Le foot suisse et ses pourquoi

Les joueurs du FC Barcelone (ici, Lionel Messi) et du FC Bâle (Taulant Xhaka) portent les mêmes couleurs, grâce au Suisse Hans Gamper.
John Walton/Press Association Images/Keystone et Georgios Kefalas/Keystone

Le Mondial débute le 14 juin, en Russie, avec la participation de la Nati qui doit y affronter le Brésil, la Serbie et le Costa Rica. C’est l’occasion de revenir avec des experts de l’UNIL sur quelques épisodes méconnus de l’histoire du football suisse.

1 Young Boys, Grasshopper… Pourquoi y a-t-il autant de clubs aux noms anglais en Suisse alémanique?

«Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il y avait déjà de nombreux établissements d’éducation privés qui accueillaient la grande bourgeoisie européenne, surtout britannique. Deux foyers se développent, le premier sur les bords du lac Léman, entre Genève, Lausanne et Montreux. On y croisait de jeunes Anglais qui restaient entre six mois ou une année en Suisse », raconte Grégory Quin, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL.

Durant leur temps libre, ces jeunes se rencontrent et disputent des matchs d’un jeu qui est encore un mélange de football-rugby, et dont les règles sont toujours évolutives. « Ces étudiants vont créer des clubs, car c’est aussi leur mode de sociabilité : ils partagent les activités sportives et surtout tous les à-côtés.» Sur l’Arc lémanique, la plupart des Britanniques ne sont que de passage pour leurs études. Ceci explique pourquoi les premiers clubs romands disparaîtront avant la fin du XIXe siècle. «Le second foyer est plus lié aux premiers développements de l’industrialisation entre Berne-Bâle-Zurich-Saint-Gall.» Beaucoup d’Anglais vont poursuivre un cursus universitaire à Saint-Gall. A ce jour, le FC Saint-Gall est le plus vieux club suisse, fondé en 1879, et toujours en activité. «La différence avec les équipes romandes, c’est que ces Britanniques vont créer des structures un peu plus ouvertes aux Suisses. Ils sont venus pour leurs études, puis pour y travailler plusieurs années. Et on commence à trouver des locaux dans les comités des clubs. Et ces personnes assuraient la pérennité des structures.» Voilà pourquoi les Young Boys, Old Boys, Young Fellows Zurich ou encore Grasshopper existent toujours.

Pourquoi un journal, associé à une marque de champagne, est-il à l’origine du premier Championnat suisse de football en 1897?

Le 19 mars et le 4 avril 1898, après deux victoires (6 à 1 et 2 à 0), Grasshopper Club Zurich est devenu le premier champion de Suisse, saison 1897-1898. Ce sera la première et seule édition d’un championnat national organisée et sponsorisée par un journal genevois, La Suisse Sportive, avec la maison française de champagne Ruinart. «Les journaux sont à l’époque le principal vecteur de création de compétitions. Les journalistes ne sont pas seulement des relayeurs d’information, ce sont aussi des promoteurs. C’est un Genevois, François Dégerine, qui en devient l’instigateur. Pour lui, la compétition doit créer de l’émulation. Le journal a intérêt à ce que la pratique, les compétitions s’établissent et surtout qu’elles intéressent de plus en plus le public. Ce faisant, elles prennent de la valeur et deviennent des occasions de vendre du papier», note Philippe Vonnard, docteur en histoire du sport à l’UNIL et actuellement post-doctorant à Paris. Neuf autres équipes vont participer à ces premières joutes: Château de Lancy FC, Yverdon FC, Zurich FC, La Châtelaine de Genève FC, Maison Neuve Vevey, Racing Club de Genève, Villa Longchamp Lausanne, FC La Villa Ouchy et Lausanne-Football and Cricket Club. Mais comme l’ASF n’est pas l’instigatrice de cette compétition, le titre ne sera pas officiel.

«?En 1895, les premiers statuts de l’ASF ne se donnent pas la possibilité d’organiser un championnat. Ils sont dans une logique de matchs amicaux, fait remarquer Grégory Quin. Le club sert avant tout à créer de la sociabilité.»

A la fin du XIXe siècle, le nombre d’entités sportives augmente et donc le nombre de matchs aussi. Le développement des chemins de fer facilite les échanges et raccourcit les temps de parcours. «En organisant un championnat, le journal est certain de vendre du papier. Il crée une dramaturgie narratrice?: le jour avant, le jour du match et le lendemain! Du coup, s’il y a un tournoi, il y aura des matchs tous les week-ends… quant au champagne, il est certainement lié à une connexion personnelle des journalistes.»

Après une saison, l’ASF ne veut pas qu’une telle compétition lui échappe et décide de s’approprier l’organisation du championnat suisse. La saison suivante l’anglo-américain Zurich s’impose 7 à 0 en finale face aux Old Boys de Bâle. Les Anglais deviennent ainsi les premiers champions officiels de l’ASF.

Grégory Quin et Philippe Vonnard
Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport
(Faculté des SSP). Docteur en histoire du sport de l’UNIL, aujourd’hui post-doctorant à Paris.
Nicole Chuard © UNIL

Pourquoi le FC Bâle et le FC Barcelone ont-ils les mêmes couleurs de maillots?

Blaugrana et FCB. Couleurs et acronyme. Entre Bâle et Barcelone, il y a un homme: Hans Gamper. L’entrepreneur bâlois fonde le FC Barcelone le 29 novembre 1899. Un Suisse qui exporte sa passion pour le jeu en Espagne? La situation est tout à fait banale à cette époque. «Cela prouve bien que la Suisse est pionnière, souligne Grégory Quin. D’abord grâce aux Anglais, les Suisses de bonnes familles ont pratiqué le jeu du ballon rond chez eux». Puis à leur tour, ces aristocrates ou commerçants helvétiques ont participé, en voyageant, à la diffusion du football sur le continent. C’est notamment le cas en Espagne, en France et en Italie. Ces Suisses seront à la base de plusieurs clubs, comme le FC Internazionale à Milan et le Stade Helvétique à Marseille.

«Oui, des Suisses ont participé au développement du football en Europe, poursuit Grégory Quin. Comme Hans Gamper, qui a d’abord joué au FC Bâle, et dont il a même été le capitaine.» Puis, en 1896, il fonde le FC Zurich où il joue. Il se déplace ensuite à Genève pour son travail avant de rejoindre Lyon. Mais il ne restera pas assez longtemps en France pour créer un club. Son employeur l’envoie ensuite à Barcelone. «Et il se retrouve un peu dans la même situation que des Anglais envoyés en Suisse. Durant son temps libre, afin de sociabiliser, il veut jouer au football. Et comme certains clubs n’acceptent pas les étrangers, il crée en 1899, le FCB.»

L’histoire veut qu’en souvenir de son ancien club bâlois, Hans Gamper devenu Joan Gamper en Catalogne ait choisi les couleurs bleu et grenat pour son nouveau club catalan. «C’est aujourd’hui l’hypothèse retenue par les historiens du football espagnol. C’est la théorie la plus crédible, mais aucune preuve n’a été trouvée et l’origine exacte des couleurs du club reste inconnue», conclut Grégory Quin. Le 29 novembre 1899, Hans Gamper fonde le Futbol Club Barcelona avec des valeurs simples: ouverture à tous, une certaine idée de l’intégration sociale par le football et une structure démocratique.

Jérôme Berthoud
Chercheur à l’UNIL et chargé de projets à l’IDHEAP (Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique).
Nicole Chuard © UNIL

Pourquoi la FIFA et l’UEFA ont-elles leurs sièges en Suisse?

Fondée à Paris en 1904, la Fédération internationale de football association (FIFA) déménage à Zurich en 1932. De son côté l’Union des associations européennes de football (UEFA), bien que née à Bâle en 1954, aura son siège à Paris avant qu’il soit déplacé à Berne en 1959 puis à Nyon en 1995. «Quand la FIFA s’installe à Zurich, il faut savoir que la Confédération n’a pas encore de politique d’accueil des associations ou des fédérations sportives», explique Philippe Vonnard, qui estime que ce sont surtout les caractéristiques de la Suisse qui intéressent et attirent ces institutions. «La stabilité monétaire du franc suisse est fondamentale. Il faut encore ajouter une position géographique centrale et des moyens de transport accessibles facilement des quatre coins de l’Europe.» Et puis il y a surtout la question de la neutralité. Et c’est justement grâce à cette dernière que la FIFA va survivre durant l’entre-deux-guerres.

«Si la FIFA puis l’UEFA s’installent en Suisse, c’est aussi pour répondre à des situations difficiles résultant de leur propre histoire. Par exemple, poursuit Philippe Vonnard, jusque dans les années 30, la FIFA n’a pas de secrétaire général. Elle a un secrétaire-trésorier, Carl Hirschman, qui s’occupe des comptes. Ce dernier, un banquier, n’avait pas dissocié ses comptes personnels de ceux de la FIFA. Et, suite à de mauvais placements qui s’amplifient en raison de la crise de 1929 et de la dévaluation de la livre sterling, il finira ruiné. Du coup, la FIFA se retrouve avec de très gros soucis financiers.»

Depuis, la FIFA a décidé d’institutionnaliser ses statuts et surtout de trouver une base dans un pays qui connaîtrait une plus grande sécurité financière. En 1932, elle s’installe donc en Suisse, à Zurich.

Même si le football a déjà bien évolué, l’UEFA opte également pour la Suisse trente ans après la FIFA. La stabilité monétaire est toujours au centre des priorités, la position géographique aussi. «Mais, durant la Guerre froide, la question de la neutralité est primordiale, précise Philippe Vonnard. Il ne faut pas oublier que la FIFA et l’UEFA sont des organisations qui se disent apolitiques. Pour se rendre en Suisse, pays neutre, les problèmes de visa sont moindres que dans d’autres pays. Enfin, il y a aussi l’importance du rôle de la Confédération dans le football international: en 1954, la Coupe du monde est organisée en Suisse et c’est à cette occasion que l’UEFA est créée. A l’époque, le secrétaire général de la FIFA est un Helvète, l’ancien secrétaire central de l’Association suisse de football (?ASF). Il y a donc des connexions très claires et explicites entre la Suisse et le développement du football international. Il faudrait sans doute parler d’un réseau suisse œuvrant à l’international, même si ce point nécessite d’être éprouvé empiriquement».

Pourquoi le rapport Rumo a-t-il bouleversé le football suisse?

Dans les années 80, le football helvétique s’essouffle, à cause notamment des difficultés financières des clubs, de la concurrence des grands championnats et de la faible compétitivité internationale. Un homme souhaite répondre à cette situation et va jouer un rôle important dans la professionnalisation des structures du football suisse: Freddy Rumo. «C’est un avocat de formation et le président du FC La Chaux-de-Fonds, précise Jérôme Berthoud, chercheur à l’UNIL et chargé de projets à l’IDHEAP. Maître Rumo reflète une nouvelle génération de dirigeants qui veut faire de l’argent avec le football, et qui considère ce dernier comme un produit.» C’est un personnage-clé du renouveau, mais pas le seul, qui va permettre la transition entre le passage du football semi-professionnel à celui professionnel. «Il rédige un document qui porte son nom: le rapport Rumo. Dense et plutôt compliqué à comprendre.» L’avocat propose diverses solutions, «comme mieux réguler le système des transferts, des réformes structurelles, mieux coordonner la formation ou encore un nouveau mode de championnat avec une très controversée “barre”.» Même s’il a été très critiqué, la suite lui donnera raison parce que les diverses mesures proposées dans son rapport pour relancer le football suisse ont fini par porter leurs fruits.

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