Qui sommes-nous face au fait divers ?

Par Aitor Gosende Cruces

Une critique du spectacle :
Mercedes-Benz W123 / texte et mise en scène Marie Fourquet – Cie ad-apte (CH) / du 11 au 16 mars 2014 au Théâtre Arsenic à Lausanne / le 26 avril au Centre Culturel Régional de Delémont / du 30 avril au 17 mai au Théâtre Saint-Gervais à Genève / plus d’infos

© Dorothe?e The?bert Filliger

Quand une famille se retrouve projetée dans un fait divers aussi sordide qu’un viol doublé d’un meurtre, que fait-elle ? Marie Fourquet explore ce type de tragédie en mettant en scène ceux qui survivent : parents, frères ou amis. A l’opposé des séries policières comme Les Experts, qui se concentrent sur l’enquête, Mercedes Benz W123 montre l’humain face à un événement qui le dépasse.

Juliette a disparu. Martin, son petit ami, est parti à une fête avec Thibault, son frère, la laissant seule.  Les derniers messages que Martin a reçus d’elle, projetés sur une toile au fond de la scène, sont préoccupants. Le premier à prendre la parole est son père, interrogé par un policier. Pas de place pour l’espoir, nous apprenons rapidement que la voiture avec laquelle Juliette s’était enfuie a été retrouvée. Dans son coffre, le cadavre de la jeune fille.

Sur la scène, le frère et le père de la victime, joués respectivement par Tomas Gonzalez et Pierre Banderet. Ils sont accompagnés de Marie Fourquet, chargée de lire les pensées de Vincent, le policier qui procède aux interrogatoires des proches. Tour à tour, ils prennent la parole, pendant plusieurs minutes d’affilée. Le père ne veut pas y croire, ça ne peut pas être sa fille, il ne l’a pas entendue sortir de sa chambre. Puis c’est au tour du frère d’être interrogé. Il cherche rapidement à désigner un coupable en la personne de Martin. Marie Fourquet lit ensuite une nouvelle page, nous donnant à voir ce que pense Vincent sur ce que l’on vient d’entendre.

A chaque fois qu’un des personnages reprend la parole, sa réaction face au policier est différente. Le père passe du déni à l’accusation. Le frère s’agace puis se veut conciliant. Petit à petit, Marie Fourquet lie aux considérations de Vincent des réflexions plus générales : que devient une famille quand le fait divers se médiatise ? Comment faire pour qu’elle ne se déchire pas en accusations ? Comment survivre quand la vérité reste introuvable ? Ces questions sont bien amenées, elles s’inscrivent naturellement à la suite des interrogatoires. On regrette cependant qu’elles demeurent assez convenues.

Quoi qu’il en soit, toutes ces interrogations sont présentées sans atténuer leur dimension sordide. En effet, avant même de savoir ce qui s’est réellement produit, les spectateurs sont portés à imaginer les pires scénarios. L’une des questions fondamentales que pose Marie Fourquet concerne sans doute ce qui nous attire et nous intéresse dans les crimes les plus odieux. Cherche-t-on à relativiser nos propres fautes, à assouvir une curiosité morbide, à contrôler une pulsion en voyant ce qu’elle pourrait engendrer, à satisfaire notre désir de justice ? La question est légitime : dans les journaux, à la télévision ou sur internet, sous la forme de nouvelles ou de fictions, nous sommes constamment inondés de faits divers. La pièce n’y apportera pas de réponses directes : elle se veut terrain d’exploration, cherchant avant tout à nous confronter à l’abject du fait divers dans un lieu qui n’y est habituellement pas destiné.

Ces questionnements sont mis en évidence par une scénographie épurée. Deux chaises, une pour chacun des « interrogés », et deux grandes toiles, sur lesquelles sont projetées de manière intermittente des images qui rappellent les séries télévisées policières : le mur d’une maison éclairée par des phares, une rampe d’escalier plongée dans le noir. Lors de l’une des reconstitutions, une musique trépidante s’élève et rythme les paroles du comédien, qui rappelle aussi les bandes sonores typiques des séquences à suspense. Sans tomber dans le piège de la copie des séries policières, la mise en scène de Marie Fourquet leur emprunte leurs moyens les plus usités, ceux à mêmes de renvoyer le spectateur à un univers bien connu.

Malgré quelques lenteurs dues au côté parfois trop attendu de certains passages, Mercedes Benz W123 tient le public jusqu’à la dernière minute. Pour ceux qui n’ont pas peur d’être confrontés au sordide, le spectacle est à voir jusqu’au 16 mars au Théâtre de l’Arsenic à Lausanne.

 

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