément de le joindre, ne croyant pas à sa mort. Sur scène, pas d’autre présence que celle des appareils de communication.

Un mois d’archives Facebook nous entrainent à travers les différentes discussions autour de la pensée pas toujours bien comprise de Diyaa. Ses amis en font un martyr voire un saint, les croyants une âme damnée, ses proches un enfant perdu, les media un adolescent qui n’a pas su affronter les contradictions de la vie.

Son amie l’appelle régulièrement, comme un leitmotiv, pour lui rappeler que la mort ne passe pas par la fin du corps mais par la fin du langage ; et qu’il est donc condamné à vivre, ayant trop parlé.

Une dernière personne, comme la rémanence de la vie dans la mort, écrit des messages à Diyaa en date du 30 septembre 2011. Son avion est retardé, elle ne peut le prendre qu’en s’engageant dans une révolte des passagers. Puis, arrivée sur le sol libanais, elle est retenue dans le terminal à cause de sa nationalité palestinienne.

Alors que la mort de l’anarchiste, récupérée par tout le monde, finit de perdre son sens sur les réseaux sociaux, le langage se découvre comme Vérité de la vie et le voyage en avion se pose comme mise en abîme de l’existence de Diyaa.

Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que mourir pour une Idée ? Cette fable sur la communication contemporaine que nous présentent Lina Majdalanie et Rabih Mroué réussit brillamment à abolir le mur séparant la vie de la mort. Diyaa, celui qu’aucun homme politique n’a jamais écouté, se retrouve sur toutes les bouches dès lors qu’il cesse d’être un homme pour devenir un mort. Mourir pour une idée permet, peut-être, de vivre enfin.