«La voiture est le deuxième achat le plus important, après celui de la maison»

«La voiture est le deuxième achat le plus important, après celui de la maison»

Interview de Gilles Lugrin, maître assistant en linguistique française à l’UNIL

Gilles Lugrin est un spécialiste de la pub, maître assistant en linguistique française à l’UNIL et fondateur d’une société de conseils en communication et marketing. Il a collaboré avec David Tolivia, auteur d’un mémoire sur les voitures dans la pub.

Quelle est la couleur des voitures privilégiée dans la pub?

Notre analyse était avant tout visuelle. La couleur privilégiée par les publicitaires est le gris. C’est nouveau. Dans les années 70, le gris, un peu dépressif, apparaissait peu dans la pub, à peine 30%. Aujourd’hui, 60% des voitures dans les publicités affichent un nouveau gris métallisé, plus séduisant. Les pubs des années 80 comptaient 54% de véhicules rouges, couleur qui a pratiquement disparu aujourd’hui. Le rouge, très connoté, a visiblement été remplacé par le gris, plus neutre.

Quelle est la particularité de la publicité automobile?

Pour le particulier, la voiture est le deuxième achat le plus important après celui de la maison. C’est aussi un achat impliquant dans la mesure où la voiture est souvent un reflet de la personnalité de son propriétaire, contrairement à l’achat d’un produit de lessive, qui dit peu du statut social ou de la personnalité du consommateur.

La publicité doit donc tenir compte de deux dimensions complémentaires qui s’affrontent plus qu’elles ne se complètent lors de la décision d’achat: une dimension rationnelle, liée aux caractéristiques techniques du véhicule, et une dimension émotionnelle, liée à l’image que le futur propriétaire va projeter sur sa voiture. Ainsi, Alfa Romeo ne communique ni sur le prix ni sur la fiabilité, mais sur l’émotion, la sportivité, la beauté, l’esthétique, la séduction, à l’instar d’un slogan Alfa devenu célèbre, où Catherine Zeta-Jones affirme: «Je ne porte pas de bijoux. Je les conduis.»

La pub met-elle en scène la voiture comme symbole de statut social?

Parce qu’elle doit conjuguer raison et émotions, la pub n’attire pas nécessairement le consommateur en communiquant sur les motivations rationnelles de l’achat: prix, fiabilité, rapport qualité/prix, etc. Elle va très souvent greffer du rêve sur un produit qui au final devrait servir à aller d’un point A à un point B. Or, les diverses motivations qui animent le futur propriétaire sont complémentaires, mais aussi parfois contradictoires. Ainsi, un garage gagnera à mettre en vitrine des voitures de sport, même s’il vend en définitive plutôt des voitures familiales. Parce que le futur propriétaire aura quand même l’impression, l’espace d’une seconde, qu’il va acheter la voiture de ses rêves.

Ajoutons que le défi, pour le vendeur, est d’éviter la dissonance cognitive, qui se manifeste lorsque les arguments rationnels et irrationnels deviennent trop discordants, perturbant alors le futur propriétaire au point de lui faire renoncer à l’acte d’achat.

La vitesse est-elle un argument de vente dans la pub?

A la fois par déontologie et pour répondre aux directives légales, les an-nonceurs s’interdisent d’utiliser cet argument qui pourrait être perçu comme une incitation aux excès de vitesse ou à une conduite dangereuse sur la route. Plus encore, lorsqu’un spot publicitaire Renault met en scène le pilote de Formule1 Fernando Alonso, un message précise que la prise de vue a eu lieu sur une route fermée à la circulation.

On voit cependant beaucoup de pubs qui vantent la puissance des véhicules…

La pub contourne toujours les interdictions, raison pour laquelle les interdictions légales sont souvent inefficaces, voire contre-productives. Ainsi, à défaut de communiquer sur la vitesse, force est de constater que nombre de publicités servent l’argument de la puissance. La puissance apparaît ainsi comme argument de vente dans 24% des slogans d’accroche des publicités. En revanche, cet argument disparaît largement lorsqu’il s’agit de communiquer sur l’image de marque du constructeur. Les slogans de marque comme «Vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous», «Renault, créateur d’automobile» ou encore «Seat, auto emoción» ne recourent pas à cet argument.

Et la sécurité?

Même si des marques comme Volvo ont longtemps utilisé le thème de la sécurité, aujourd’hui, cet argument n’est plus une USP (n.d.l.r.: «Unique Selling Proposition»). Toutes les marques communiquant sur la sécurité, une marque ne peut plus se positionner par ce biais. Et ce même si le slogan de marque de Volvo reste «For life».

Plus encore, en publicité, la sécurité est un thème sensible, évoquant l’éventualité d’un accident. Il est donc le plus souvent présenté de manière rationnelle, à l’aide d’une liste de caractéristiques comme l’ABS, les airbags, l’ESP, l’habitacle renforcé, etc.

Notons enfin que le critère de la sécurité est plus souvent servi outre-Sarine. Ainsi, le slogan de marque Peugeot, «Pour que l’automobile soit toujours un plaisir» devient en Suisse alémanique «Mit Sicherheit mehr Vergnügen», laissant penser que l’aspect sécuritaire serait plus sensible auprès du public germanophone.

Propos recueillis par Giuseppe Melillo

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