Tout commence par le doute

par Jehanne Denogent

Le Fantasme de l’échec / par la Cie Fenil Hirsute / création Véronique Bettencourt / du 10 au 21 mars 2015 / Théâtre Saint-Gervais / plus d’infos

© Louise Kelh
© Louise Kelh

Dans une création documentaire et autobiographique, Véronique Bettencourt, alias Solange, réfléchit, rêve, fantasme, chante, imagine, se souvient, interroge, filme, récite et joue les interrogations d’une artiste sur les artistes.

Auspice ironique pour une pièce intitulée Le Fantasme de l’échec, trois spectatrices quittent la salle après cinq minutes, remarquant s’être trompées de spectacle. Elles sont obligées, pour cela, de passer sur le plateau, sous les yeux d’une Solange déjà tremblante d’incertitude. Fort heureusement l’imprévu ne sera présage d’aucun échec, au contraire. Spontanée, la comédienne en fait une flèche à son jeu – troublant d’ores et déjà la frontière entre réel et fiction – et gagne le rire du public. C’est avec beaucoup d’humour, d’originalité et de fraîcheur que Solange, double fictionnel de la metteuse en scène et comédienne Véronique Bettencourt, se propose de faire une conférence sur les notions d’échec et de réussite dans le milieu artistique. Si les termes de la réflexion s’annoncent théoriques, presque académiques, la construction de cette pièce documentaire est associative, sautillant d’une idée à un souvenir, du concept au fantasme.

Comment définir la réussite pour l’artiste, si l’argent en est rarement un critère ? Comment se positionner par rapport aux attentes sociales ? Quelle implication politique doit ou peut avoir l’artiste ? Quelle importance accorder au regard de l’autre dans son propre cheminement ? Animée par les questions et les doutes, Solange entame un périple multidimensionnel – géographique, introspectif et rétrospectif –, recueillant les témoignages d’artistes croisés sur son chemin : écrivaine, metteur en scène, comédienne, chanteur, … Les voix sont multiples et offrent richesse et consistance à la réflexion. Elle est secondée dans cette entreprise par une autre voix, celle du comédien Jean-Christophe Vermot-Gauchy, interprétant à la fois un sociologue, un jongleur ou cette petite voix qui fait douter. Car le doute touche autant au fond, déclencheur du projet, qu’à la forme qu’il revêt. C’est une recherche dans tout ce qu’elle a d’incertain et de hasardeux mais aussi de fructueux.

La liberté d’expression et l’imaginaire débridé de cet objet scénique étonnant font penser au travail documentaire d’Agnès Varda comme la série Agnès de ci de là Varda. Cela d’autant plus que la mise en scène accorde une place considérable à la vidéo. Véronique Bettencourt a en effet été plasticienne avant de s’impliquer dans le théâtre que ce soit comme comédienne ou metteuse en scène. Les entretiens filmés qu’elle a récoltés sont projetés sur un drap tendu, une valise ou un panneau. Ils dialoguent avec le texte interprété par les comédiens mais aussi avec les chants, les morceaux de guitare, la fable, … Le dispositif du fantasme de l’échec est un joyeux patchwork (ou prosopographie), loufoque et pétillant. Il est dommage que la part théâtrale ne soit pas aussi diversifiée dans le ton, restant légère et « badine ». En regard des vidéos et des confidences réelles qui y sont livrées, le jeu scénique, parce qu’il est un peu détaché du vécu, paraît par moments artificiel et ne parvient pas à donner autant de matière au questionnement.

Créatif et décomplexé, Le Fantasme de l’échec a le mérite gigantesque de ne pas se prendre au sérieux. Véronique Bettencourt propose. Cela prend une forme non identifiée qui plaît ou non, mais elle a la qualité inestimable de l’innovation.