La solitude d’un beau parleur

Par Amandine Rosset

Une critique du spectacle :
Hughie / d’Eugène O’Neill / mise en scène Jean-Yves Ruf / Théâtre de Vidy à Lausanne / du 4 au 22 décembre 2013

© J. Piffaut

Entre simplicité et profondeur, la pièce de l’auteur américain Eugène O’Neill, mise en scène par Jean-Yves Ruf, présente la solitude d’un homme qui a besoin de mentir pour échapper à sa vie. L’histoire est centrée sur la rencontre entre ce beau parleur solitaire et le nouveau veilleur de nuit de son hôtel.

Lorsqu’on entre dans la salle de « La Passerelle » du Théâtre de Vidy, un homme attend déjà sur scène. Il se trouve derrière un comptoir placé au milieu d’un décor représentant un hall d’hôtel new yorkais, à la fois grandiose par sa hauteur et assez vétuste. Le cadre est très sobre. Cet homme, le comédien Jacques Tresse, observe silencieusement le public qui s’installe. Une horloge accrochée au mur indique qu’il est trois heures du matin. Soudain les lumières de la salle s’éteignent tandis qu’un deuxième personnage, joué par Gilles Cohen, fait son entrée d’une démarche chancelante et fatiguée. Les deux individus ne vont plus se quitter.

Le rapport entre eux est inégal au départ. Le personnage d’Erié, ivre, prend très vite l’ascendant sur l’employé de l’hôtel, Charlie, qui semble indifférent et dérangé par son arrivée. Le veilleur de nuit reste très discret et prend ses distances pendant que l’autre lui raconte sa relation amicale avec Hughie, l’ancien gardien de l’hôtel, mort il y a peu. Erié est un joueur professionnel raté et sans famille, qui avait trouvé dans ce meilleur ami maintenant défunt une personne à qui mentir sur sa vie pour rire un peu et avoir une impression de supériorité ou d’importance. Les deux hommes étaient totalement opposés. Le premier est seul et vit une vie instable au rythme des victoires au jeu, qui lui amènent plus ou moins d’argent et plus ou moins de « jolies blondes », tandis que l’autre était dominé par sa femme et vivait une vie tranquille.

Si le texte d’O’Neill, prix Nobel de littérature en 1936, est centré sur ce personnage absent, son intérêt – que soulignent la mise en scène et le jeu des deux acteurs – tient surtout à l’évolution qu’il dessine dans la relation des deux personnages en scène. Charlie, d’abord distant et indifférent, va s’intéresser peu à peu à ce que lui raconte Erié. Jacques Tresse joue donc un personnage discret et agissant d’une façon très professionnelle. Il amène aussi un côté comique dans cette histoire profondément cynique. Ses réactions ou ses tentatives de prendre la parole apportent un peu de légèreté. Les deux personnages sont donc très complémentaires.

On retiendra particulièrement la prestation de Gilles Cohen qui tient son personnage de « loser » enivré d’un bout à l’autre sans clichés ni facilités. Il incarne de façon touchante, sans pour autant tomber dans un lourd pathos, la détresse de celui qui a perdu son ami et est en proie à la solitude et à la malchance au jeu. L’histoire est d’une crédibilité sans faille et nous fait réfléchir au besoin de mentir à autrui et ainsi de se mentir à soi-même pour vivre dans autre monde, soit passé soit imaginaire. Elle nous présente aussi des rêves de vies divergents qui se rencontrent et évoluent dans un laps de temps très court. Le texte d’Eugene O’Neill, écrit en 1942 et dont l’action se déroule en 1928, reste très actuel. Hughie est à voir jusqu’au 22 décembre 2013 au Théâtre de Vidy.

 

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