Mourir, rire, attendrir

Par Suzanne Balharry

Une critique du spectacle :
Le Malade Imaginaire / de Molière / mise en scène Jean Liermier / Théâtre de Carouge à Genève / du 14 janvier au 9 février 2014

© M. Vanappelghem

Indigné de ce qu’on ne lui témoigne pas plus d’attention, Argan s’égosille et se révolte depuis son lit contre la solitude dans laquelle laisse un pauvre malade. Les plaintes boudeuses et la naïveté de l’hypocondriaque, magnifiquement interprétées par Gilles Privat, le rendent fragile et attachant. Dans la mise en scène de Jean Liermier, le malade imaginaire hanté par la peur de la mort fait parfaitement rire malgré lui.

La pièce se déploie dans une ronde de cris, de couleurs et de termes pseudo-médicaux. Argan est le jouet de tous les personnages : les médecins lui prescrivent des remèdes dont il n’a pas besoin, sa servante n’hésite pas à tromper ses sens pour lui ouvrir les yeux, et sa femme attend sa mort pour hériter. L’usurpation est omniprésente, et les comédiens prêtent leur dynamisme à toutes les formes de travestissements.

L’interprétation délectable de Philippe Gouin, qui incarne le prétendant Thomas Diafoirus, se distingue particulièrement. Aux élogieuses civilités de ce médecin, dont la plus grande qualité est qu’il conteste les supposées découvertes médicales du siècle, l’acteur ajoute une gestuelle exaspérante. Ses mouvements amples et maladroits donnent ainsi corps au motif de la pédanterie et de l’usurpation.

Le thème de la mort est lui aussi central. En effet, si Le Malade Imaginaire dépeint un hypocondriaque, le personnage n’en est pas moins hanté par la peur de la mort. Selon Jean Liermier, Molière aurait lui aussi été touché par cette peur. Sa mise en scène cherche à souligner une « incroyable mise en abîme qui confère à la pièce une profondeur qui résonnera encore longtemps ». Au sujet de Molière, dont son frère veut lui faire lire les comédies, le personnage d’Argan déclare qu’il mérite d’être abandonné par la médecine. Pour Jean Liermier, Molière « avait d’une façon inconsciente une prescience de la mort à venir ». Le metteur en scène met donc l’accent sur l’oppressante peur de la mort.

Les couleurs ternes des costumes solennels des médecins, par contraste avec les couleurs vives qu’abordent les autres personnages, soulignent ce thème. Il est également mis en valeur par l’apparition dans le cadre bourgeois confortable de certains éléments démesurés qui créent des images fortes, telle une marionnette de la mort elle-même, géante, angoissante et habilement manipulée. Cette scénographie originale est signée de Jean-Marc Stehlé, décédé en août 2013, pendant la création.

Le Malade Imaginaire est le troisième Molière que met en scène Jean Liermier, après le Médecin malgré lui en 2007 au Théâtre des Amandiers et l?Ecole des femmes en 2010 au Théâtre de Carouge, avec Gilles Privat. Cette pièce est donc l’occasion pour le metteur en scène et directeur du Théâtre de Carouge de retrouver l’acteur genevois qui a gagné le Molière du comédien en 2008.

La complicité entre les deux artistes se ressent dans la pièce, et la mise en scène de Jean Liermier donne à tous les acteurs l’occasion de manifester leur bonheur de jouer. Ils habitent pleinement l’impressionnante scénographie et font surgir un rire qui l’emporte sur la peur de la mort. A voir jusqu’au 9 février au Théâtre de Carouge à Genève.

 

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