Se nourrir de théâtre

par Maëlle Andrey

Röstigraben / d’Antoine Jaccoud et Guy Krneta / mise en scène Nicolas Rossier / du 17 au 19 mars 2015 / Equilibre-Nuithonie / plus d’infos / en tournée jusqu’au 31 mai 2015

© Nuithonie
© Nuithonie

Après le succès de sa première saison en 2014, le Midi théâtre ! revient avec un menu alléchant. La recette est simple : trouvez un théâtre attaché à un restaurant, placez-y de bons comédiens et parsemez-y un public réceptif, ajoutez une pointe de convivialité, un brin de comédie, une pincée d’humour. Laissez mijoter. Servez le tout sur un lit de rösti. Vous obtiendrez indéniablement un plat original et savoureux, à déguster immédiatement.

L’association romande Midi Théâtre !, constituée de plusieurs théâtres partenaires, a pour but « d’ouvrir les lieux en journée en proposant un nouveau rendez-vous théâtral et convivial ». Le public, enjoué et curieux de vivre cette expérience hors du commun, prend peu à peu place dans le restaurant du Souffleur, foyer de l’Espace Nuithonie. La table est mise. A l’extrémité des rangées de chaises, couverts et assiettes se tient une petite scène grise et noire. Trois marches d’escalier mènent dans cet intérieur minimaliste, surplombé par une lampe ronde, blanche, très design. Une grande porte blanche au cadre rouge sépare la scène en deux : la voilà cette barrière symbolique de Rösti !

Une femme brune, coupe au bol, lunettes rouges, robe colorée et souliers rouges monte sur scène. Elle y dépose, dans un coin, une micro radio jaune de laquelle émane une entraînante musique Schlager : le ton est donné. Daisy Golay (la pétillante Geneviève Pasquier), tout en faisant le ménage, chante à tue-tête (prenant le désodorisant pour un micro). Elle n’entend pas la sonnette de l’homme qui vient d’arriver à sa porte. Un homme d’un certain âge, vêtu d’un costume brun-beige, chargé de valises : Niklaus Fischer (Niklaus Talman), venu tout droit de Bâle afin de réaliser son stage annuel (rendu obligatoire par le Conseil fédéral dans le but de renforcer la cohésion nationale) dans une autre région linguistique. Coincé, strict, désorienté, il est immédiatement noyé sous le flot de paroles en français de son extravagante hôtesse Daisy. Jugeant qu’elle parle « trop vite » et « mal », Niklaus avoue « Ich verstehe sie nicht ».

« Sprache ist auch Kommunikation, n’est-ce pas ? » questionne « Niki », qui travaille justement dans le domaine de la communication. Dans cette comédie en deux actes, pour deux personnages et deux langues, c’est le problème des barrières qu’érigent les langues qui est au centre. Le metteur en scène Nicolas Rossier a passé commande d’un texte traitant de ce fameux Röstigraben à Antoine Jaccoud (auteur de la pièce bilingue Chambre d’amis, jouée au Théâtre des Osses en février dernier) et Guy Krneta. Tous ensemble ils ont inventé « cette rencontre surréaliste et se sont délectés à soulever les clichés véhiculés de part et d’autre de la frontière linguistique nationale ».

Un homme. Une femme. Un timide. Une extravertie. Daisy boit les paroles « chantantes » de Niklaus. Elle n’y comprend rien. Niklaus tente de saisir des bribes du discours débité par la « mitraillette-verbale » qu’est Daisy. Il n’y parvient pas. Leurs monologues français-allemand se succèdent, se confrontent, se superposent.

« Nous parlions peut-être la même langue, nous, Helvètes, avant que Dieu nous punisse avec nos dialectes » avance-t-elle. Chacun de nous peut se retrouver dans ces personnages volontairement caricaturaux des « suisses romands et alémaniques moyens », remarquablement interprétés par les deux comédiens. Les rires francs du public, qui ponctuent incessamment la courte pièce, le prouvent.

Un menu aux multiples saveurs à déguster jusqu’au 19 mars au Théâtre Nuithonie de Fribourg, le 20 mars au Théâtre de Valère à Sion, le 24 mars au Théâtre Benno Besson, le 25 mars aux Spectacles français de Bienne, le 26 mars au Théâtre du Grütli, le 27 mars au Reflet-Théâtre de Vevey et le 31 mars au Théâtre St-Georges de Delémont, puis les dimanches 24 et 31 mai au Théâtre des Osses, dans le cadre du Festival « Le Printemps des compagnies ».