On peut piéger du CO2 dans le sol grâce aux arbres

Cet arbre tropical, photographié ici au Cameroun, est oxalogène. C’est à dire qu’il stocke du CO2 sous forme minérale dans le sol.
©Laboratoire Biogéosciences UNIL

Certaines espèces d’arbres ont l’étonnante capacité de permettre le stockage du gaz carbonique dans les sols sous forme de calcaire. Un chercheur de l’UNIL a été le premier à élucider le mécanisme de ce processus qui pourrait offrir une solution au piégeage d’une partie du CO2 présent dans l’atmosphère.

Il y a urgence. Pour limiter le réchauffement climatique, il est nécessaire de réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre, au premier rang desquels figure le CO2. La priorité est de limiter l’usage des combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz) qui rejettent une grande quantité de gaz carbonique dans l’atmosphère. Mais parallèlement, on peut aussi tenter d’éliminer une partie du gaz carbonique qui s’y trouve déjà. Dans ce domaine, les arbres pourraient fournir une aide efficace. Tout particulièrement ceux qualifiés d’oxalogènes, qui piègent le gaz et permettent son stockage, sous une forme minérale stable, dans les sols et les eaux.

Certains végétaux produisent un sel organique naturel

«L’existence de ces végétaux est connue depuis longtemps, précise Eric Verrecchia, professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST) de l’UNIL. En 1830, le chimiste français Henri Braconnot a découvert que certains végétaux produisaient un sel organique naturel, l’oxalate de calcium. C’est un sous-produit de la photosynthèse.» Les plantes synthétisent les matières organiques nécessaires à leur croissance à partir de CO2 et d’eau, avec l’aide de l’énergie lumineuse du soleil (Voir l’infographie). Mais au cours de ce processus, les végétaux oxalogènes ont la particularité de produire dans leur tronc, leurs branches ou leurs feuilles, des cristaux d’oxalate de calcium.

Les scientifiques ont d’abord considéré ce sel comme un simple déchet. Ils savent maintenant qu’il aide certaines plantes à optimiser la photosynthèse, car «il se présente sous forme de cristaux qui concentrent les rayons du soleil», précise le biogéochimiste. En outre, il pourrait protéger les végétaux contre les animaux herbivores «qui ont du mal à mâcher les cristaux, aux arêtes saillantes». Certains chercheurs ont aussi émis l’hypothèse que cette forme de calcium naturel permettrait aux arbres de se consumer plus difficilement en cas d’incendie.

CO2 minéral stocké dans le sol

Actuellement, quelque deux cents espèces d’arbres oxalogènes ont été identifiées. On y trouve certains bouleaux, peupliers et hêtres, mais la plupart pousse dans les régions tropicales.

Si ces arbres intéressent tant le chercheur de l’UNIL et les quelques équipes dans le monde qui les étudient, c’est avant tout parce qu’ils font mieux que les autres végétaux. Comme eux, ils conduisent à l’emmagasinement du CO2 dans le sol sous forme organique. Mais en plus, ils permettent son stockage, toujours dans le sol, sous forme minérale. «La différence est énorme, souligne le biogéochimiste. En général, au bout de cent ou cent vingt ans, les forêts ont consommé autant de gaz carbonique qu’elles en ont relâché au cours de la décomposition des végétaux morts. Le bilan est donc pratiquement à l’équilibre.» Il en va tout autrement avec les arbres oxalogènes. L’oxalate qu’ils fabriquent «se transforme en carbonate de calcium qui peut soit rester à l’état soluble et passer dans les nappes phréatiques et les océans, soit précipiter à nouveau et se retrouver dans les sols sous forme de calcaire».

Dans le premier cas, la totalité du CO2 transformé en oxalate par l’arbre se retrouve piégée et dans le second, seule la moitié l’est (car du gaz carbonique est réémis lors du dépôt calcaire). Quoi qu’il en soit, une partie au moins du gaz est éliminée de l’atmosphère.

Eric Verrecchia. Professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre (Faculté des géosciences et de l’environnement).
Nicole Chuard ©UNIL

Une rencontre fructueuse

Eric Verrecchia a été le premier à décrire ce processus. «Avant que je ne m’attaque à cette problématique, un seul article avait été écrit sur le sujet, en 1997. Les auteurs, des écologues, avaient constaté qu’il y avait des quantités importantes d’oxalates dans certaines litières des forêts de l’Oregon, aux États-Unis. Ils ont vu qu’une partie de ce sel disparaissait et qu’une autre s’accompagnait d’une modification chimique qui se traduisait par la présence de carbonate. C’était une simple observation qu’ils n’avaient pas cherché à expliquer.»

Au cours de sa thèse de doctorat, le chercheur de l’UNIL a décidé de combler cette lacune. «J’ai compris comment le processus fonctionnait, mais je ne connaissais ni les acteurs fondamentaux, ni les bilans de CO2. Pour moi, l’affaire restait une boîte noire.»

Heureusement qu’en sciences comme dans d’autres domaines, on peut parfois compter sur la chance. Lorsqu’il est arrivé à l’Université de Neuchâtel, en 2000, Eric Verrecchia a rencontré le professeur de microbiologie Michel Aragno à qui il a parlé de ses recherches. «Je lui ai dit que je pensais que des bactéries jouaient probablement un rôle dans l’histoire, car j’en avais repéré quelques-unes au microscope. Michel Aragno a alors éclaté de rire. Il m’a sorti un article qu’il avait publié en 1980 dans le Bulletin de la Société neuchâteloise des sciences naturelles dans lequel il montrait que les bactéries pouvaient décomposer l’oxalate.» Eric Verrecchia n’en revient toujours pas de ce merveilleux coup du sort. «Par le plus grand des hasards, je suis tombé sur LA personne qui avait décrit ce processus. Cela a été le début d’une aventure scientifique et humaine extraordinaire.»

Le processus rend le sol moins acide

A partir de là, le biogéochimiste a pu élucider le mécanisme impliqué dans les transformations de l’oxalate. Produit par les arbres, il se retrouve ensuite dans le sol, soit par l’intermédiaire des racines, soit à la suite de la chute des branches ou des feuilles. Là, il est décomposé par des bactéries, «avec l’aide de champignons qui les guident à trouver le sel» et il est transformé en calcaire ou dissous dans l’eau. «Ce processus a deux conséquences fantastiques, souligne Eric Verrecchia: il permet de stocker du CO2, mais il modifie aussi le sol qui devient moins acide et peut emmagasiner ainsi plus de nutriments».

Le chercheur de l’UNIL a participé à un important programme européen, CO2SolStock, qui a été mené de 2009 à 2012 et qui avait pour but de «trouver des méthodes douces pour emmagasiner du CO2 dans le sol». Les experts ont évalué plusieurs pistes et finalement, ils ont estimé que «la plantation d’arbres oxalogènes était la plus prometteuse».

Iroko et noyer maya

Au centre des recherches du professeur de l’UNIL se trouve l’iroko. Cet arbre tropical «est le champion africain de l’oxalogénie: il produit de grandes quantités d’oxalates». Tout comme le noyer maya, qui pousse en Amérique centrale. Ces espèces ont d’autres avantages aux yeux du scientifique qui se préoccupe aussi des populations qui seraient tentées par ce type d’agroforesterie. «L’iroko est certes un cauchemar pour les bûcherons qui y brisent leur scie, mais c’est aussi un bois semi-précieux qui a donc une forte valeur ajoutée. Quant au noyer maya, il produit une noix qui a de bonnes propriétés nutritives et qui est de surcroît prisée en Amérique du Sud pour ses vertus médicinales.»

Sur la base des travaux du professeur lausannois, l’association Biomimicry Europa, qui se consacre à la promotion du biomimétisme, a lancé le programme «Arbres sauveurs» qui plante des arbres oxalogènes en Haïti, en Inde et en Colombie. De son côté, l’ONG Sadhana forest lance en Inde des plantations d’arbres natifs semblables aux noyers maya.

Éliminer du CO2 déjà présent dans l’atmosphère

Certes, ce n’est pas la panacée, puisqu’un iroko ne peut stocker que jusqu’à 21 kg de CO2 par an. Pour piéger les 4 millions de tonnes de gaz carbonique qu’une centrale à charbon émet en moyenne par an, il faudrait planter un million d’hectares d’irokos, soit l’équivalent de la forêt des Landes dans le sud-ouest de la France. Toutefois, précise Eric Verrecchia, il faut aussi prendre en compte le fait que, comme tous les arbres, «les irokos stockent aussi du CO2 sous forme de biomasse». Le biogéochimiste reconnaît toutefois que même des plantations à large échelle ne suffiront pas à résoudre le problème du réchauffement climatique. Si l’on veut limiter à 2°C l’augmentation de la température à l’horizon 2100, il faudra réduire drastiquement les émissions mondiales de CO2 dues aux activités humaines. «Mais on ne pourra pas pour autant s’affranchir des méthodes visant à éliminer une partie du CO2 déjà présent dans l’atmosphère, y compris à l’aide de techniques de piégeage et stockage du carbone» qui visent à enfouir du gaz carbonique dans le sous-sol (voir l’article Comment séquestrer le gaz carbonique dans le sous-sol).

Le professeur et ses collègues poursuivent donc leurs recherches, avec l’objectif de «déterminer les meilleures espèces oxalogènes et écosystèmes les mieux adaptés pour accueillir des plantations». Ils ont aussi entrepris, en collaboration avec une équipe de l’Université de Neuchâtel, d’élucider le rôle exact des bactéries et des champignons, afin d’optimiser le processus de piégeage du gaz carbonique, tout en cherchant «à améliorer la qualité des sols pour augmenter à la fois leur capacité à stocker le CO2 et leur fertilité». Grâce à eux, les arbres pourraient devenir des auxiliaires précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique.

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