Les gestes du boucher

par Anaïs Gasser

Berthollet / de Charles-Ferdinand Ramuz / mise en scène Mathieu Bertholet / du 26 au 28 mars 2015 / La Grange de Dorigny / plus d’infos

© PA Bertholet
© PA Bertholet

Premier volet de la trilogie ramuzienne créée par Mathieu Bertholet dans le cadre de sa résidence en terre valaisanne, Berthollet est l’adaptation théâtrale d’une nouvelle de l’écrivain vaudois. Le lent ballet quasi mécanique exécuté par les acteurs, leurs voix profondes qui racontent les événements, traduisent la détresse terriblement cruelle et pourtant banale d’un boucher de village endeuillé.

Poutres, charpente apparente, la grange de Dorigny semble prédestinée à accueillir Berthollet et son atmosphère montagnarde. Répartis autour de l’espace de jeu, les spectateurs se situent à distance de l’étrange socle irrégulier constitué de caisses en bois, peau de vache, verre et néons sur lequel les acteurs évoluent.

Ce sont leurs gestes synchrones qui ouvrent la pièce. Ils miment un travail à la faux, instaurant un rythme de mouvements et de sons qui perdure jusqu’à la fin de la représentation. Même lorsque la parole ou plutôt le récit (indifféremment pris en charge par l’un ou l’autre des acteurs) intervient, il ne se substitue jamais complètement à la chorégraphie.

Après l’épuisant et monotone travail des champs c’est la peine profonde que manifestent les mains rigides des acteurs tantôt dressées vers le vide ou glissant le long de leurs visages affligés. Autrefois vigoureux boucher campagnard, Berthollet, après avoir perdu sa femme et ses filles, commet une première tentative de suicide. Il est sauvé in extremis par les gens de son village. Déjà perdu, il n’est plus mû que par la seule volonté de rejoindre sa femme décédée. Le drame se déroule alors comme une tragédie de la droiture morale. Celle d’un homme désespéré qui promet malgré lui au pasteur de son village de ne plus chercher la mort et se retrouve condamné à vivre. Les jours et les mois se traînent, sur scène les acteurs se relèvent et se recouchent constamment. La vie ne se manifeste plus que par le passage du temps.

Et puis, poussé à bout, incapable de supporter le poids de son serment, Berthollet se rend chez le nouveau pasteur, l’ancien s’étant installé ailleurs. Il frappe et attend sur le perron. La bonne ne le laisse pas entrer. Il implore. Non. Elle le croit fou. Le temps s’accélère. Les coudes des acteurs qui tombent et retombent mollement sur le socle battent les secondes. Il dit qu’il attend seulement une minute et qu’après il trahira son serment. La minute passée il retire son pied de l’embrasure de la porte. La servante effrayée la referme promptement et lui, il s’en va vers le fleuve.

Ce dernier petit moment de bravoure à la toute fin du spectacle semble indispensable à réveiller un public qui a déjà donné beaucoup de patience, et il est fort. La décision finale, la seule que prend le protagoniste, émeut en ce qu’elle montre le fatal aboutissement de la destinée d’un homme simple, forcé à trahir les principes honnêtes qui ont régi le reste de son existence. Une pièce centrée sur le deuil ; banale, locale, mais pourtant universelle, tout comme le texte de Ramuz.