La vérité au carnaval des mensonges

Par Cecilia Galindo

Une critique du spectacle :
Le Malade Imaginaire / de Molière / mise en scène Jean Liermier / Théâtre de Carouge à Genève / du 14 janvier au 9 février 2014

© M. Vanappelghem

Entre déguisements colorés et scénographie hybride, les comédiens dirigés par Jean Liermier ont su séduire le public du Théâtre de Carouge hier soir avec Le Malade imaginaire, dernière comédie de Molière. Ici, ce ne sont pas les remèdes qui font fuir la mort, mais le rire.

Les rideaux ne sont pas encore levés que des voix se font entendre. Caverneuses, comme venues d’outre-tombe, elles ne sont pas rassurantes. Des fantômes semblent hanter le Théâtre de Carouge. Puis les rideaux s’écartent et dévoilent, dans une atmosphère sombre et bleutée, l’angoisse nocturne d’un homme qui tente de faire reculer la mort, planante et menaçante, à coups d’ordonnances. Mais lorsque les premières lignes du texte de Molière sont prononcées, l’ambiance se fait plus légère et la mort ne fait plus peur. Au contraire, le thème de la mort devient sujet à rire et fera tomber les masques.

On connaît l’histoire : Argan, hypocondriaque crédule, se laisse manipuler comme une marionnette par les bonimenteurs qui l’entourent. Des médecins bien sûr, qui en veulent plus à son argent qu’à sa bonne santé, mais aussi sa seconde femme Béline, qui enfouit sa cupidité derrière une grande attention mal intentionnée. Pour assurer ses arrières, Argan souhaite intégrer un médecin dans sa famille et conclut ainsi un accord avec l’un d’eux, l’obséquieux Monsieur Diafoirus, dont le fils Thomas sera bientôt reçu médecin lui aussi. L’affaire est simple pour notre prétendu malade : Angélique, sa fille aînée, devra épouser Thomas. Mais un problème vient compliquer le dessein d’Argan, car Angélique aime Cléante et refuse le mariage que son père lui impose. Elle pourra compter sur la malicieuse servante Toinette, qui, à force de ruses, cherchera à ouvrir les yeux d’Argan quant à la vraie nature de ceux qui l’entourent.

Une mise en scène ludique et hors-temps

Pour sa troisième rencontre avec Molière en tant que metteur en scène (après Le Médecin malgré lui en 2007 au Théâtre Nanterre-Amandiers et L’Ecole des femmes en 2010 au Théâtre de Carouge) Jean Liermier, directeur du Théâtre de Carouge, propose un Malade imaginaire intemporel, où les signes de différentes époques cohabitent sur scène. Argan, incarné avec brio par Gilles Privat (qui signe sa deuxième collaboration avec Jean Liermier, après L’Ecole des femmes), ressemble à un malade d’aujourd’hui : vêtu d’une blouse turquoise, il passe son temps sur un lit d’hôpital avec dossier réglable et sonnette d’alarme intégrée, et sa canne en main, il enclenche et déclenche un mécanisme – autre gadget – qui lui donne un accès direct à la salle de bains. Sur un simple clic, les murs bougent et laissent apparaître une pièce cachée. Voilà donc notre Malade imaginaire entièrement modernisé ! Pourtant, les décors n’évoquent ni un hôpital, ni un appartement du XXIe siècle. En effet, les tapisseries, les fauteuils et les grands tableaux – qui représentent tous des scènes médicales – rappellent un intérieur bourgeois et le luxe d’un autre temps. Les costumes des personnages viennent également brouiller les pistes, puisqu’ils appartiennent à des périodes diverses. Béline, par exemple, dans une robe rouge glamour, s’affiche en femme fatale des années 1950 alors que les Diafoirus se pavanent dans des costumes de dandies du XIXe siècle. La mise en scène de Liermier n’ancre donc pas le texte de Molière dans un contexte particulier, et c’est là sa force, car ce choix met en évidence l’universalité de la pièce, pertinente de siècle en siècle.

L’habit ne fait pas le moine ?

Les costumes, au-delà de leur fonction de repères (an)historiques, portent également la trace d’un accent mis sur l’aspect burlesque de l’intrigue. À maintes reprises, dans la pièce de Molière, les personnages se déguisent et jouent des rôles. Comme Jean Liermier l’indique, « le carnaval entre en scène : la servante devient médecin ; le prétendant, professeur de musique ; le père, le mort ; la mère aimante, la marâtre… ». Ici, les habits en disent long. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les affreux Diafoirus suscitent le rire du public dès leur entrée sur scène, avant même d’ouvrir la bouche. Leur accoutrement, d’une élégance excessive et artificielle, paraît décalé et en dit beaucoup sur le caractère hypocrite des deux médecins. Dans d’autres cas, le déguisement s’avère étouffant et contre-nature, comme pour Angélique, qui se libère du collet qui lui serre le cou et du nœud accroché à ses cheveux au moment où elle exprime sa résistance aux plans que son père tente de lui imposer. Elle quitte alors le rôle que ce dernier lui a demandé de jouer. Ainsi, l’habit est un élément essentiel dans la caractérisation du personnage. Ne suffit-il pas de porter la robe et le bonnet de médecin pour exercer le métier ?

La dernière mise en scène de Jean Liermier convainc par son originalité, sa scénographie (signée notamment par le regretté Jean-Marc Stehlé) pleine de surprises, où des géants de carton pâte s’invitent sur scène, et ses comédiens qui incarnent leurs différents rôles à merveille. Le Malade imaginaire résidera au Théâtre de Carouge du 14 janvier au 9 février 2014 et vous attend confortablement dans son lit. N’hésitez pas à venir lui rendre visite, le rire est bon pour la santé !

 

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