Quand Nirvana rencontre Shakespeare

Par Sabrina Roh

Une critique du spectacle :
All apologies – Hamlet / de William Shakespeare et Ardien Rupp / mise en scène Alexandre Doublet / Théâtre des Halles de Sierre / du 21 au 30 novembre 2013 / plus d’infos

© Nora Rupp

Du Shakespeare comme vous n’en avez jamais vu. Ou un Hamlet qui prend tout son sens dans la bouche de onze adolescents. Une création en résidence d’Alexandre Doublet, présentée actuellement au Théâtre Les Halles à Sierre – avant Monthey et Genève en janvier.

Hamlet, Shakespeare, to be or no to be, telle est la question. « Bla-bla. » On connaît la chanson. Mais on préfère celle de Nirvana. Les classiques, non merci, on n’y comprend rien. Pourtant, bien évidemment que l’on peut s’éclater sur de la grande littérature. Ce n’est pas parce qu’au fil des années certains en ont fait des œuvres sacrées, intouchables et inaccessibles qu’il est interdit de se les approprier.

C’est le pari qu’Alexandre Doublet, comédien, metteur en scène et co-directeur du Théâtre Les Halles à Sierre s’est lancé : confronter onze adolescents au célèbre Hamlet de Shakespeare. À force d’improvisations, de lecture et de questionnements, les jeunes comédiens se sont plongés dans l’univers d’Hamlet et de son entourage. Un tête à tête d’un an qui leur a permis de s’immerger dans la pièce et de la comprendre. La création en résidence découle sur un spectacle qui prend la forme d’une quête initiatique et identitaire. Sur scène, les protagonistes présentent le rapport qu’ils ont entretenu avec Hamlet à travers des bouts de scènes et des chorégraphies.

S’agit-il d’une énième interprétation d’un grand classique, visant à vulgariser la pièce au possible en y intégrant des clichés de l’époque contemporaine ? Alexandre Doublet et Adrien Rupp, qui a travaillé à l’écriture du spectacle, ont l’habitude de revisiter les textes classiques et n’hésitent pas en effet à y injecter des éléments de la culture populaire. Ils ne tombent pourtant pas dans la pure et simple vulgarisation, leur but étant de centrer la mise en scène sur les comédien-n-es et leur interprétation du texte. All Apologies – Hamlet est joué par des jeunes. Ils agissent donc en tant que tels: écoutent du rock, jouent à la playstation et mâchent du chewing-gum. Tous ces éléments ne sont pas moqués, ils sont affirmés et assumés car c’est ce que les jeunes font. Mais les jeunes se posent aussi de grandes questions. En toute simplicité, entre deux scènes, ils s’avancent au micro, de manière étonnamment sincère, et se demandent pourquoi. Nous demandent pourquoi. Pourquoi le suicide ? Pourquoi la mort ? Pourquoi la douleur ?

Le spectateur est alors intégré dans l’expérience vécue par les comédiens durant un an. De cette expérience ressort une création qui s’est construite par étapes, comme le gâteau que l’une des comédiennes prépare tout au long de la pièce : un peu de ci, un peu de ça, et on mélange le tout. Sur le parcours, quelques incidents évidemment : des œufs qui se brisent, du sel à la place du sucre, des incompréhensions. Mais peu importe, le résultat est là : il sent bon et c’est fait maison. Ce côté frais et artisanal est saillant dans la mise en scène finale et se traduit par l’absence de cadre strict. « Hamlet a choisi le masque de la folie car il vivait dans une tragédie ». Les comédiens font de même : dans l’espace qui leur est mis à disposition ils poussent leurs gestes et leur voix jusqu’au bout. Un gant sur la tête, l’un des adolescents interprète un coq pendant toute une chanson, une jeune fille hurle en danois et un jeune garçon joue Ophélie. Affublé d’une perruque blonde il parle avec l’émotion d’une pucelle. Ils n’ont que faire du ridicule, car de toute façon, qu’est-ce que la folie ? « C’est peut-être le regard des autres qui fait de nous des fous. Nous sommes tous le fou de quelqu’un. »

Non à la mesure, oui aux émotions fortes. Les adolescents ainsi que les trois comédiens professionnels nous font hurler de rire et l’instant d’après notre gorge se serre. Tout est tellement vrai et pur que cela touche en plein cœur. On fait souvent croire aux ados qu’ils sont mal partis pour comprendre la grande littérature et que cela ne va pas en s’arrangeant. Eh bien là, on leur confie la mission d’expliquer l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Shakespeare.

Dans All Apologies-Hamlet, Alexandre Doublet offre aux onze adolescents un espace d’expression dans lequel les barrières tombent : le fou n’est pas fou et les morts ne font plus peur. Les tabous baissent leurs armes et dans cette relation triangulaire entre les adolescents, le public et Hamlet, on respire une immense bouffée d’air frais.

 

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