Le « Titanic » vogue encore… dans notre imagination

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L’édition 2013 des Mystères de l’UNIL a pris le célèbre paquebot comme métaphore d’une société utopique naviguant sur des eaux dangereuses. Un mythe qui perdure: Allez savoir! avait traité de notre fascination pour le «Titanic» il y a quinze ans.

«Mais qu’est-ce qui nous attire à ce point dans ce désastre? Qu’est-ce qui nous captive dans ce drame maritime au point que, huitante-six ans plus tard, “il continue de hanter notre imaginaire”?», écrivait Patricia Brambilla dans l’édition de janvier 1998
d’Allez savoir!

La journaliste avait interrogé Jean-Pierre Keller, alors professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques et auteur de Sur le pont du Titanic*. Aujourd’hui professeur honoraire, l’enseignant indiquait que la trajectoire du paquebot «[…] contient tous les éléments du mythe et est emblématique à plusieurs points de vue». A commencer par le fait qu’il s’agit de l’histoire d’un bateau. Et non d’un avion ou d’un train. Détail insignifiant? Pas pour le sociologue qui fait remarquer que l’homme entretient une relation différente avec un navire qu’avec tout autre moyen de locomotion: «On personnifie les bateaux en leur donnant un nom. On dit le Queen Elisabeth, le France… Et puis en anglais, les bateaux ne sont pas neutres, ils sont féminins. On dit “she”. Une habitude qui doit sans doute remonter très loin, à l’époque des marins qui prenaient la mer. Autant de signes qui donnent au bateau une place à part dans notre imaginaire.»

«Ensuite, le Titanic, ce n’est pas n’importe quel rafiot. On parle du “plus grand objet mobile jamais réalisé par l’homme”. Mieux, il incarnait le luxe et la modernité, il était le sommet de la réalisation technique, la fierté d’une époque arrogante, enivrée de son propre progrès. Imaginez une embarcation de 270 mètres de long et de 31 mètres de haut, forte de quatre cheminées (dont une postiche, installée uniquement pour l’esthétique et l’effet de grandeur) […].»

«Cette véritable ville flottante qui pouvait contenir jusqu’à 2?500 passagers était considérée comme insubmersible. Le fait qu’elle ait sombré a vraiment frappé les esprits: “C’est comme si la modernité elle-même coulait. Aujourd’hui, on est habitué à douter de la technique, grâce en partie au discours écologique. Mais à la Belle Epoque, tout ce qui était moderne était bien. Le naufrage du Titanic a vraiment marqué la fin d’une époque”, souligne Jean-Pierre Keller. On y a vu une parabole, une leçon d’humilité, un châtiment à l’orgueil des hommes. Qui, dans leur course prométhéenne, avaient oublié une fois de plus que la nature était la plus forte. Qu’elle était indomptable et qu’elle pouvait être cruelle.»

«Et puis, le Titanic était bondé de passagers aux destins passionnants: tout le gratin britannique était là, de l’armateur du bateau au président de la compagnie White Star Line. Sans parler de quelques richissimes personnalités américaines: le couple Straus, propriétaire du magasin Macy’s à New York, ou Benjamin Guggenheim, fils du nabab Meyer Guggenheim. Sur le bateau se trouvait aussi une large frange d’immigrants, pour la plupart partis d’Orient avec tous leurs bagages, prêts à recommencer leur vie sur le nouveau continent. Mais, d’après le sociologue, c’est la présence de quelques richissimes personnalités qui constitue l’élément marquant du scénario: “La richesse nous fascine. On n’y peut rien. Même les gens qui votent à gauche sont davantage intéressés par la mort des riches…. On l’a vu avec Lady Di”.»

Dans sa conclusion, Patricia Brambilla rappelait que le nom même du navire était «une allusion directe à la mythologie grecque. Les Titans ne sont-ils pas les enfants d’Ouranos, qui s’étaient révoltés contre Zeus, le dieu de l’Olympe, puis avaient été vaincus et jetés dans l’abîme du Tartare? Le Titanic était entré dans la mythologie de son vivant, son naufrage l’y a définitivement assigné. Puisqu’il continuera sans doute encore longtemps à nous parler des choses difficiles, de la mort, de la disparition, de notre propre mort et de celle de la civilisation.»

*Ed. Zoé (1994), 176 p.

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