Tout ce que nous devons à la conquête spatiale

Tout ce que nous devons à la conquête spatiale

Dans quelques jours, la NASA, l’agence spatiale américaine, célébrera ses cinquante ans. Un demi-siècle qui nous aura valu, outre des images inoubliables de la Lune, de bénéficier après coup d’innombrables trouvailles scientifiques préparées pour les astronautes. Tour d’horizon de ces bénéfices scientifiques quotidiens avec le chercheur de l’UNIL Claude-Alain Roten.

C’était il y a cinquante ans. Le 1er octobre 1958, la NASA débutait ses activités, quelques mois après la signature du National Aeronautics and Space Act. Avec ce texte, le président américain Eisenhower ordonnait la mise en place de l’agence spatiale états-unienne, et répondait au fameux «bip-bip» envoyé un an plus tôt par Spoutnik-1.

Ce petit signal avait alors fait grand bruit sur la Terre, en démontrant que les Soviétiques venaient, les premiers, de mettre en orbite un satellite. Une performance qui lançait la course à l’espace et déclenchait une compétition nimbée de prestige et de stratégie, où, outre les Soviétiques et les Américains, les Européens ont participé dès 1962, bientôt suivis par les Japonais, les Chinois et les Indiens.

Des leçons de management

Qu’y a-t-on appris en cinquante ans? On entend souvent dire que l’aventure spatiale est très onéreuse et qu’elle ne rapporte pas grand-chose. Certes, lancer des fusées ou des navettes, mettre en orbite des stations spatiales ou envoyer des astronautes sur la Lune a un prix. Mais l’ESA (l’Agence spatiale européenne) a coutume de rétorquer que, pour un franc dépensé dans l’espace, trois francs retournent aux industriels du secteur et, par là, à l’économie terrestre.

Sans compter les nombreuses retombées de l’espace qui sont difficilement chiffrables. L’une des plus importantes, selon Claude-Alain Roten, qui sait de quoi il parle puisqu’il est chef de projet de recherche à l’UNIL et au CHUV, est justement «la démarche de management de projet». En clair, on se fixe un objectif clair et précis, un laps de temps et un certain budget pour le mener à bien; et l’on fonce.

«C’est vraiment un modèle de créativité qui est maintenant utilisé par des grandes entreprises.» Un modèle de communication aussi, précise le microbiologiste, qui rappelle qu’avant de partir sur la Lune, les astronautes des missions Apollo «s’étaient donné pour consigne d’aller serrer la main de tous les employés travaillant sur le site de la NASA, afin de s’assurer que tous allaient donner le meilleur d’eux-mêmes pour préparer les missions».

Sur le plan organisationnel, les accidents ont d’ailleurs, eux aussi, eu un certain impact. L’explosion de la navette Challenger a ainsi donné naissance à «toute une réflexion sur le risque, mais aussi sur la manière de stocker et de diffuser l’information en cas de problème».

Sans fusées, pas de téflon ni de titane

Mais, au-delà, la conquête spatiale a toujours été un formidable moteur pour le développement technologique. Dans son livre «A la conquête de l’espace. De Spoutnik à l’homme sur Mars», Jacques Villain souligne que «plus de 100 technologies développées pour la navette spatiale ont trouvé des applications civiles». Et encore le spécialiste français ne mentionne- t-il que la navette.

Certaines de ces innovations font aujourd’hui partie de notre quotidien. Tel est notamment le cas du téflon dont on recouvre les poêles; un matériau qui, au départ, «a été conçu pour permettre à des pièces de glisser l’une sur l’autre, sans huile», précise Claude-Alain Roten. Quant au titane, il était connu de longue date, mais peu utilisé en raison de son coût élevé. Son emploi par l’industrie spatiale a favorisé son essor et il est aujourd’hui fréquemment employé pour fabriquer des alliages légers et résistants.

Nous leur devons la démocratisation des couches-culottes

Plus surprenant encore: si la NASA n’a pas à proprement parler inventé les couches-culottes jetables, elle a largement contribué à leur amélioration et à leur démocratisation. Tout a sans doute commencé avec Alan Shepard, le premier Américain envoyé dans l’espace dans le cadre du programme Mercury.

La mission ne devait durer qu’une quinzaine de minutes, mais des problèmes techniques ont retardé son lancement et l’astronaute a été pris d’un besoin pressant. Ses collègues lui ont conseillé de se soulager dans son scaphandre, mais ils ont dû couper le courant pour éviter les risques de court-circuit, ce qui a retardé encore le départ.

«A l’époque, il n’y avait pas de facilités à bord», commente le microbiologiste de l’UNIL. Aujourd’hui, les navettes en sont pourvues, ce qui n’empêche pas la NASA de mettre des couches-culottes à la disposition de ses astronautes qui, parfois, sont trop occupés ou dans des situations telles qu’ils ne peuvent pas se rendre aux toilettes.

Miniaturisation et jeux électroniques

Dans de nombreux domaines, l’espace est «un superbe banc d’essai», souligne Claude-Alain Roten. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la conception des processeurs n’en a pas vraiment bénéficié. Dans l’espace en effet, les conditions sont hostiles, notamment du fait des bouffées de rayonnement solaire qui mettent le matériel à rude épreuve, alors même qu’il est très difficile de réparer une pièce endommagée. «On préfère donc utiliser des composants plutôt désuets, mais dont la robustesse a été éprouvée.»

En revanche, la nécessaire miniaturisation de tout le matériel embarqué a bénéficié à l’informatique grand public. «Quand les astronautes de la mission Apollo se sont posés sur la Lune, l’ordinateur qui gérait la descente du module lunaire ressemblait aux toutes premières calculatrices programmables, qui sont arrivées dans le commerce quelques années plus tard», raconte Claude-Alain Roten. D’ailleurs, «l’un des tout premiers jeux électroniques à programmer manuellement disponibles sur les premières calculatrices Hewlett-Packard était inspiré de la descente lunaire: il fallait injecter, à un moment précis, du carburant pour se poser virtuellement en douceur».

Electrocardiogrammes et scanners

Lorsque les stations américaine Skylab, soviétique MIR et internationale ISS furent construites, les agences spatiales promettaient l’installation de véritables usines en orbite qui, tirant parti de l’apesanteur, fabriqueraient des produits révolutionnaires. Cela ne s’est en fait jamais réalisé, «car il est toujours beaucoup plus simple et plus rentable de produire sur la Terre», souligne Claude-Alain Roten. Autant dire que nul médicament miracle n’a été concocté dans l’espace.

Cela ne signifie pas pour autant que la médecine n’a pas tiré quelques bénéfices de la conquête spatiale. Ainsi le Holter, cet appareil développé par la NASA pour enregistrer en continu l’électrocardiogramme des astronautes, équipe aujourd’hui de nombreux cabinets et services hospitaliers de cardiologie. Des scanners portables pour évaluer la qualité osseuse des spationautes durant les missions de longue durée (en apesanteur, les os se décalcifient, à moins de faire des exercices réguliers), servent maintenant sur la Terre pour suivre la déminéralisation des os.

L’émergence de la télémédecine

Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres. Toutefois, pour le microbiologiste du CHUV, la retombée la plus importante de l’exploration spatiale dans ce domaine concerne la télémédecine. Les technologies ont été développées afin de pouvoir pratiquer des diagnostics et offrir de l’assistance et des traitements à distance aux astronautes durant leurs missions.

Elles se sont avérées «très utiles sur la Terre, par exemple lorsque des explorateurs sont isolés en Antarctique». La télémédecine est en plein essor; son emploi devrait se généraliser et profiter à tous ceux qui se trouvent dans des endroits isolés.

Espions en orbite

Qui dit espace dit bien évidemment satellites. A commencer par les engins militaires. Les grandes puissances disposent de toute une flottille de satellites – de reconnaissance, d’alerte, d’interception ou d’écoute – qui sont de véritables espions en orbite.

Ce n’est en fait qu’un juste retour des choses, puisque la première vraie fusée balistique, la V2 mise au point par l’ingénieur allemand Wernher von Braun pendant la Deuxième Guerre mondiale, a servi de base à la conception des fusées modernes.

Ce sont d’ailleurs aussi des motifs géostratégiques qui ont, au départ, servi de moteur à la course à l’espace. «Derrière les programmes lunaires, il y avait une énorme compétition militaire, rappelle Claude-Alain Roten. Les Américains craignaient que les Soviétiques installent une base de lancement de missiles sur la Lune, et il leur a fallu montrer qu’eux aussi étaient capables d’y aller.»

Transmettre des images, de la voix et des données

Il n’empêche: la plupart des satellites ont des fonctions civiles qui ont véritablement révolutionné nos modes de vie. Tout particulièrement dans le domaine des télécommunications. Le lancement d’Echo 1 par la NASA, en 1960, a déclenché le mouvement. Les satellites de télécoms se sont très vite multipliés au point qu’actuellement ils sont plus de 320 sur l’orbite géostationnaire.

Sans eux, il ne nous aurait pas été possible de suivre en direct les JO de Pékin, ni de recevoir quotidiennement des images d’événements, sportifs ou autres, qui ont lieu à l’autre bout de la planète. Ces engins transmettent d’ailleurs non seulement des programmes des chaînes télévisées, mais aussi de la voix et des données numériques.

En outre, ils améliorent les communications des pays mal équipés en infrastructures terrestres et câbles sous-marins, et demain, ils permettront l’arrivée de l’offre de services «tout satellite» pour les mobiles et de bien d’autres tant, «dans ce domaine, tout évolue à grande vitesse », constate Claude-Alain Roten.

Venant en deuxième position derrière les télécommunications, la localisation et la navigation par satellite gagnent du terrain. Au départ, la technique était réservée aux utilisations spatiales – elle est notamment indispensable «quand on doit arrimer un étage d’une fusée ou un vaisseau à la station spatiale internationale, par mode complètement automatique», constate le chercheur de l’UNIL – ainsi qu’aux secteurs aéronautique et maritime.

Se repérer sur la planète

Aujourd’hui, elle s’est démocratisée au point qu’elle a désormais pris place dans nos voitures. Si le système américain GPS (Global Positioning System) tient aujourd’hui le haut de l’espace, d’autres comme le russe Glonass, le chinois Beidou et l’européen Galileo devraient bientôt le rejoindre en orbite. Dans ce secteur en plein boom, on estime que le marché mondial pourrait atteindre plus de 750 milliards de francs en 2025.

Prévisions météo et éveil à l’écologie

Depuis leur orbite, les satellites peuvent observer la Terre. Ils peuvent suivre les déplacements des masses d’air et nous livrer des prévisions météorologiques précises et précieuses. Ils peuvent aussi contrôler les humeurs des océans, gérer les ressources halieutiques ou agricoles, suivre les pollutions, contrôler la déforestation… Bref, surveiller notre environnement.

Claude-Alain Roten en est encore persuadé: l’intérêt pour l’écologie, qui s’est développé dans les années 1970, «découle des images de la Terre prises depuis l’espace ». Et en particulier de ce fameux «clair de Terre, photographié depuis la Lune, qui a mis en évidence à nos yeux le fait que nous vivions sur une planète, et une seule, dont la surface était limitée». De cette nouvelle vision de notre globe sont nées les préoccupations actuelles face au trou d’ozone ou au réchauffement climatique.

On cherchait la vie extraterrestre. On a trouvé de la vie sur la Terre

Cette image et bien d’autres ont aussi mis en évidence la fragilité de notre planète. Mais au-delà, souligne Claude- Alain Roten, «elle a modifié l’idée que l’on se faisait de la vie». En 1976, lorsque les Américains ont envoyé leurs sondes Viking sur Mars pour y chercher des traces de vie, «ils n’ont obtenu que des réponses ambiguës, car ils recherchaient des empreintes d’organismes vivant à 20 °C, etc., ce qui correspondait aux connaissances que l’on avait à l’époque à propos de la vie».

Depuis, les choses ont grandement évolué, car l’espoir de repérer de la vie sur la planète rouge a incité les chercheurs à regarder de plus près ce qui se passait sur notre propre planète. «On s’est peu à peu rendu compte que toute la surface de la Terre était colonisée par des micro-organismes, des glaces de l’Antarctique aux sables du Sahara. Où que l’on creuse, on trouve toujours une forme de vie active, bien adaptée à son environnement. »

De grandes découvertes astronomiques

Pour le microbiologiste, «ces découvertes dérivent en droite ligne de l’exploration spatiale». Comme bien d’autres avancées scientifiques d’ailleurs, car la recherche, elle aussi, a largement profité de cette course à l’espace lancée il y a cinquante ans.

Les travaux effectués en orbite ou dans les laboratoires des stations spatiales ont eu de nombreuses retombées, en particulier en sciences de la vie ou des matériaux. Mais c’est sans doute l’astronomie qui a été la grande gagnante dans l’affaire: le lancement de multiples satellites et sondes spatiales, sans compter l’envoi d’hommes sur la Lune, ont profondément modifié la vision que l’on avait auparavant du système solaire et du cosmos.

«Cela va du paramétrage de l’Univers à son âge et sa taille, en passant par le nombre d’étoiles ou de galaxies qu’il renferme, constate Claude-Alain Roten. C’est une révolution copernicienne, car cela a permis de se défaire de nombreux a priori sclérosants que l’on avait auparavant.»

Les missions spatiales ont aussi eu une retombée plus indirecte dans le domaine scientifique: elles ont suscité nombre de vocations chez des jeunes qui, fascinés par les exploits des astronautes, ont embrassé une carrière scientifique. Car l’espace fait rêver. Même si, aujourd’hui, il suscite moins d’enthousiasme qu’auparavant, même si l’envoi de robots sur Mars provoque moins d’excitation que les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, la conquête spatiale nourrit toujours notre imaginaire. Ce n’est pas là la moindre de ses retombées.

Elisabeth Gordon

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