Viser la réussite?… plutôt que l’excellence!

Le recteur Dominique Arlettaz. Dessin Eric Pitteloud

De tout temps, chaque institution de formation s’est efforcée d’offrir les meilleures prestations d’enseignement. Mais pour ce qui concerne la formation supérieure, la situation s’est récemment exacerbée en raison de la concurrence qui a été instaurée entre les hautes écoles aux niveaux national et international.

De nos jours, pour convaincre étudiants, autorités et médias, le maître mot est l’excellence. On a entendu à l’envi des responsables de hautes écoles déclarer que l’excellence était le seul critère de leurs choix et de leur stratégie. Mais en fait, que signifie ce terme? Est-il magique au point qu’il suffirait de le prononcer haut et fort pour que la formation que l’on offre soit meilleure que celle des concurrents? Je n’en suis pas si sûr. Ce que je sais, c’est que je n’ai jamais entendu quiconque annoncer vouloir atteindre la médiocrité ou la piètre qualité. Et d’ailleurs, comment peut-on vérifier que telle université prodigue, globalement, un excellent enseignement? La réponse la plus fréquente est que pour qu’une haute école soit excellente, il lui suffit de n’admettre que les meilleurs élèves. Une sélection stricte à l’entrée, des ressources généreuses pour un nombre limité d’étudiants, voilà ce qui semble être la solution pour atteindre l’excellence et la reconnaissance de tous.

En y réfléchissant à deux fois, j’ai pourtant quelques doutes. D’une part, je ne crois pas que l’on puisse classer les futurs étudiants de manière bien ordonnée, du plus mauvais au meilleur: c’est même une évidence car si le succès en matière d’études dépend en partie des connaissances et des compétences acquises antérieurement, il est aussi et peut-être surtout la conséquence de la motivation qui anime l’étudiant, car c’est elle qui lui procure la soif d’apprendre et la passion pour la discipline de son choix. D’autre part, si la sélection privilégie l’institution qui l’applique, elle ne rend pas service au système de formation dans son ensemble: que deviennent tous les candidats non admis? Une autre école – médiocre – doit-elle les accepter ou doivent-ils abandonner leur projet de formation?

Enfin, s’il était vraiment possible de sélectionner à l’admission les excellents étudiants, l’école qui le ferait n’aurait pas grand mérite à ce que ceux qui la quittent soient excellents, puisqu’ils l’étaient déjà avant d’entrer: ce serait la moindre des choses que l’on pourrait attendre d’elle!

Au contraire, la haute école la plus performante à mes yeux, c’est celle qui accueille ses étudiantes et ses étudiants comme ils sont, qui accepte de faire confiance à celles et ceux qui les ont formés auparavant et qui est capable de faire parcourir à ses étudiants le plus de chemin dans la découverte du savoir. C’est celle qui sait faire éclore la curiosité, qui offre des conditions d’études qui font envie, qui varie et innove ses méthodes d’enseignement, celle qui arrive à instaurer une véritable culture de l’apprentissage où chacun se sent motivé et mis en valeur. Y parvenir, c’est un défi extrêmement difficile, mais magnifique. Et que l’on ne s’y méprenne pas, il est parfaitement compatible avec un haut degré d’exigence.

Ce pour quoi j’ai le plus grand respect, c’est de viser la réussite de chaque étudiante et de chaque étudiant qui entre dans une haute école, que ce soit en l’accompagnant vers son objectif de formation ou en lui donnant les moyens de trouver une autre voie qui lui permettra de se développer. C’est aussi dans cet esprit que chaque pièce de la grande chaîne de la formation – de l’école enfantine à l’université – apporte sa meilleure contribution au système global, afin de donner à chacune et à chacun la possibilité de faire le chemin qui correspond à ses attentes et à ses capacités, et d’éviter que quiconque ne reste en marge.

Viser la réussite est un objectif probablement plus ambitieux que proclamer l’excellence!

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