Valentin Rossier nous fait tourner la tête

Par Sabrina Roh

Une critique du spectacle :
La Ronde / d’Arthur Schnitzler / mise en scène Valentin Rossier / Théâtre La Grange de Dorigny à Lausanne / du 25 octobre au 2 novembre 2013

© Vanappelghem

Hier soir, au théâtre de La Grange de Dorigny, le sexe était à l’honneur. Le sexe comme pulsion animale. Mais Valentin Rossier, dans sa mise en scène de La Ronde, n’est pas tombé dans la vulgarité facile. Un juste équilibre entre réalité crue, vaudeville et univers onirique.

Des ampoules suspendues au plafond semblent flotter dans l’espace. Tout comme ces personnages qui flottent à travers la vie sans réel but. A vrai dire, une motivation les anime tous, qu’ils soient soldat, prostituée ou encore actrice : l’acte sexuel.

Car c’est bien de sexe qu’il s’agit dans La Ronde de Schnitzler. Mais pas seulement. En jouant sur les combinaisons des couples et des origines sociales, Schnitzler explore les relations humaines, le désir et le comportement des êtres humains avant et après l’amour. Un vrai tableau social. Jouée en 1921 à Berlin, puis jugée trop scandaleuse, elle est interdite dans les pays germanophones. Ce n’est qu’en 1982, à Bâle, au lendemain de la mort de Schnitzler, que la pièce revoit le jour.

La Ronde, un défi pour Valentin Rossier

La Suisse a donc une histoire particulière avec La Ronde. Et Valentin Rossier  pérennise cette relation en mettant en scène cette pièce. Metteur en scène, comédien mais aussi, et depuis peu, directeur du théâtre de l’Orangerie à Genève, Valentin Rossier est très actif sur la scène romande. Surtout connu pour son travail sur les textes de Shakespeare, il s’est cette fois lancé dans un univers différent. Selon lui, La Ronde est une pièce « incontournable et intelligente », qui, justement, ne parle pas uniquement de sexe.

Le risque de tomber dans le cliché et la vulgarité était grand. Le metteur en scène a d’ailleurs fait un choix délicat en faisant quelques références claires à la sexualité : les comédiens se touchent sans grande retenue et le lit, symbole des ébats amoureux, se trouve être le seul élément de décor. Mais que l’on ne s’y trompe pas : Valentin Rossier ne s’est pas arrêté à cette représentation basique de la sexualité. Si d’un côté le sexe est présent de manière évidente et donne un côté burlesque à la pièce, il est aussi parfois suggéré de manière très subtile. Valentin Rossier joue pour cela sur la lumière et sur la musique. En effet dans La Ronde, la lumière est un réel leitmotiv. Les comédiens en parlent et en jouent beaucoup durant leur ronde séductrice. Et c’est l’obscurité soudaine qui annonce l’acte sexuel. S’il n’y a plus de lumière, c’est pour laisser place à la musique : une mélodie très rythmée qui rappelle les battements du cœur durant l’orgasme.

Un savant mélange de réalité, d’humour et de féérie

Une autre difficulté s’est imposée au metteur en scène: trouver un juste équilibre entre – ce sont ses termes – « jeu réaliste et vaudeville ». Pour cela, il a tenté d’instaurer le même rythme tout au long de la pièce, ce qui rend le texte percutant et efficace. Les comédiens mènent quant à eux les dialogues d’un bout à l’autre avec fluidité et cohérence. Pour arriver à ce résultat, ils ont dû abandonner le projet de « pschychologiser » leurs personnages. En effet, pour les amants de La Ronde, le contenu des propos importe moins que le fait d’arriver jusqu’à l’acte sexuel. L’absence de raisonnement reflète bien l’état animal de l’être humain, lorsqu’il est mu par le désir.

Le jeu réaliste et l’humour présents dans cette mise en scène trouvent leur place dans un univers onirique, représenté par le personnage de la prostituée Léocadie, qu’incarne merveilleusement bien Olivia Csiky Trnka dans la première scène. La comédienne a réussi à donner une forme inquiétante au personnage. Dans sa bouche, l’insulte « salaud » fait l’effet d’une triste caresse d’adieu. Une tendresse étrange que l’on ne retrouve qu’à la dernière scène, lorsque le comte baise les paupières de cet ange qu’est Léocadie. Et il s’y applique, comme d’autres se sont appliqués pour atteindre l’orgasme. On est ici bien loin du sexe pour le sexe.

Valentin Rossier a donc réussi le pari de faire rire et de révéler la part animale de l’humanité dans un contexte de rêve qui attendrit et montre au public que non, tout de même, l’être humain n’est pas un monstre. Il est tout simplement animé de passions, quel que soit son statut social. Si le sexe côtoie la désillusion dans cette pièce, il a au moins la capacité de mettre tout le monde au même niveau.

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