Qui vient passer ses vacances en Suisse?

Qui vient passer ses vacances en Suisse?

Sur le chemin de nos vacances, nous croisons ces étrangers qui, eux, ont opté pour nos lacs, nos montagnes, et, de plus en plus souvent, pour nos villes afin d’y passer leur temps libre. Découvrez avec Michael Breiter, un économiste de l’UNIL, le visage et les envies de ces visiteurs.

Quel genre de touriste la Suisse parvient- elle à attirer dans ses montagnes? Quelles sont les destinations choisies par ces touristes, et qu’est-ce qui influence leur venue? Quels types de séjour choisissent-ils? Une thèse, présentée à l’Ecole des HEC de l’Université de Lausanne (UNIL) par Michael Breiter, tente d’apporter des réponses. Et d’abord à celles-ci:

1 – Qui sont les touristes étrangers qui optent pour la Suisse?

On pouvait s’en douter. On en a la confirmation: «Les Allemands représentent à eux seuls environ 40% des touristes étrangers qui viennent en Suisse. Avec les Néerlandais, ils constituent la moitié de la clientèle internationale de notre pays», observe Michael Breiter.

«Les autres grands pays de provenance sont la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon et les Etats-Unis. Au total, ces huit pays pèsent entre 75 et 80% de la demande touristique étrangère. J’ai donc construit mon modèle d’analyse des facteurs qui influencent cette demande en me concentrant sur ces pays», poursuit le chercheur de l’UNIL.

Ces Allemands si fidèles

Les Allemands sont non seulement les plus nombreux, ils sont également nos touristes les plus fidèles. «Depuis 1973, le nombre de nuitées provenant de la clientèle internationale en Suisse a diminué d’environ 10%. Cette baisse globale cache des évolutions très contrastées selon le pays d’origine des visiteurs», explique Michael Breiter.

«Alors que le nombre de nuitées attribuables aux Allemands a régressé de seulement 6% pendant la période étudiée – de 1973 à 2003 –, le nombre de nuits passées en Suisse par des Français et des Belges a été divisé par deux», note le chercheur de l’UNIL.

Les Anglais et les Asiatiques viennent de plus en plus

Durant la période étudiée (1973- 2003), on observe également une augmentation de la demande britannique de 35%, tandis que la consommation touristique américaine diminuait dans la même proportion. «D’où l’intérêt de tenir compte des pays d’origine des touristes étrangers et des données qui influencent leurs choix», explique Michael Breiter.

«D’autant que depuis 1973, la part des «autres pays» dans la clientèle internationale choisissant la Suisse comme destination est passée de 14 à 19%, notamment en raison d’une augmentation sensible du nombre de visiteurs venant des pays de l’ancien bloc de l’Est, de l’Asie du Sud-Est et de l’Extrême-Orient. Une heureuse diversification des pays clients du tourisme suisse qui contribue à rendre cette activité moins vulnérable», apprécie le chercheur de l’Université de Lausanne.

2 – Pourquoi certains touristes choisissent-ils ou boudent-ils la Suisse?

Non content de s’intéresser à l’origine des visiteurs, Michael Breiter a encore étudié leurs motivations au moment de choisir la Suisse. Mais encore au moment de ne plus revenir dans nos montagnes ou dans nos villes.

«J’ai choisi d’analyser l’influence de facteurs économiques tels que le revenu, le taux de change, le prix relatif par rapport à des séjours équivalents offerts par nos grands concurrents dans le tourisme hivernal que sont l’Autriche, l’Italie et la France, ainsi que l’impact des dépenses de Suisse Tourisme ou des conditions météorologiques», explique-t-il.

«J’ai ainsi constaté que, quel que soit le pays d’origine des touristes étrangers, les conditions météorologiques ne semblent avoir aucune influence sur le choix d’un séjour d’été en Suisse. Alors que la qualité de la couche neigeuse joue un rôle dans les réservations en hiver.»

Les Allemands sont sensibles aux prix…

S’il ne prétend pas pouvoir analyser l’ensemble des motivations des touristes étrangers qui choisissent de passer des vacances en Suisse, le chercheur de l’UNIL a quand même une idée à propos des raisons qui incitent un Allemand à venir ou ne pas venir en Suisse.

«Le revenu disponible en Allemagne ainsi que le prix relatif par rapport à des offres touristiques de substitution influencent nettement le choix des Allemands, observe-t-il. Par ailleurs, pour les séjours hivernaux de courte durée, les conditions d’enneigement sont également importantes pour ces touristes venant d’un pays proche, qui peuvent prendre leur décision à la dernière minute.»

…mais moins que les Hollandais

Au camping comme dans les stations de ski, les Hollandais ont la réputation d’être des vacanciers particulièrement économes. Cette caractéristique a-t-elle également été repérée par Michael Breiter?

«La demande néerlandaise réagit fortement à tous les facteurs économiques: le revenu, le prix absolu et le prix relatif par rapport à des vacances à la montagne dans un pays concurrent. Ils choisissent la semaine la moins chère dans le type de séjour qu’ils recherchent. Ils tiennent également compte de la météo de manière importante en hiver», répond l’économiste de l’UNIL.

Les Français boudent la Suisse, comme les Américains

Qu’en est-il des Français, qui semblent venir moins nombreux dans nos contrées? L’impression n’est pas trompeuse. «Le nombre de nuitées consommées par des Français a effectivement diminué de moitié pendant les trente années étudiées, répond Michael Breiter, mais je n’ai pas trouvé d’explication économique à cette baisse. Le revenu, le prix ou le taux de change n’ont pas d’influence significative sur la décision des Français de venir en Suisse. Leur relative désaffection pourrait faire l’objet de recherches plus approfondies dans le futur.»

Les Américains, eux aussi, semblent moins nombreux à traverser l’océan que par le passé. Cette évolution s’expliquerait- elle par l’évolution du taux de change qui leur est désormais nettement moins favorable?

Je le pensais, mais ce n’est pas directement le cas. C’est surtout leur revenu qui influence la demande touristique en provenance des Etats-Unis, répond Michael Breiter. Quand ils viennent en Europe, les Américains visitent généralement plusieurs pays et se concentrent sur les symboles phare, tels que le Cervin. Le taux de change joue en revanche un rôle pour les Anglais.»

Et les Japonais?

Les Asiatiques, on l’a dit, font partie des touristes qui sont de plus en plus nombreux à choisir la Suisse comme destination de vacances. Que sait-on de leurs motivations?

«Ils tiennent compte de leurs revenus pour décider de passer des vacances en Suisse, mais ne sont pas influencés par le prix relatif par rapport à un séjour dans un autre pays, répond Michael Breiter. Cette clientèle réagit bien au marketing de Suisse Tourisme, tout comme d’ailleurs des publics plus proches comme les Allemands. Une fois ici, les Japonais visitent les montagnes, les lacs et les grandes villes.»

«A titre personnel, j’estime que pour gagner des clients au Japon, mais aussi pour utiliser au maximum le potentiel de la Suisse sur des marchés tels que l’Inde ou la Chine, il faut positionner la Suisse comme une destination unique – et surtout différente de ses voisins directs – qu’on ne peut manquer de visiter», souligne le chercheur de l’UNIL.

3 – Sont-ils montagne ou ville? été ou hiver? Quelles sont les envies de nos touristes?

Michael Breiter a encore cherché à savoir quelles étaient les destinations qui intéressaient les touristes arrivant en Suisse. Parmi les quatre grands types de séjours proposés dans notre pays – à la montagne, au bord d’un lac, dans une ville d’une certaine importance ou dans une autre zone géographique – quels sont les plus prisés?

L’hiver à la montagne, cet incontournable

On s’en serait douté: le séjour hivernal à la montagne reste le produit phare du tourisme helvétique. «Il n’est pas affaibli par une baisse de la demande étrangère et les clients sont depuis longtemps les mêmes: 87% des nuitées passées en hiver par des étrangers le sont par des ressortissants des huit principaux pays clients de l’hôtellerie suisse, note l’économiste de l’UNIL. Mais cela ne dispense pas les stations de faire preuve d’imagination pour améliorer leur offre hivernale.»

Si la montagne se vend très bien l’hiver, elle a beaucoup plus de peine à convaincre durant la belle saison. «Les séjours d’été sont de moins en moins prisés: les touristes sont moins nombreux à venir et la durée des séjours est plus courte qu’il y a trente ans», note Michael Breiter.

En été, la Suisse a perdu une clientèle familiale

Les vacances d’été en bord de lac ont également subi une certaine baisse de fréquentation, sans doute sous l’effet de la multiplication des offres touristiques. «Je pense que cela reflète un changement dans les habitudes de voyage: la Suisse a perdu une partie de la clientèle familiale qui venait à la montagne ou en bord de lac pour plusieurs semaines en été.»

Autre mode observée par l’économiste de l’UNIL: les séjours sont généralement plus courts. «Les touristes restent en effet moins longtemps pendant leurs vacances à la montagne, en bord de lac ou à la campagne. »

Des villes de plus en plus attractives

A l’inverse de ce qui se produit l’été à la montagne, «la durée moyenne de séjour dans les villes augmente. Durant la saison d’été, entre 1992 et 2003, la durée de séjour moyenne en montagne a ainsi diminué de 3,4 à 3 jours; dans le même temps, elle est passée de 2 à 2,2 journées dans les villes», observe Michael Breiter.

Ce tourisme urbain en net développement est un phénomène qui ne touche pas seulement la Suisse. La mode s’observe également à l’étranger.

«Pour les séjours dans une ville, les pays autres que les huit clients traditionnels de la Suisse représentent 40% de la demande. Il s’agit donc d’une nouvelle clientèle, apprécie le chercheur de l’UNIL. Les centres urbains helvétiques constituent un produit touristique spécifique dont le marketing peut mettre en avant le caractère unique. La demande pour des séjours urbains en Suisse est surtout sensible aux revenus des touristes potentiels, mais et dans une moindre mesure aussi aux prix.»

Voilà qui vient casser une fois de plus le cliché de la Suisse alpestre. Et voilà qui renforcera encore, s’il en était besoin, cette nouvelle division du pays que l’on observe habituellement lors des votations fédérales. Dans le secteur du tourisme également, le «match» ville-montagne s’annonce comme l’un des chocs de demain.

Françoise Guy


«Ökonometrische Zugänge zur touristischen Nachfrage der Schweiz im Disaggregierten»
, thèse présentée en 2005 à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de l’Université de Lausanne pour l’obtention du grade de Docteur en Sciences Economiques mention «Management». Directeur de thèse: Professeur Peter Keller, chef du secteur tourisme au SECO

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