La colère, une profession

Manon Schick. Licence en Lettres entre 1997 et 2003 à l’UNIL (français, histoire, sciences politiques). Directrice générale de la section suisse d’Amnesty International. © Pierre-Antoine Grisoni – Strates
Manon Schick. Licence en Lettres entre 1997 et 2003 à l’UNIL (français, histoire, sciences politiques). Directrice générale de la section suisse d’Amnesty International. © Pierre-Antoine Grisoni – Strates

Se rendre chez la directrice d’Amnesty International Suisse, c’est comme entrer chez une voisine. La sonnerie du petit immeuble lausannois ne fonctionne pas. Manon Schick dévale les escaliers, déverrouille la porte énergiquement. Elle invite à monter dans son nid, un trois pièces sans chichi: vieux parquet qui grince ici et là, couleurs chaudes, quelques accessoires «ethno», statuettes et fauteuils africains.

Deux gorgées de café plus tard, la militante des droits humains s’insurge contre le nouveau durcissement de la loi sur l’asile. «Comment une telle décision peut-elle être prise en cinq minutes au Conseil national, alors qu’on parle du sort d’êtres humains? C’est un vrai coup dur. Certains collègues d’Amnesty, qui ont longuement expliqué les enjeux aux parlementaires avant le vote, ont aujourd’hui envie de baisser les bras.»

Pour remonter le moral de sa «mini PME», Manon Schick compte sur des victoires ponctuelles, comme la libération d’Aung San Suu Kyi. Elle a rencontré la militante birmane à Berne en juin dernier. «J’aurais voulu lui suggérer de dire un mot sur la révision de la loi sur l’asile, ce qui aurait donné une baffe aux parlementaires. Malheureusement, elle n’a pas fait de discours devant le Parlement.»

La révolte, Manon Schick l’a connue bien avant d’intégrer Amnesty International. A 14 ans, choquée par le soutien de Crédit suisse au régime de l’Apartheid, elle convainc sa mère de l’accompagner dans les bureaux de la grande banque pour boucler son compte enfant. «L’employée était déconcertée, car ce motif de fermeture de compte ne figurait pas dans son formulaire.»

C’est dans les médias qu’elle fait ses premières armes professionnelles. Après le gymnase, elle intègre la rédaction de L’illustré. Pendant quatre ans, la jeune journaliste couvre des sujets éclectiques, «de l’élection de Miss Suisse aux matchs de Marc Rosset, en passant par la politique fédérale». Puis elle décide de quitter la presse pour entrer à l’Université de Lausanne. Elle opte pour la Faculté des lettres, combinant le français, l’histoire et les sciences politiques. «Dans ce cursus, j’ai appris des choses fascinantes, y compris sur mes propres pratiques. Par exemple, dans les médias, les femmes sont toujours dépeintes comme petites et fragiles. Décririons-nous un homme avec ces mots? Seulement de manière dépréciative.»

En parallèle, Manon Schick oeuvre comme bénévole au sein d’Amnesty International, avant de rejoindre Peace Brigades International en Colombie pour neuf mois. A son retour en Suisse, le poste de porte-parole d’Amnesty International se libère. Elle occupera la position pendant sept ans, jusqu’en 2011, où elle accède à la tête de la section suisse de l’association.

A 38 ans, Manon Schick possède de l’indignation à revendre, mais garde des activités «non Amnesty». «Je ne suis pas Mère Teresa! Je ne travaille pas pour le bonheur des autres au détriment de mon propre bien-être.» Elle chante dans un choeur lausannois, assiste aux concerts de son compagnon musicien de jazz, privilégie les soirées en famille ou entre amis, se laisse le temps de lire des BD. Et assure ne pas avoir de plan de carrière, avant d’ajouter, espiègle: «Les gens de mon entourage me demandent souvent si je me lancerai dans la politique. Pour l’instant, ce n’est pas compatible avec mon mandat.»

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

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