La jeunesse en quête d’une identité

Par Jonas Guyot

Une critique du spectacle :
Immortels / de Nasser Djemaï / mise en scène Nasser Djemaï / Théâtre de Vidy du 21 janvier au 2 février 2014

© Mario Del Curto

Après le spectacle Invisibles, qui s’intéressait aux immigrés maghrébins du troisième âge installés en France, Nasser Djemaï se penche sur les nombreuses questions que se posent les adolescents et les réflexions qui traversent leur esprit. En partant d’une histoire contemporaine – un drame qui frappe un groupe d’amis –, le dramaturge présente avec beaucoup de justesse les nombreuses facettes de la jeunesse.

Du fond de la scène surgissent plusieurs adolescents plongés dans la pénombre. Une image du ciel est projetée derrière ces jeunes qui forment un bloc. Le groupe avance vers l’avant-scène alors que les nuages blancs et roses filent dans leurs dos en sens inverse. Cette jeunesse nage à contre-courant. Soudain, ce groupe compact se délite. Plusieurs voix surgissent, formant un patchwork de réflexions et d’interrogations. La jeunesse n’est pas une entité unique : elle est une multitude d’identités.

La recherche de l’identité est précisément au cœur du texte de Nasser Djemaï. L’intrigue se déroule autour du personnage de Joachim qui va à la rencontre du groupe d’amis de son grand frère Samuel, récemment décédé dans un accident. Il cherche des réponses à cette mort si inattendue et brutale. Tout allait si bien dans la vie de Samuel. Pourquoi est-il tombé ? A chaque rencontre, Joachim en apprend un peu plus, chacun ayant ses propres réponses et ses silences sur la question. Il découvre notamment l’engagement politique de son frère et la haine du système bancaire qu’il partageait avec ses amis. Dans cette quête de la vérité, Joachim s’enfonce de plus en plus dans la vie de Samuel au point de se confondre avec lui. Le grand frère est constamment ramené à la vie par les discours de ses amis. Cette omniprésence est symbolisée sur scène par son blouson qui colle si bien à la peau de son cadet. Même lorsque celui-ci tente de l’enlever, le vêtement s’anime et rejoint à nouveau ses épaules. La mise en scène de Nasser Djemaï met l’accent sur le côté oppressant du souvenir de cet être disparu. Un grand écran projette des images floues semblant appartenir aux souvenirs de Joachim ; il y a notamment ce petit film où l’on retrouve une mère et ses deux fils. L’un des deux se trouve dans les bras de la mère et requiert toute son attention, laissant l’autre de côté. Dans une autre image, elle jette un regard accusateur sur son fils cadet. Dans le discours de Joachim, tout donne à penser que cette mère a une préférence pour le frère aîné. Ces projections accentuent l’atmosphère étouffante dans laquelle Joachim tente de survivre en construisant sa propre existence.

A travers la quête d’identité de Joachim, chacun des membres du groupe tente à son tour de comprendre quelle est sa place dans l’humanité : la quête devient universelle. Linda s’interroge sur le rapport qu’elle entretient aves son corps. Isaac cache ses doutes derrière son humour. Fausto s’explique sur son incapacité à gérer les conflits. William et Mona se radicalisent dans leur combat contre un système dont ils refusent les règles. Chloé, la rêveuse, se tourne vers les étoiles. L’union du groupe, si marquante au début de la pièce, entre petit à petit en tension avec l’individualité de chacun. La diversité de leurs personnalités se cristallise notamment autour de leurs conceptions différentes de la révolte. Certains envisagent un durcissement de leur engagement alors que d’autres se tournent vers les voies de la non-violence et du compromis. L’écart se creuse également entre les rapports qu’ils établissent avec Joachim. Alors que certains veulent voir leur ami Samuel ressusciter dans la peau de son frère, d’autres acceptent le deuil et accueillent un nouvel être.

Le texte de Nasser Djemaï, dans la bouche de ces jeunes comédiens, sonne incroyablement juste. Le dramaturge réussit le pari de reproduire un langage qui n’est pas caricatural en présentant une jeunesse multiple et dont les préoccupations sont universelles. Le metteur en scène nous replonge dans cette période de la vie où chacun pourra se reconnaître à travers ces questions existentielles qui préoccupent particulièrement les individus au seuil de leur vie d’adulte.

 

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