Drôle d’illusion

Par Maëlle Andrey

de Pierre Corneille / mise en scène Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier / du 26 septembre au 23 novembre 2014 / Théâtre des Osses, Givisiez / plus d’infos

Copyright : Théâtre des Osses

L’Illusion comique, « étrange monstre » cornélien, est empreinte d’une grande liberté et d’une certaine folie, qui sont très bien exploitées dans cette mise en scène pétillante, mêlant le style classique à la modernité, l’alexandrin aux onomatopées, les personnages de Corneille à ceux de bandes dessinées… Projections, musique et bruitages, vitres sans tain et drapés nous font entrer dans l’illusion de la manière la plus plaisante qui soit.

Le vent souffle. La neige tombe tout autour des spectateurs. Derrière eux, les comédiens entrent en scène. Pridamant (Laurent Sandoz) est à la recherche de son fils Clindor (Simon Romang), qu’il n’a pas revu depuis dix ans. Son ami Dorante (Marc Zuchello) l’accompagne dans cette expédition. Un chemin montagneux les mène à la grotte du magicien Alcandre (Edmond Vuillioud), doté de multiples pouvoirs, dont celui qui permet de faire défiler la vie de Clindor sous les yeux de son père. Il s’agit d’une mise en abyme théâtrale : Pridamant et Alcandre sont spectateurs de ce qui se joue dans la vie de Clindor mais aussi sur la scène…

C’est en 1636 que Corneille mélange les genres et les styles dans cette pièce libre et folle. Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier, qui viennent de reprendre les rênes du Théâtre des Osses à Givisiez, reprennent également ce mélange. Geneviève Pasquier, comédienne et metteure en scène, a reçu une formation à l’Ecole des Beaux-Arts et au Conservatoire de Lausanne. Nicolas Rossier, acteur en Suisse, France et Belgique, s’est formé à l’école du Théâtre national de Strasbourg. Ensemble, en 1991, ils fondent la compagnie « Pasquier-Rossier » et mettent en scène une vingtaine de pièces, dont Ubu Roi (1997), Le Corbeau à quatre pattes (2000), LékombinaQueneau (2010) et Le Ravissement d’Adèle (2013). Pour cette première création dans leur propre établissement, ils souhaitent s’attaquer à ce monument du théâtre classique pour perpétuer la tradition du répertoire aux Osses.

« Zwosh, Blam, Zop ! » Apparaît Matamore (Jean-Paul Favre), soldat fanfaron, dont Clindor est le suivant. Cape noire de super héros, costume jaune, casque surmonté de deux antennes, lunettes futuristes : présenté comme un véritable personnage de BD ou de jeu vidéo, il est encadré par un panneau du décor (case de BD). Ses premières paroles se projettent à ses côtés, dans des phylactères. La musique et les bruitages, réalisés sur commande des metteurs en scène par le musicien fribourgeois François Gendre, sont un bel accès à l’illusion.

Le sol de la scène est mou, mouvant, réceptionnant en douceur les cascades des protagonistes hyperactifs. Sept comédiens (douze personnages) et sept panneaux amovibles, à la fois miroirs, vitres sans tain, réfléchissants, opaques, transparents, colorés. Ces panneaux, animés par les pouvoirs d’Alcandre, contribuent à renforcer l’illusion. Perdu dans un palais des glaces, entouré de multiples reflets (dont ceux du public), dans une partie de cache-cache, le personnage se perd ; le public est dupé. La projection vidéo, conçue par les frères Frédéric et Samuel Guillaume, réalisateurs de Max & Co (2008) ou encore de La nuit de l’Ours (2012), permet le mirage des multiples disparitions et apparitions. La comédie de Corneille, cinéma avant l’heure, se prête parfaitement à un traitement qui flirte avec l’animation. La projection vidéo ne relève pas ici d’un simple phénomène de mode répandu dans l’art scénique contemporain : elle s’impose par l’intrigue, quitte à devenir elle-même intrigue.

Le spectateur est envoûté par la magie de cette illusion. Tout un jeu sur la vue s’orchestre, sous les fantastiques mains d’Alcandre, véritable maître de ce jeu. Est-ce le comédien sur scène ? Est-ce une projection ? Une image ? Un reflet ? Une ombre ? Un spectre ? Que laisse-t-on voir ? Que cache-t-on ? Que permet-on d’entrevoir ? D’imaginer ?

Dans cet univers fantaisiste, le sérieux maintient toutefois sa place, notamment lors des monologues respectant la métrique la plus pure d’Isabelle (Rachel Gordy), aimée de Clindor et Matamore, ou dans les tirades de Lise (Céline Cesa) ou de Clindor emprisonné.

Entre comédie et tragédie, le spectacle fait passer des éclats de rire à une réception sérieuse, dans ce véritable hommage au théâtre que souhaitent rendre les metteurs en scène. Le monologue d’Alcandre, à la fin de la représentation, résonne comme une apologie du métier de comédien et un véritable plaidoyer du théâtre au sein de la société contemporaine :

« Cessez de vous en plaindre. A présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre. »

L’illusion est, au XVIIe siècle comme aujourd’hui, une des forces principales du théâtre. Les mots de Corneille, la remarquable mise en scène de Pasquier-Rossier, l’exceptionnel jeu des comédiens, l’animation visuelle et sonore, produisent cette évasion dans l’illusion …

Enfants, ados, adultes, puristes ou non, cette expérience illusionniste, fidèle à l’œuvre de Corneille et colorée d’anachronismes et d’éléments « pop », est à vivre absolument jusqu’au 23 novembre 2014 au Théâtre des Osses à Fribourg, puis en tournée en Romandie.

 

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