Sauvagerie et conscience de soi : une violente confrontation

Par Noémie Desarzens

Le Théâtre sauvage / conception et mise en scène Guillaume Béguin / du 8 janvier au 1er février 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos / en tournée jusqu’au 7 février 2015

© Julie Masson
© Julie Masson

Meurtres. Cris. Pleurs. Rires. Douleurs. Cannibalisme. Il faut s’accrocher pour réussir à supporter la violence de la nouvelle création de Guillaume Béguin Le Théâtre sauvage. L’expérience ne laisse néanmoins pas indifférent.

Après Le Baiser et la morsure, créé l’an dernier à l’Arsenic et repris dans les prochains jours à Vidy, Le Théâtre sauvage montre que c’est à travers la maîtrise de nos pulsions meurtrières que l’on passe de la nature à la culture. Le pouvoir symbolique du théâtre – de la représentation – tient à ses potentialités canalisatrices de la violence. Durant la seconde moitié du spectacle, une femme est battue à mort, avant d’être érigée en statue : la violence ne semble maîtrisée qu’à ce moment-là.

« L’homme est mal construit ». C’est sur ces quelques mots énoncés par une voix grinçante que la pénombre se fait dans la salle. On aperçoit un enchevêtrement de tissus et de corps à travers des pivots en bois, comme de longs joncs, séparant très nettement le public de la scène. Très vite, les corps commencent à se mouvoir, à s’imbriquer. Une impulsion sexuelle s’empare des personnages. Après le désir charnel, la pulsion meurtrière : un homme est étranglé à mort par l’un de ses compagnons tandis que les quatre autres restent sans réaction. Ils le mangeront ensuite, selon un rituel cannibale cyclique dans la pièce.

Les réalisations de Guillaume Béguin, metteur en scène et comédien originaire de la Chaux-de-Fonds, fondateur de la Compagnie De nuit comme de jour, revendiquent toutes un intérêt à démontrer « l’incapacité des êtres à se définir, à se trouver par le langage ». Ses recherches les plus récentes tentent de remonter à une origine – l’origine de l’homme, de la culture et de la société. Le Théâtre sauvage ne repose plus sur la parole, mais sur une écriture de plateau. Ce sont les mouvements des comédiens qui deviennent un langage que le spectateur doit déchiffrer.

Le Baiser et la morsure, premier tableau du même diptyque, voulait révéler la construction de l’individu jusqu’à son acquisition d’un langage. Le Théâtre sauvage poursuit cette évolution en montrant et questionnant le « pourquoi » de l’apparition du théâtre. Diverses étapes vers la découverte du pouvoir de la représentation sont franchies durant le spectacle. Chacune est signalée par une mélodie baroque qui semble clore les chapitres. Ces interruptions musicales sont à chaque fois bienvenues, allégeant l’atmosphère étouffante qui émane de la violence des interactions entre les personnages, et marquant la séparation entre la nature et la culture.

Les personnages ne parlent peut-être qu’une vingtaine de minutes au total. Les comédiens, on l’a dit, guident la compréhension de la pièce à travers leurs mouvements, leurs bruits et leurs interactions. Malgré la potentielle difficulté pour le spectateur à s’immerger dans un tel spectacle, cette confrontation forcée à notre violence pousse au questionnement. Et surtout, les émotions qui se dégagent de la performance des acteurs ne peuvent laisser indifférent. Que ce soit sous le coup de la frustration, de la colère, ou tout simplement d’un état de choc, on ressort interloqué de ce spectacle. Le Théâtre sauvage interpelle en nous confrontant à notre part animale, sauvage, inhérente à toute société.

Cette incompréhension face à la nature violente de l’être humain ne peut pas être plus actuelle.