Responsables, donc coupables?

© Felix Pergande - fotolia.com

Faire un procès à l’Etat. Parce que son enfant a été abattu au coin de la rue, d’une balle tirée avec un fusil militaire. Parce qu’une manifestation autorisée a dégénéré et qu’elle a provoqué des dégâts à sa propriété. Ou parce que des experts ont relâché un criminel et qu’il a récidivé. Pour l’instant, ce n’est qu’une tentation, un scénario. Mais la possibilité de traîner les autorités suisses en justice existe bel et bien.

L’an dernier, un fait divers tragique révélait au grand public une information étonnante: l’armée suisse risquait d’être condamnée par un tribunal, parce que ses cadres avaient confié un fusil d’assaut à un soldat assez fou pour jouer au sniper, près d’un abribus de Zurich. Et, en août dernier, les citoyens se voyaient offrir le droit d’attaquer en justice des experts de l’Etat qui feraient une erreur d’appréciation en libérant un criminel interné à vie pour des délits gravissimes, et qui frapperait à nouveau. Cette innovation, adoptée par le biais d’une initiative très controversée, témoigne du changement d’état d’esprit qui s’opère dans l’opinion publique suisse.

Désormais, la fatalité n’est plus une excuse pour un drame. Quand une histoire dérape, on cherche des responsables. Et les politiques ne sont pas les derniers à se retrouver sur la liste noire. Ils ne sont pas les seuls. L’envie de placer les autorités, toutes les formes d’autorité, face à leurs responsabilités est de plus en plus palpable. Les parents viennent ainsi de découvrir qu’ils risquaient également de faire les frais de cette nouvelle mode. C’est, du moins, la conclusion d’un jugement ahurissant tombé en mars dernier. Pour avoir perdu de vue un de ses enfants durant quelques minutes, parce qu’elle changeait les couches du petit pendant que l’aînée (deux ans) manquait de se noyer dans une pataugeoire de Vevey, une mère «inattentive» a été jugée coupable de lésions corporelles graves par négligence.

Cette condamnation semble extrême. Mais restera-t-elle très longtemps exceptionnelle? N’est-elle pas, elle aussi, un indicateur de l’évolution actuelle des mentalités helvétiques? Observons que, au plus chaud des polémiques suscitées par les jeunes superchauffards, ou celles déclenchées par les petits caïds qui multiplient les délits violents, l’idée de sanctionner les parents qui ont si mal élevé ces «racailles» a fait son chemin dans les esprits. Bien sûr, pour l’instant, ce n’est qu’une tentation, un scénario. Reste que cette envie grandissante de replacer les autorités politiques et familiales en réelle position de responsabilité nous offre une étrange conclusion à cette année 2008 qui devait être placée, on l’avait presque oublié, sous le signe des célébrations des quarante ans du très libertaire Mai 68.

Jocelyn Rochat

Laisser un commentaire